Le terme orientalisme et ses dérivés réfèrent à la vision de l’Orient par l’Occident, un Orient créé par l'Occident. Au départ dans un cadre post-colonial (Edward Said, Orientalism, Culture and Imperialism), mais on voit apparaître le terme également de plus en plus souvent dans des œuvres récentes (Donald S. Lopez, Bernard Faure…) où est abordée, nommément ou non, la vision « orientaliste » du (néo)bouddhisme en occident. Il s’agirait en fait de la méconnaissance du « bouddhisme » « oriental » par « l’Occident ». Par cette méconnaissance, l’Occident aurait qualifié le bouddhisme dans un premier temps de « culte du néant », puis d’une sorte de courant spirituel rationnel des Lumières en Asie (bouddhisme protestant), une philosophie etc., et cela en ignorant ses aspects les plus religieux, et en passant ainsi à côté du vrai bouddhisme asiatique ou « bouddhisme classique ».
Selon Bernard Faure, les "néobouddhistes occidentaux" ont la présomption de comprendre le vrai message du Bouddha, tandis que les peuples d’Asie qui l’avaient pratiqué pendant des siècles ne le comprenaient pas.[1] Faure condamne d’ailleurs à la fois les néobouddhistes rationalistes (le bouddhisme serait « extrêmement religieux ») et les bouddhistes occidentaux de tendance anti-intellectualiste (« Pour une religion, le bouddhisme est plutôt philosophique. ») pour leur manque d'équilibre.
Une telle présentation essentialise l’Occident, l’Orient et le bouddhisme, qui sont comme figés dans des blocs immuables. C’est ignorer que l’Occident a eu ses propres religions, qui ont évolué au cours des siècles, en s’adaptant à l’évolution de « l’Occident ». Les grecs en premier avaient pris leurs distances avec leur mythologie, leur dieux, et avec certaines de leurs « superstitions ». En « Orient », où les grecs furent d’ailleurs présents peu après l’apparition du Bouddha, ce dernier semblait avoir pris ses distances avec certains aspects des mythes, du brahmanisme, de la pratique de la géomancie, de mantras etc. tout en les réintégrant (simultanément ou ultérieurement) dans ses enseignements mahāyānistes.
En fait, dans quasiment chaque religion, occidentale ou orientale, on peut constater une tension historique entre des aspects plutôt rationnels, plutôt religieux ou plutôt mystiques/dionysiens. La raison n’est pas le monopole de « l’Occident » et la foi n’est pas celui de « l’Orient ». L’Orient a eu ses « néobouddhistes rationalistes » comme « l’Occident » a eu ses fanatiques religieux.
Et le bouddhisme n’a pas d’essence, ce serait le comble... Il est ce que ces adeptes en font, en Asie comme en Occident. Si le « bouddhisme » a deux aspects « en Orient », philosophique et religieux, il n’est pas dit qu’il doit avoir ou aura ces mêmes deux aspects « en Occident » pour « guérir l’Occident ».[2] « L’Occident » a-t-il (toujours) besoin des aspects religieux, de tous les aspects religieux des religions qui l’inspirent ? Les religions guérissent-elles (ou éveillent-elles) leurs adeptes ?
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[1] Bernard Faure, Unmasking Buddhism, p. 38 « It would be presumptuous, however, for us Westerners to assume that we can easily identify and understand the true teaching of the Buddha after centuries of oblivion and deviations, while arguing that the people of Asia, who practiced it for such a long time, never really understood it. »
[2] « Il tient en fait que le maintien de ces deux aspects - philosophique et religieux – est une des conditions pour que le bouddhisme guérisse l'Occident de son inclination à toujours couper la réalité en deux, lui apprenne à "penser ensemble” ce qui relève pour lui de l’antinomie et finisse par combler "l’écart entre le matériel et le spirituel creusé par le christianisme et élargi par le cartésianisme”. » Louis Gabaude. Bernard Faure, Bouddhismes, philosophies et religions, Aséanie, 1998, vol. 2, n° 1, pp. 181-187.
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