Extrait de l’Antologie des êtres authentiques de la lignée Kadampa (de lce sgom shes rab rdo rje 1130?-1200?). Il existe une traduction anglaise (par Thupten Jinpa) de ce texte dans The book of Kadam.
De nouveau, Khu (Khu ston brtson 'grus g.yung drung 1011-1075), rngog (Legs pa'i shes rab 1018-1115) et 'brom (sTon rgyal ba'i byung gnas 1005-1064) demandèrent quel était la meilleure de toutes les instructions du chemin.
Le seigneur répondit :
Le meilleur sage est celui qui accède à la réalité sans essence (S. ātman).Dromteun demanda quelle était l'ultime instruction spirituelle.
Le meilleur moine est celui dont la succession psychique a été apaisée.
La meilleure des qualités est l'altruisme universel.
La meilleure instruction est de toujours contempler l'esprit (T. rang sems la lta ba).
Le meilleur remède est de comprendre que rien n'a un être propre.
La meilleure ascèse est celle qui ne se conforme pas au monde.
Le meilleur accomplissement est la diminution des affects (S. kleśa).
Le meilleur signe de réussite est la diminution de la convoitise.
Le meilleur don est l'absence d'attachement.
La meilleure conduite éthique est l'apaisement des actes de conscience.
La meilleure patience est l'humilité.
La meilleure diligence est celle qui renonce à l'effort.
La meilleure méditation est celle qui n'est pas artificielle.
La meilleure lucidité est celle qui ne s'identifie à rien.
Le meilleur ami spirituel est le travail sur ses propres défauts.
La meilleure instruction est celle qui atteint ses défauts.
Les meilleurs compagnons sont l'attention et la perspicacité.
Les meilleurs encouragements sont les adversités, les maladies et les peines.
Le meilleur expédient est l'absence de toute manipulation.
La meilleure façon d'aider est de s'engager dans la vie spirituelle.
La meilleure aide est de se vouer à la vie spirituelle.
[Atiśa] repondit : « La vacuité dotée du coeur de la compassion. Il existe dans le monde un médicament appelé « panacée » (T. dpa’ bo chig thub) capable de guérir toutes les maladies. Tout comme [l'administration de] ce médicament « panacée », si l'on accède à la vacuité de toutes les propriétés, [la vacuité] sera le remède de tous les affects (S. kleśa).
[Dromteun :] « Mais, tous ceux qui disent avoir accès à la vacuité n'ont pas moins de convoitise et d'aversion ? »
Le seigneur répondit : « Ce sont leurs paroles qui sont vides/creuses. Quand on accède à la réalité vide d'essence (S. śūnyatā), les facultés mentales, verbales et physiques sont malléables comme du coton assoupli après avoir été écrasé sous les pieds, ou comme du beurre fondant dans la soupe. Ācārya Āryadeva a dit :
« Rien qu'en se demandant si le mode d'être des propriétés psychosensorielles est vide d'essence ou non, et en ayant des doutes à ce sujet, l'édifice de existence s'écroulera. »De ce fait, l'accès sans méprise à la réalité vide d'essence est comparable à une panacée.
