vendredi 7 février 2020

Le rêve d’un anthropologue ?

Mantra circulant sur FB suite à l'apparition du coronavirus

Notre époque est marquée par des replis identitaires de toutes sortes. Le retour du religieux en fait partie. La tendance anti-orientaliste actuelle m’interpelle un peu. Peut-être c’est simplement une façon de justifier son attirance vers des pratiques religieuses délicieusement obsolètes d’antan.

Je viens de lire l’article “Buddhism on the ground” du blog Endangered archives de Sam van Schaik, toujours intéressant à lire. Van Schaik regrette l’attitude (“préjudice”) qui avait dominé le monde universitaire bouddhiste occidental jusqu’à récemment, où seule la voie monastique de type Pâli etc. était considérée comme du bouddhisme “pur”. Un bouddhisme, où le Bouddha avait interdit les “rituels, récitations, histoires dévotes, la fabrication d’amulettes et les envoûtements”. Van Schaik se félicite du changement du monde universitaire en faveur d’un bouddhisme plus enclin vers le surnaturel, où ces éléments reçoivent désormais toute l’attention qu’ils méritent. Les envoûtements seraient du bouddhisme “pur” au même titre que la poursuite de l’octuple chemin.

Le bouddhisme c’est ce que font ceux qui s’appellent et se considèrent bouddhistes. Répertorier comment ceux-ci ont pratiqué et pratiquent toujours le bouddhisme nous donnerait une idée plus complète du bouddhisme “pur”. Ce point de vue de type sociologique et anthropologique se défend.

Tournons-nous vers le christianisme et appliquons les mêmes définitions. Il y a le dogme chrétien officiel (“pur”) et il y a ce que ceux qui s’appellent chrétiens (ou pas) pourraient pratiquer, y compris quand ils se tournent vers une sorcellerie et des moyens extraordinaires qui participent de l’univers chrétien (anges, saints,démons, etc.). Il suffit de lire des livres sur la sorcellerie dans les campagnes françaises pour voir que les intervenants surnaturels invoqués sont des saints chrétiens etc. Pourtant, cet aspect plus populaire et très pratique (guérison, désenvoûtement, amour, fertilité, exorcisme, etc.) du christianisme ne semble pas faire partie des études mainstream du christianisme, il serait plutôt classé dans la catégorie croyances populaires, sorcellerie, tradipracticiens, … Pas dans la catégorie “christianisme pur”.

Il se trouve que les Lumières, la science, la politique etc. sont passés par là et que le christianisme a dû s’adapter. Le catholicisme avait pris ses distances avec la magie et lastrologie dès la fin du Moyen-Âge. Cela n’a pas empêché que ces pratiques plus populaires avaient continué dans les campagnes françaises et ailleurs. Mais il ne viendrait à l’idée de personne d’appeler ces pratiques du christianisme “pur” au même titre que le christianisme plus orthodoxe.

Il arrive qu’en faisant des travaux BTP, on découvre les vestiges d’édifices anciens, p.e. un temple romain ou gaulois. Dans ce cas, tout est mis en oeuvre pour préserver l’ouvrage. Que faudrait-il faire si on tombait sur un tribu népalais ou tibétain inconnu vivant par miracle encore comme on vivait il y a des siècles. Préserver le tribu et ses façons de vivre à l’abri du monde moderne ? Leur vie serait sans doute immédiatement partagée par des anthropologues ravis et quelques occidentaux déçus de la modernité qui feraient tout pour sauver cette culture “menacée”. Est-ce réaliste ? Faudrait-il lui souhaiter que le New Age et le Marché s'y intéressent et s'en emparent ? C’est vrai que même des religions avec des objets universalistes finissent toujours par se particulariser. C’est sans doute un phénomène naturel. Mais laissons aux moins les religions évoluer (c’est-à-dire s’adapter...) naturellement. Certes pour être bouddhiste, il n’est pas besoin d’être moine. Mais pour être un laïc bouddhiste, il n’est pas besoin non plus d’être un bouddhiste surnaturaliste, et encore moins de le rester.

