mercredi 27 octobre 2010

Magie antique, magie naturelle, mécanique et "pur regard"




« La magie a la même finalité que la mécanique[1]. Il s'agit d'essayer d'arracher à la nature ses secrets, c'est-à-dire de découvrir les processus occultes qui permettent d'agir sur la nature pour la mettre au service des intérêts humains. Mais la [magie antique] repose originellement sur la croyance selon laquelle les phénomènes naturels sont provoqués par des puissances invisibles, dieux ou démons, et que l'on peut ainsi modifier les phénomènes naturels en contraignant le dieu ou le démon à faire ce que l'on veut réaliser. On agit sur le dieu ou le démon en l'appelant par son vrai nom, puis en accomplissant certaines actions, certains rites, en utilisant des plantes ou des animaux que l'on considère comme étant en sympathie avec la puissance invisible que l'on veut forcer. Le dieu devient alors le serviteur de celui qui a accompli la pratique magique. Car le mage prétend dominer cette puissance, la contraindre, l'avoir à sa disposition pour réaliser ce qu'il désire. »
L’histoire suivante est une illustration indienne de ce que Pierre Hadot (Le voile d'Isis) écrit au sujet de la magique antique. Dans le Harsha-Carita, une biographie incomplète du roi Harshavardhana (7ème siècle), le poète Bānabhatta qui vivait à sa cour décrit la rencontre entre le roi Pushpabhūti et le Kapālika Bhairava. Le roi devenait son disciple et dût assister à un rituel nocturne. Bhairava y recouvra un cadavre de bois de santal rouge. Bhairava, qui s’était peint en noir, ne portant que des habits noirs et des ornements, s’assit alors sur la poitrine du cadavre. Il alluma un feu dans la bouche du cadavre et y sacrifia des graines de sésame noires tout en chantant des mantras. Soudain, la terre s’ouvrit devant lui et un esprit féroce en sortit et se mit à attaquer Bhairava, le roi ainsi que trois autres disciples qui étaient présents. Bhairava arriva à contrôler l’esprit mais refusa de le tuer. Le rituel était réussi et Bhairava acquerra le statut de « vidyādhāra », possesseur de savoir.[2]

Dans l’occident latin se développe à partir de la fin du XIIème siècle, jusqu’au XVIème siècle une abondante littérature magique. Ce sont en grande partie des ouvrages traduits de l’arabe. Au Moyen Âge finissant et à la Renaissance se dégage peu à peu la notion d’une « magie naturelle ».
« Cette idée s’impose à partir du moment où l’on pense pouvoir donner une explication naturelle, presque scientifique, des phénomènes que l’on croyait jusqu’alors être l’œuvre de démons qui auraient été les seuls connaisseurs des secrets de la nature. La magie naturelle admet que les hommes peuvent, eux aussi, connaître les vertus occultes des choses. L’aide des démons n’est pas nécessaire pour utiliser les virtualités secrètes, cachées dans le sein de la nature. »[3]
On retrouve une évolution similaire en Inde, mais avec cette différence que les anciennes formes de magie continuaient à exister et à être pratiquées simultanément avec les nouvelles.
Dans ses livres « The Alchemical Body » et « Kiss of the Yoginī », David Gordon White montre l’évolution d’une magie antique vers des formes d’une magie « naturelle », ou, dans ce cas, intériorisée. La différence avec l’occident étant que les approches les plus anciennes continuaient à cohabiter avec les plus modernes. Pendant leur transfert dans le bouddhisme tibétain, où un AOC indien était désormais garant de l’authenticité d’un enseignement bouddhique, la notion d’évolution et l'aspect bricolé avec des éléments hétéroclites ne posa aucun problème. Les tantra étaient acceptés dans leur intégralité comme des ensembles cohérents.

Il n'était pas concevable de choisir un élément en négligeant les autres sous peine d'interrompre la transmission de la grâce. Un tantra était reçu dans son ensemble et se pratiquait dans son ensemble. On s'y était engagé (S. samaya) lors de la consécration. Les dieux et démons extérieurs de la période de la magie antique doivent être comblés au même titre que les cercles (S. cakra) de dieux et démons intérieurs (plus tardifs). Il en va de même pour la mécanique yoguique (des fluides et des énergies) qui est un développement encore plus tardif. Et finalement il y aura des méthodes contemplatives et mystiques. Le tout gravitant autour d'une divinité fédératrice.

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Illustration : thanka de Yamāntaka

[1] Le mot méchané signifie « ruse » Le voile d’Isis, Hadot p116
[2] The Yoga Tradition, Georg Feuerstein, 261
[3] Le voile d’Isis, Hadot, p. 122-123

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