Toutes les instructions spirituelles du chemin y sont contenues. »
[Dromteun :] « Comment toutes les instructions spirituelles du chemin sont contenues dans l'accès à la vacuité ? »
Le seigneur répondit :
« Toutes les instructions spirituelles se regroupent dans les six perfectionnements (S. pāramitā). L'accès sans méprise à la réalité vide d'essence (S. śūnyatā), étant l'absence d'envie, de saisie et d'attachement envers tous les existants extérieurs et intérieurs, est le perfectionnement ininterrompu de la générosité (S. dāna). En absence de saisie et d'attachement, on est à l'abri d'actions inefficaces. C'est perfectionnement ininterrompu de la pratique morale (S. śīla). Sans l'hostilité [qui est le résultat] de l'appréhension d'un moi et d'un mien, c'est perfectionnement ininterrompu de la tolérance (S. kṣānti). L'enthousiasme qui aide la pratique de ces [perfections], est le perfectionnement ininterrompu de l'effort (S. vīrya) En se gardant de tout égarement d'attribution d'une réalité à ces [perfections], le perfectionnement de la concentration (S. dhyāna) est ininterrompu . En se gardant de toute notion d'un sujet, d'un objet et d'un acte, le perfectionnement de la lucidité (S. prajñā-pāramitā) est ininterrompu . »
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Le compilateur/auteur de l’Antologie des êtres authentiques de la lignée Kadampa, dont sont extraits ces trois fragments, est Chegompa Sherab Dorje (lce sgom pa shes rab rdo rje 1130 ?-1200 ?). Il s’inscrit dans la transmission qui remonte à Potowa. Il fut élevé par sa belle-mère Machig Rebma (Ma gcig reb ma dar ma byang chub)[1]. Il aurait reçu le cycle des Distiques des mahāsiddha d’un disciple de Vairocanavajra. Dan Martin[2] écrit qu’il ne faut pas le confondre avec un élève de Shang Youdrakpa (zhang g.yu brag pa brtson 'gru brags pa 1122-1193, également un disciple de Vairocanavajra…) qui porta le même nom.
Gampopa et Zhang s’étaient fait attaquer sur les instructions de la panacée blanche (T. dkar po chig thub)[3], notamment par Sakya Pandita (1182–1251), que ce dernier associait avec la lignée Kagyupa et quil tentait de rendre suspect en leur prêtant une origine Ch’an chinoise. Les fragments cités ci-dessus, écrits un siècle après la disparution d’Atiśa, mais avant les attaques de Sakya Pandita, lui prêtent et l’image de la panacée, la pratique qui consiste à regarder l’esprit[4] et la suffisance de l’accès à la vacuité qui comprendrait en elle la pratique des six pāramitā[5], un de points emblématiques du débat de Lhasa. Cela fait beaucoup…
Atiśa avait été empêché d’enseigner publiquement les distiques de Saraha au Tibet, mais il les aurait transmis en privé. Par la suite, les distiques de Saraha ont été transmis par d’autres circuits. Et d’autres distiques s’y sont ajoutés. Mais, il semble bien que l’on ne peut pas imputer à Gampopa l’invention d’un système, la Mahāmudrā de Maitrīpa, qu’Atiśa aurait enseigné en privé.
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[1] Women in Tibet, Janet Gyatso et Hanna Havnevik, p. 69. L’histoire du bouddhisme de Lhorong (T. ལྷོ་རོང་ ཆོས་འབྱུང) mentionne que grâce à sa clairvoyance, Machik Rebma avait vu que le fils du pecheur Lougkye (lug skyes) était la réincarnation de Dampa Sangyé et s’est occupée de lui.
[2] http://www.treasuryoflives.org/biographies/view/Chegompa-Sherab-Dorje/7373
[3] Jackson, 1994, pp. 9-42.
[4] (Demiéville, 1987), p. 43, 78 et 158 « Retourner la vision vers la source de l’esprit, c’est ‘regarder l’esprit’, c’est s’abstenir absolument de toute réflexion et de tout examen. » Il s’agit de s’abstenir de toute méditation discursive concernat les différenciations que comportent les phénomènes de notions (saṃjñā).
