Les purāṇa (T. rnying pa) donnent le cadre mythologique et légendaire du culte d’un dieu hindou spécifique. Ils sont apparus entre le IVème et le XIVème siècle et sont au nombre de dix-huit. Ils sont considérés comme une élaboration et une vulgarisation des Vedas. Ils traitent de la création et de l’origine du monde, des généalogies de rois et des êtres mythiques… Le dernier des dix-huit purāṇa est celui de l’œuf cosmique ou l’œuf du Brahman (S. brahmāṇḍa-purāṇa), l’archi-bindu, d’où se développe l’univers (S. prapañca T. spros pa). Dans le Yoga Vāsiṣṭha, Vāsiṣṭha raconte comment tout l’univers est en fait la conscience infinie, le Brahman, l’être pur (S. sattva), indifférencié de l’espace.
Quand la conscience infinie dans cet espace infini se perçoit, elle se perçoit comme une entité vivante (S. jīva) et devient un sujet, une conscience individuelle « Je suis » (S. ahaṃkāra). Puis, le « Je suis » sera suivi d’attributs du sujet. D’abord, Je suis l’intellect (S. buddhi T. blo), qui distingue entre ceci et cela, entre sujet et objet et qui devient le mental (S. manas T. yid), qui réifie, c’est-à-dire qui attribue une réalité, aux cinq éléments subtils (S. tanmātra T. de tsam), aux cinq éléments grossiers (S. bhūta T. ‘byung ba), aux cinq organes d'action (S. karmendriya T. las kyi dbang po) et aux cinq organes de connaissance (S. buddhīndriya/jñānendriya T. blo’i dbang po). C’est l’évolution, devenu emblématique du Sāṃkhya, de l’Esprit pur, saisi d’un doute existentiel clivant, en l’élément le plus grossier. Le mental s’identifie à un corps, situé dans le triple univers, entouré d’êtres avec qui il entretient des rapports et le tout soumis aux lois du temps et de la causalité.
Pour sortir de cette situation, il faudra remonter le courant en réintégrant (S. yoga) les 25 degrés (S. tattva) de l’évolution. Ce processus en sens inverse est quelquefois appelé l’involution. Ceux qui suivent la voie du Brahman le feront en se disant à chaque degré (S. tattva) « Je suis Cela » (Tat tvam asi est simplement la Révélation qui nous parle). Ils remontent ainsi à la conscience infinie dans son espace infinie et arrêtera de se différencier de lui. La conscience individuelle est alors « rentrée dans l’œuf du Brahman ». "Joie, Joie, Joie, pleurs de joie".
Le Bouddha, qui était un fameux bricoleur, se débrouillait avec ce qu’il trouvait autour de lui. Avec des bouts de ficelles, il se faisait une robe, il mangeait ce qu’on voulait bien lui donner et pour enseigner il se servait des mythes-cadre qu’il avait sous la main. Le bouddhisme c’est le système D métaphysique. Vous voulez sortir du cycle des naissances, vous libérer du karma, retrouver Brahmā ? Pas de problème. Voilà ce que ferait un vrai brāhmane,[1] ou un vrai ascète, un vrai yogi, un vrai vidyādhara, un vrai siddha…
Il commencerait aussi par l’élément terre, mais à la différence de la voie positive du Brahman, il dirait à chaque degré (S. tattva) « Ceci n’est pas mien, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas moi ». Ni appropriateur, ni appropriation, ni propriété. Il suit le même processus d’involution et arrive à l’espace infini. Va-t-il finalement dire « Je suis Cela » ? Non, il continue obstinément « Ceci n’est pas mien, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas moi ». La conscience inifinie, qui n’est autre que le Brahman, c’est bon cette fois-ci ? Eh non, « Ceci n’est pas mien, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas moi ». Il ne s’arrêterait d’ailleurs pas non plus à la base de la vacuité ni à la base du ni-perception-ni-non-perception[2]. Il ne rentrera dans aucun œuf, sortira du mythe-cadre et atteint le nirvāṇa.
20. « Il ne reste alors que l’équanimité, purifiée et lumineuse, malléable, souple et rayonnante. Supposons, Bhikkhu, qu’un orfèvre habile ou son apprenti prépare un four, chauffe le creuset, prenne un peu d’or avec des pincettes et le mette dans le creuset. De temps en temps il soufflera, de temps en temps il versera quelques gouttes d’eau dessus et de temps en temps il se contentera d’observer. Cet or deviendra raffiné, bien raffiné, complètement raffiné, sans le moindre défaut, débarrassé de tout déchet, malléable, souple et rayonnant. Ensuite, quel que soit le bijou que l’orfèvre voudra en faire, qu’il s’agisse d’une chaîne en or, de boucles d’oreille, d’un collier ou d’une guirlande, il sera parfaitement adapté. De la même manière, il ne reste que l’équanimité, purifiée et lumineuse, malléable, souple et rayonnante.
21. « Il comprend : ‘Si je devais diriger cette équanimité, tellement purifiée et lumineuse, à la base de l’espace infini et développer mon esprit en conséquence, cette équanimité qui est mienne, soutenue par cette base, accrochée à cette base, durerait très longtemps. Si je devais diriger cette équanimité, tellement purifiée et lumineuse, à la base de la conscience infinie … à la base de la vacuité … à la base du ni-perception-ni-non-perception et développer mon esprit en conséquence, cette équanimité qui est mienne, soutenue par cette base, accrochée à cette base, durerait très longtemps.’
22. « Il comprend : ‘Si je devais diriger cette équanimité, tellement purifiée et lumineuse, à la base de l’espace infini et développer mon esprit en conséquence, celui-ci serait conditionné. Si je devais diriger cette équanimité, tellement purifiée et lumineuse, à la base de la conscience infinie … à la base de la vacuité … à la base du ni-perception-ni-non-perception et développer mon esprit en conséquence, celui-ci serait conditionné.’ Il ne crée aucune condition ni ne génère aucune volition tendant soit à l’être soit au non-être. Comme il ne crée aucune condition et ne génère aucune volition tendant soit à l’être soit au non-être, il ne s’accroche à rien dans ce monde. Quand il ne s’accroche pas, il n’est pas agité. Quand il n’est pas agité, il atteint le Nibbāna personnellement. Il comprend : ‘La naissance est détruite, la vie sainte a été vécue, ce qui devait être fait a été fait, il n’y aura plus de retour à aucun état d’existence.’ (L’Exposition des Eléments - Dhatuvibhanga-sutta - Majjhima Nikaya 140)
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Photo : division cellulaire d'un embryon humain
[1] Dhammapada, chapitre 26. [DN 1.249] « J’enseigne le chemin qui conduit à l’union avec Brahma , je connais le chemin qui conduit à Brahmā et par où l’on atteint le monde de Brahmā. »
[2] Aux sphères (P. āyatana) de l’espace infini (P. ākāsānancāyatana) et de la conscience infinie (P. viññāṇañcāyatana) sont ajoutées deux autres, à savoir la sphère du néant (P. ākiñcaññāyatana) et la sphère sans perception ni non-perception (P. nevasaññānāsññāayatana).
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