Amulette protégeant contre les tremblements de terre

Dans le cas de tremblements de terre, d’épidémies, de guerres, de dérèglements climatiques, de troubles sociaux, la première réaction d’un bouddhiste, moine ou laïc, n’a plus besoin d’être la pratique de rituels, la récitation de prières et de mantras, la fabrication d’amulettes, les désenvoûtements,...

Et pourtant, des maîtres tibétains n’ont de cesse de recommander à leurs disciples occidentaux ce type de pratiques en cas de calamités diverses. Même si le Dalaï-Lama conseille de ne pas prier, mais d’agir plutôt.

Que des anthropologues s’interessent à des aspects du bouddhisme plus populaires, plus surnaturalistes, c’est leur métier. Ils sont aussi libres d’exprimer leur opinion en disant que ces aspects plus populaires sont autant du bouddhisme “pur” que la pratique d’un bouddhisme plus “spirituel”. Mais est-il nécessaire - et là je m’adresse aux maîtres bouddhistes contemporains et aux occidentaux qui raffolent de ce type de conseils - de garder ces aspects de bouddhisme en vie artificiellement, et de leur accorder autant d’importance ?

Quelques exemples récents. 
Suite au tremblement de terre (Népal, Tibet) : NMPT, Phakchok Rinpoche, Karmapa XVII
Pour prévenir les épidémies et les maladies : NMPT Ebola, NMPT ALS, Sakya Monastery, Karmapa XVII, mantras shivaïtes,
Le président de Hindu Mahasabha recommande lurine et les déjections de vache pour guérir le coronavirus.



Un stage de pacification de l’esprit et de joie de vivre organisé par Mingyur Rinpoché a dû être annulé... Preuve que le calme mental et la béatitude ne sont pas si indépendants de la marche du monde.

MàJ 28022020 Le Dr. Nida Chenagtsang propose des remèdes traditionnels contre le Corona-virus

"Corona Virus !
Many people have been asking me for advice on what to do about the new Corona or COVID-19 virus. In Tibetan medicine, we refer to viruses like COVID-19 as ‘duruka’. Duruka problems are mentioned in the prophecies of Yuthok Yonten Gonpo the Younger, the father of Sowa Rigpa or Tibetan traditional medicine. In Sanskrit, duruka means ‘that which brings suffering’. In the Tibetan tradition, we talk about the duruka of weapons, the duruka of poison, and the duruka of disease. According to Yuthok’s prophecies, COVID-19 would fall under the category of the duruka of disease. Duruka diseases refer especially to epidemic, contagious diseases which have the power to kill very many people.

In general, Tibetan medicine recognizes four main causes of disease: disease caused by imbalanced diet; disease caused by an imbalanced or unhealthy lifestyle; disease caused by seasonal influences; and disease caused by so-called ‘provocations’ or invisible, harmful influences (dön in Tibetan). Dön generally refers to disease triggered by the provoking of spirits, but it can also include illnesses linked with invisible microbes. In the Tibetan worldview, rimné or infectious diseases are seen as mostly coming from dön. Spirits who are the true owners of natural forests, mountains, oceans etc. and the wild animals and ecosystems found there are said to send out contagious bacteria and viruses in retaliation when human beings disrespect nature and wild animals and engage in destructive and unsustainable activities (extracting resources through mining, cutting down forests, releasing poisons into the air and water, polluting ecosystems and so on). This is why Tibetans sometime do ritual practices to propitiate and pacify these owners of disease and the natural environment they govern when contagious diseases strike."

