mercredi 26 février 2020

Cultes à mystères et à sauveurs, et influences

Blog publié sur Saraha chante

Naissance de Manipeinture chinoise du XIVème siècle 

Pour ce blog (plutôt des notes), je suivrai en grand partie les écrits (et les conférences sur Youtube) de Richard Carrier de l’université Columbia, connu pour son athéisme, et dont les thèses sont critiquées par certains confrères. Son mérite est de faire connaître des thèses, étayées par des faits et des sources, qui font entendre un autre son de cloche.

La forme la plus ancienne du christianisme est celle d’une religion à mystère judéo-hellénistique. Le judaïsme serait une des dernières religions à être entré dans la danse des cultes à mystères, “initiatiques”, ou “orientaux” pendant les premiers siècles de notre ère dans le monde gréco-romain. En dépit de ce qu’affirment les religions souvent sur leurs propres origines, elles n’ont pas été révélées clés-en-main et transmises telles quelles au cours des siècles. Elles subissent les influences d’autres cultes plus anciens, de cultes ou de religions contemporaines et influencent à leur tour des cultes et des religions.

Ainsi, quelles que soient les formes originelles du judaïsme, celui-ci a subi l’influence égyptienne (circoncision, tabou alimentaire, ...), avant de subir l’influence zoroastrienne sous l’occupation perse (539-332 av. J.C). Les innovations zoroastriennes étaient multiples, et concernaient aussi les territoires à l’est de la Perse…



Principalement :

. La bataille entre le Bien et le Mal, ou de la Lumière et les Ténèbres.
. Les bonnes ou mauvaises conséquences des actes (le Ciel ou l’Enfer).
. A la fin des temps, Dieu enverra un fleuve de feu qui brûlera tout l’univers y compris les enfers.
. Un nouvel univers meilleur sera créé à sa place.
. Les bonnes personnes seront ressuscités pour peupler ce nouvel univers et y vivre éternellement. 



Après les Egyptiens et les Perses, ce fut le tour des grecs (332-110 av. J.C.) pour influencer le judaïsme et les autres religions. Une influence double, l’apport de la philosophie et des cultes à mystères. Restons sur les mystères, qui ont de nombreuses différences entre elles, mais aussi des points communs :

. Ce sont des individus[1] qui se font “initier” aux mystères, à la fois de façon rituelle et en apprenant les secrets de l’univers sous le sceau du silence.
. Les initiés trouveront le salut après la mort
. A travers le baptême et la communion
. Et deviendront une "Fraternité universelle" (parenté fictive)

Les religions à mystères apparues à cette époque sont des cultes ayant subi l’influence hellénistique. Quelques exemples que donne Richard Carrier :

Mystères bacchiques = Phénicien + Hellénistique
Mystères d’Attis & Cybèle = Phrygien + Hellénistique
Mystères de Ba’al = Anatolien + Hellénistique
Mystères de Mithras = Perse + Hellénistique
Mystères d’Isis et Osiris = Egyptien + Hellénistique
Mystères chrétiennes = Juif + Hellénistique

Comment classer le prophète Mani, le Bouddha de la Lumière, fondateur du manichéisme, qui avait pu séduire St Augustin pendant un moment ? Le christianisme est à l’origine une religion à mystère judéo-hellénistique, une des dernières à apparaître à l’époque romaine. Toutes les religions à mystères partagent les quatre tendances suivantes.

. Syncrétisme : l’association d’un culte de divinité étrangère à des éléments hellénistiques.
. Henothéisme : la transformation et la réinterprétation du polythéisme en monothéisme. Le Judaïsme a apporté la monolâtrie, l’adoration d’un seul dieu, et était monolâtre et hénothéiste. Le christianisme idem. Jésus est une divinité, un archange, et n’était pas nécessairement appelé Dieu.
. Individualisme : l’adaptation de cultes de salut agricoles pour en faire des cultes de salut individuel. Toutes les religions sont nées de l’agriculture et du renouveau continu de la nature. Ce renouveau est individualisé par la suite et devient une résurrection. Les mythes religieux autour de l’agriculture ont été réinterprétés au niveau individuel. Il faut rejoindre ces cultes, pour obtenir sa propre résurrection ou salvation individuelle après la mort.
. Cosmopolitanisme : toutes les races, cultures et classes sont considérées comme égales, et ayant une parenté fictive (leurs membres sont tous “frères”) ; on “rejoint” une religion, plutôt que de naître dans une religion.

Dans la bataille entre la Lumière et lObscurité (zoroastrienne), le camp de la Lumière (plérôme) peut envoyer des sauveurs, des messies, des avatars,... Les différents cultes de sauveur ont également des points en commun et des différences. Leurs dieux meurent (Passion) et renaissent. Quelques exemples pré-chrétiens de cultes à sauveur sont les cultes d’Osiris, d’Adonis, de Romulus, de Zalmoxis, la plus ancienne étant le culte d’Inanna (une déesse), dont le culte (à Thyr) avait perduré longtemps. Ba’al et Dionysos étaient également des dieux qui mourraient et renaissaient, à l’image de la nature qui renaît tous les ans.

