mardi 26 octobre 2010

La nécessité de la mahamudra selon 'Gos lotsawa



Sur la Mahāmudrā

Je raconterai maintenant l'histoire de la Mahāmudrā qui scelle toutes les méthodes (S. sādhana) et pratiques (T. nyams len), de la libération individuelle (S. pratimokṣa) - le fondement de la Doctrine du Buddha – jusqu'au Guhyasamāja-Tantra.

Inutile d'expliquer les méthodes des personnes ordinaires qui ne souhaitent pas renoncer à l'existence temporelle (S. saṃsāra), ni des matérialistes (S. lokāyata) non-bouddhistes qui ne visent pas la conscience pour leur recherche de la libération.

D'autres traditions non-bouddhistes comme les Jaïns Digambara (T. gcer bu pa) etc. considèrent que les actes (S. karma) négatifs sont la racine de l'inquiétude relative à l'existence, tentent d'éradiquer ce karma[1]. Ou les Mīmāṃsaka (T. spyod pa ba) qui ne croient pas à la libération permanente (T. yid brtan pa'i) tout en s'abstenant des affects (S. kleśa).

Les Sāṃkhya (T. grangs can pa) et les Vaiśeṣika (T. bye brag pa) [croient] que les affects (S. kleśa) constituent le fondement de l'existence temporelle et que le fondement de ceux-ci est la non-reconnaissance du Soi/de l'essence (S. ātman). Alors afin de reconnaître le Soi, ils s'engagent dans la culture de la concentration (S. dhyāna) et ils parcourent ainsi les divers degrés de concentration, du premier jusqu'au sommet de l'existence (S. bhavāgra T. srid pa'i rtse mo). Mais comme ils sont pris dans le piège de la croyance en un Soi (S. ātmadṛṣṭi), ils pourront chuter [par la suite] jusque dans l'enfer Avīci (T. mnar med).

A ce propos, le maître Vasubandhu avait dit :
"Existe-t-il une autre façon de se libérer que celle-ci ? Non. Pourquoi ? Car la croyance en un Soi est une réification (T. zhen pa) erronée."
Puisqu'ils n'abandonnent pas la non-reconnaissance en croyant en un Soi, [les scolastiques bouddhistes[2]] affirment (T. bzhed) qu'il n'y a pas de libération.

La croyance en un Soi/essence se divise en la croyance en une essence dans l'individu et la croyance en une essence dans les faits mentaux (S. dharmā). Les auditeurs (S. śrāvaka) et les auto-éveillés (S. pratyekabuddha) rejettent la croyance en une essence dans l'individu et trouvent de ce fait une libération permanente à l'abri d'une continuité existentielle (T. srid pa'i rgyun).

Si un bodhisattva sagace ne se libérait que lui tout seul, comme il est dit :
"S'il ne se libérait que lui tout seul, il se sentirait honteux (T. khrel bor med)"[3]
Ainsi, il faut chercher des moyens pour libérer les autres êtres. Il n'y a personne d'autre à part le Buddha qui connaisse tous les moyens. C'est lui qui avait vu qu'il fallait abandonner la croyance en une essence dans les faits mentaux (S. dharmā) afin de se débarrasser du voile des connaissables (S. jñeya-āvaraṇa) et qu'il fallait un effort pour se débarrasser de cette croyance. C'est à travers la croyance (S. dṛṣṭi) qui donne accès à la vacuité qu'on se débarrasse de la croyance en les faits mentaux (S. dharmā). Ainsi, elle est abandonnée à l'aide d'une croyance contraire corrective[4] (T. 'dzin stangs 'gal ba).

Pour développer la vue corrective (S. dṛṣṭi) de la vacuité, on s'engage dans un océan de textes canoniques (S. āgama T. lung) et de dialectique (T. rigs). Puis, l'intuition de la Mahāmudrā[5] est la croyance contraire corrective qui sert à se débarrasser [de la croyance en la vacuité], après l'avoir trouvée à force de raisonnements (T. rigs) par l'inférence comme moyen de connaissance légitime (S. pramāṇa).

Une inférence n'est qu'une construction mentale (S. vikalpa). Et tant que l'on est dans le domaine des constructions mentales, on est dans la non-reconnaissance (S. avidyā) affirmait Śrī Dharmakīrti.[6] Pour se débarrasser de [l'inférence], il n'y a plus de croyance contraire corrective, car s'il y avait une croyance contraire au moyen de connaissance légitime (S. pramāṇa) de l'inférence, elle ne pourrait qu'être erronée (T. phyin ci log S. viparīta).

Le remède à [l'inférence] n'est pas une croyance (S. dṛṣṭi), mais l'intuition de la Mahāmudrā. Et celle-ci surgit de la grâce du Guide authentique.[7] Voici la progression générale de la Doctrine.

A ce propos, le Seigneur de la Doctrine Geutsangpa [de la lignée Drukpa] (T. chos rje rgod tshang 1189-1258) avait dit que pour ce qui est de cette Doctrine de Śākyamuni, le premier à enseigner "la Mahāmudrā" comme la voie éminente (T. lam phul du phyung ba) était le grand brahmane Saraha. Les adeptes de cette tradition en Inde étaient en premier le Seigneur Śavaripada avec son fils Maitrīpa et à partir d'eux, leurs disciples ont diffusé la voie de la Mahāmudrā dans le monde entier.

***

Nouvelle traduction. Source : deb ther sngon po, Chengdu (Si khron mi rigs dpe skrun khang) (1984) p. 983-985. Blue Annals p. 839-841

[1] Par l'ascèse (S. tapas) commente Roerich (et Gendun Cheupel) p. 839

[2] Roerich p. 840
[3] Selon Roerich extrait du
Śiṣyalekha-dharma-kāvya de Candragomin
[4] Saisie contraire, en sanscrit ce devrait être quelque chose comme "virodha muṣṭi-bandha".
[5] Note de Roerich : "Mahāmudrā doit ici être compris dans le sens de "Sūtra Mahāmudrā" (mdo lugs phyag rgya chen po)". Comme indiqué à plusieurs endroits, ce terme est un anachronisme et une réinterprétation postérieure. 'Gos ne raisonne pas en termes de Mahāmudrā selon les sūtra et les tantra.
[6] L'objet de l'intuition est le réel ; l'intuition est pramāṇa ; que l'objet ou le mode de connaissance soit d'autorité, de raisonnement ou bien sensible, ce qui n'est pas intuitif n'est pas réel, ce qui n'est pas intuition n'est pas pramāṇa". L. DE LA VALLÉE POUSSIN dans Le Muséon, p. 202
[7] Le Guide authentique n'est pas un guru en chair et en os, qui est certes là pour l'instruction, mais le Guide intérieur, dont parlent Saraha et Maitrīpa.

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