"For preventing new infectious, epidemic diseases/ Avoid going to crowded public places where a lot of people are gathered/ wash your hands continuously with alcohol [based sanitizer]/ drink a lot of boiled water/wear protective face masks continuously/ Ensure you get adequate rest and sleep/ take mani rilbu precious pills weekly/ chant ‘wild’ or fierce mantras like those of Drakpo Sumdril, Logyönma, Dorje Gotrap and so on."

  copie PDF

Remède de Lama Zopa Rinpoché contre le coronavirus




    

           

2 commentaires:

  1. Commentaire de Whisman :

    "Évolution naturelle serait de s'adapter, s'adapter serait pour le Bouddhisme connaitre le même processus que l'Église Catholique. On peut en douter, car la comparaison entre l'Église et le Bouddhisme a ses limites. Car l'aspect magique du Bouddhisme remonte loin jusque dans les textes eux même et que la prise de distance risque de tourner à la mutilation. Et il faut tout de même faire remarquer que ce processus d'adaptation le catholicisme a tout de même réussit l'exploit de vider les églises de ses fidèles. Pas sûr que ce soit une bonne idée de suivre un tel exemple pour implanter une nouvelle religion. Au fond votre démarche relève de l'appropriation culturelle, vous pestez contre l'évolution des études sur le Bouddhisme car elle risque de vous gêner dans votre syncrétisme entre bouddhisme et pensée moderne. Mais c'est cette tentative de syncrétisme qui est la votre qu'il faudrait questionné. N'est ce pas un peu trop superficiel de considéré comme nul des éléments importants d'une tradition sous prétexte qu'il nous dérange ? N'est ce pas le principe même de la conversion d'abandonner certaines valeurs au profit des valeurs de la nouvelle religion ? Que penser de quelqu'un qui fait le tri, qui choisit des éléments au sein d'une tradition comme on le fait au super marché ? Au fond ce blog n'est-il pas qu'une version intélo du New Age ?"

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  2. Quoi que soit le “bouddhisme” d’autre, il y a certainement un fil rouge où la raison et l’analyse jouent une part importante (qui lui valait le sobriquet nāstika), à la différence d’autres religions avec qui il cohabitait. Il a toujours été méfiant envers la tendance d’essentialiser et d’accorder trop de substance aux mots et aux concepts. Il a produit les concepts des trois caractéristiques, de la vacuité, de l’ignorance, de l’illusion. La pensée magique ne fait pas réellement partie de son “coeur de métier”, mais il faut avouer qu’en pensant la domestiquer par les “moyens habiles” et autres, le bouddhisme s’est bien fait avoir. Les “moyens habiles” étaient probablement un acte d’orgueil, dont il aurait pu se passer. D’un autre côté, cela l’a sans doute aidé à survivre si longtemps.

    Si, je dis bien si, le bouddhisme se recentrait sur ce qui paraîtrait être son “coeur de métier” (bébé), en se débarrassant de la pensée magique (l’eau de bain), ou en accordant moins d’importance à cette dernière, pourquoi ce serait une forme de “syncrétisme” ? Je ne vois pas comment. La pensée magique s’oppose (ou s’opposait, soyons prudents…) à la pensée moderne. Le “bouddhisme” ou plutôt des bouddhistes ne l’avaient pas trop calculée pour développer leur méthode de libération et d’éveil. D’ailleurs, ce mot “éveil”, aurait-il un lien quelconque avec un sommeil et un rêve, dont il serait mieux de se réveiller ? S’éveiller de l’illusion, du pouvoir des élaborations (prapañca) et des extrêmes ?

    Quel genre d’éveil ce serait de suivre une tradition en y adhérant de façon orthodoxe, en bloc et en vrac, telle qu’on imagine qu’elle ait toujours été, quelle que soit l’évolution de l’époque où l’on vit, avec tous les éléments “traditionnels” dérivés de la pensée magique, et en évitant de lorgner sur les autres rayons du supermarché spirituel, philosophique, scientifique, politique, écologique … ? Ne ce serait-ce pas une certaine forme de consommation passive d’une tradition ?

    J’espère bientôt rendre accessible une oeuvre attribuée à Advaya-Avadhûtipa (XIème siècle), qui se montre critique envers les nombreuses diverses formes de la pensée magique de son époque. On pourrait aussi critiquer son “Naturel”, mais c’est un autre débat.

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