[5] (Demiéville, 1987), p. 80-88
Textes en Wylie :
yang khu rngog ‘brom gsum gyis/ jo bo lam gyi chos thams cad kyi mchog [4] gang lags zhus pas/ jo bo’i zhal nas/ mkhas pa’i mchog bdag med kyi don rtogs pa yin/ btsun pa’i mchog sems rgyud thul ba yin/ yon tan gyi mchog phan sems che ba yin/ gdams ngag gi mchog rtag tu rang sems la lta ba yin/ gnyen po’i mchog gang yang rang bzhin med par shes pa yin/ spyod pa’i mchog ‘jig rten pa dan mi mthun pa yin/ dngos grub kyi mchog nyon mongs pa je chung la song ba yin/ grub rtags kyi mchog ‘dod pa je chung la song ba yin/ sbyin pa’i mchog ma chags pa yin/ tshul khrims kyi mchog sems zhi ba yin/ bzod pa’i mchog dman cha bzung ba yin/ brtson ‘grus kyi mchog bya ba thongs pa yin/ bsam gtan gyi mchog blo ma bcos pa yin/ shes rab kyi mchog gang la yang ngar ‘dzin med pa yin/ dge ba’i bshes gnyen gyi mchog ‘tshang la rgol ba yin/ gdams ngag gi mchog ‘tshang thog tu ‘bebs pa yin/ grogs kyi mchog dran pa dang shes bzhin yin/ bskul ma’i mchog dgra bgegs dang na tsha sdug bsngal yin/ thabs kyi mchog bcas bcos med pa yin/ phan btags pa’i mchog chos la btsud pa yin/ phan thogs pa’i mchog chos la blo na ‘gyur ba yin gsung*/
‘brom ston pas chos thams cad kyi mthar thug gang la gras zhus pas/ [5] chos thams cad kyi mthar thug stong nyid snying rje’i snying po can yin gsung*/ dper na ‘jig rten na sman dpa’ bo chig thub bya ba nad thams cad kyi gnyen por ‘gro ba cig yod pa yin/ dpe de bzhin du sman dpa’ bo chig thub lta bu/ chos nyid stong pa nyid kyi don rtogs na nyon mongs pa thams cad kyi gnyen por ‘gro ba yin gsung*/ ‘o na stong pa nyid rtogs zer ba kun gyi chags sdang kha ma bri bar gda’ ba ci lags zhus pas/ jo bo’i zhal nas / de kun kha stong du song ba yin/ stong pa nyid kyi don gsha’ mar rtogs na lus ngag yid gsum ras bal rdog pas mnan pa’am/ phye thug la bro/ tho mang skyur ba bzhin du ‘gro/ slob dpon A’+rya de ba’i zhal nas/ chos rnams kyi gnas lugs stong par ‘dug gam mi ‘dug snyam du the tshom zos pa tsam gyis kyang srid pa hrul por ‘gro gsung*/ des na stong pa nyid kyi don phyin ci ma log pa cig rtogs na sman dpa’ bo chig thub dang mtshungs te/ lam gyi chos thams cad de’i khongs na yod gsung*/
Stong pa nyid rtogs pa’i khongs na/ lam gyi chos thams cad ji ltar bdog zhus pas/ jo bo’i zhal nas/ lam gyi chos thams cad pha rol tu phyin pa drug tu ‘dus te/ stong pa nyid kyi don phyin ci ma log pa cig rtogs na phyi nang gi dngos pa mtha’ dag la zhe ‘dod ‘dzin chags med pas sbyin pa’i pha rol tu phyin pa rgyun chad med par yod/’dzin chags med pa la mi dge ba’i dri mas ma gos pas tshul krims kyi pha rol tu phyin pa rgyun chad med par yod/ de la nga dang nga ‘dzin pa’i khong khro med pas bzod pa’i [6] pha rol tu phyin pa rgyun chad med par yod/ de rogs pa’i don la sems mngon par spro ba dang ldan pas brtson ‘grus kyi pha rol tu phyin pa rgyun chad med par yod/ de la dngos por ‘dzin pa’i gyeng ba dang bral bas bsam gtan gyi pha rol tu phyin pa rgyun chad med par yod/ gang la yang ‘khor gsum du rtog pa’i yid dang bral bas shes rab kyi pha rol tu phyin pa rgyun chad med par yod gsung/
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