Ils étaient tous des dieux sauveurs, fils (ou fille dans le cas d’Inanna) de Dieu, qui devaient subir une “Passion” (patheori). A travers leur Passion, ils triomphaient sur la mort en partageant le résultat de leur triomphe avec leurs disciples. Tous ces dieux sauveurs ont des légendes racontant leur vie sur la terre, mais aucun d’eux n’a réellement vécu.

Le baptême (abhiṣeka ?) peut faire partie des cultes à sauveur. Les convertis participent ainsi au sacrifice du dieu sauveur. Le baptême marque leur nouvelle naissance, les fait rejoindre la “Fraternité” et gagner la vie immortelle après la mort. Il purifie leurs péchés.

Le banquet spirituel (repas en commun, repas du Seigneur, gaṇacakra ?) permet de devenir un avec le sauveur et la Fraternité.

Pour finir, une note sur le culte du secret et de l’initiation des mystères. Richard Carrier cite quelques exemples qui peuvent indiquer que le christianisme était en effet un culte à mystère.
“Ainsi, qu'on nous regarde comme des serviteurs de Christ, et des dispensateurs des mystères de Dieu.” 1 Corinthiens 4:1 (Segond)

“Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, …” Romains 11:25 (Segond)

“A celui qui peut vous affermir selon mon Evangile et la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation du mystère caché pendant des siècles,...” Romains 16:25 (Segond)

“Cependant, c'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n'est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis; nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire,...” 1 Corinthiens 2:6-7 (Segond)
Il semblerait que dans la dernière citation, le mot que Segond traduit par parfaits, signifierait “matures”. “Mature” étant un nom donné à quelqu’un qui a été initié aux mystères, ou qui a un rang suffisant pour être initié, contrairement aux “enfants”, qui sont immatures.
“Pour moi, frères, ce n'est pas comme à des hommes spirituels que j'ai pu vous parler, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Christ.
2 Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter; et vous ne le pouvez pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels.” 1 Corinthiens 3:1-2

“Or, quiconque en est au lait n'a pas l'expérience de la parole de justice; car il est un enfant. Mais la nourriture solide est pour les hommes faits, pour ceux dont le jugement est exercé par l'usage à discerner ce qui est bien et ce qui est mal.” Hébreux 5:13-14 (Segond)

“Il leur dit: C'est à vous qu'a été donné le mystère du royaume de Dieu; mais pour ceux qui sont dehors tout se passe en paraboles,
12 afin qu'en voyant ils voient et n'aperçoivent point, et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point, de peur qu'ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés.” Marc 4:11-12 (Segond)
Dans le mantrayāna secret (guhyamantra) on trouve de nombreux éléments qui font penser aux mystères, qui sont a priori un phénomène méditerranéen de l’époque gréco-romaine. Les “paraboles” pourraient être un “langage du Crépuscule” (skt. sandhya-bhasa), qui serait peut-être une invention récente... On y est certainement initié aux “mystères” par un abhiṣeka (asperger), et on y célèbre des “banquets spirituels” (gaṇacakra). L’initiation autorise à visualiser la divinité, ou à se visualiser comme la divinité et à édifier ou purifier un corps subtil de lumière, qui servira de véhicule à l’ “âme” (ou quoi que ce soit qui ne meurt pas) au moment de la mort. Chez Paul (2 Corinthiens 5[2]), celui qui (re)naît en Christ est une nouvelle créature et un nouvel “édifice” éternel l’attend au ciel. Ceux qui n’ont pas été initié aux secrets du mantrayāna secret sont également traités d’immature (skt. baḍha, muḍha), de sot ou d’enfant (tib. byis pa). Ils doivent d’abord “mûrir” (tib. smin), par le biais d’une initiation, avant de pouvoir être sauvé (tib. sgrol), de leur vivant ou après la mort.

Quelques exemples avec du “lait de lionne” dans le bouddhisme tibétain.

“15. Le lait de la lionne ne peut être digéré par tous
Le rugissement de la lionne dans la forêt
Effraie les animaux [de la jungle]
Mais fait accourir les lionceaux avec joie.”
(Saraha/Śavaripa skt. Dohākośa-nāma Mahāmudropadeśa
tib. do ha mdzod ces bya ba phyag rgya chen po i man ngag, extrait de Chants de Plénitude)
« Ce Dharma est le point culminant des huit véhicules, l’Idée ultime du grand Buddha Vajradhāra. Si donc il était enseigné à un auditoire impropre, cela occasionnerait des obstacles tant pour le maître que pour les disciples : [tous] tomberaient en enfer. Il en va par exemple comme du lait de lionne, substance excellente, qui [ne] doit être versé [que] dans un vase d’or. Versé dans tout autre récipient trivial, il le briserait et serait lui-même perdu [en se répandant]. Mais si, une fois le “réceptacle” examiné, le disciple [s’avère] être qualifié, il faut lui enseigner [ce Gongpa Zangthal]. » (Manuel du Gongpa Zanthal par Tülku Tsurlo, trad. Stéphane Arguillère Source Internet).

La soumission de Mâra (détail), Musée Guimet 

***

[1] Ce ne sont pas des cultes pratiqués collectivement par une société. Ce sont des cultes, en quelque sorte à la marge de la société, auxquels on se convertit à titre individuel.

[2]Nous savons, en effet, que, si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l'ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n'a pas été faite de main d'homme.”
“Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles
.”

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