« Celui qui meurt à ce monde-ci rencontre la vision du monde de la lumière sans avoir à faire un mouvement, parce qu’il est lui-même dans le monde de la Lumière. »[1]
« Les facultés de l’âme deviennent les expressions d’un même pouvoir unifiant, simple et premier, créateur et dominateur. En l’âme humaine, l’imagination reproductrice se subordonne à l’imagination créatrice, dont elle est une fonction dérivée. L’âme a pour centre l’imagination, qui unifie les facultés sensibles et exalte la lumière de l’âme jusqu’au niveau de l’intellect. Elle ouvre ainsi la voie du monde intermédiaire entre le cosmos et les lumières intelligibles : le monde imaginal, comme l’appelle Henry Corbin, pour traduire ‘ālam al-mithāl. »[2]Dans la théorie de l’illumination de Sohrawardī, (1) le principe de la trinité est la lumière des lumières. Elle est illuminant et, par conséquent, obscure par soi. Elle est l’un unifiant, principe de sa propre multiplication. A commencer par la descente (longitudinale) des (2) lumières archangéliques primordiales, qui correspondent aux archanges zoroastriens (Amahraspands). Ces lumières primordiales ne jouent pas de rôle direct dans la formation des corps célestes (sphères) et des espèces sublunaires. Elles font procéder dans le sens latitudinal (3) des lumières advenantes (nûr'ârid), qui se tournent hors d’elles-mêmes, pour devenir le principe de l’émanation des âmes.
A chaque unité enténébrée sous la lune correspond une lumière, un ange de l’eau, un ange de la terre, un ange pour chaque espèce et pour chaque individu de cette espèce. Dans le monde imaginal, à chaque aspect de l’expérience enténébrée correspond une corporéité subtile. Jambet précise que cette idée de Terre de lumière était déjà présente dans la Théologie d’Aristote[3] et dans la tradition manichéenne. Pour Sohrawardī et ses disciples, ce monde imaginal a le statut d’une hypostase de plein droit (4). Il est comme une corporéité spirituelle permettant de justifier l’arrachement à ce monde-ci ainsi que la célébration de la beauté physique, de l’amour et du désir.
C’est un monde de lumière mais aussi de résurrection ou d’immortalité. C’est la chambre nuptiale des gnostiques, où l’ange (intellect agent, dans ce cas l’ange Gabriel) accueille l’âme et s’unie à elle. Dans Le bruissements des ailes de Gabriel, il décrit ses expériences visionnaires et sa rencontre avec 10 sages qui l’initient et qui correspondent aux 10 intellects.
La Terre de lumière sera davantage explorée par des adeptes dans le sillage de Sohrawardī, notamment par Najmoddin Kobra, mort en 1221 en défendant la ville de Khwarezmia contre l’invasion mongole. Ce fut un grand voyageur qui avait par ailleurs séjourné à Alexandrie.
« Le mystique voit réellement et effectivement de la lumière et des ténèbres, par une visualisation qui dépend d’un autre organe que l’organe physique optique. Il éprouve et perçoit comme ombre et ténèbres l’état dont il aspire à se séparer, les puissances qui l’attirent vers l’en bas ; comme lumière, tous les signes et prémonitions qui lui annoncent la délivrance, la direction d’où elle vient, toutes les aspirations qui l’attirent vers le haut. »[4]A cette aspiration ascensionnelle de l’homme de lumière répond la descente d’un guide de lumière (Témoin céleste, Guide suprasensible), l’homologue de la Nature Parfaite, agent de l’intellect agent.
Certains[5] ont remarqué la ressemblance entre les pratiques des adeptes de Kobra (« Kubrawiyya ») et ce qu’ils appellent « des rituels de yoga soufis-tibétains » et semblent voir une connexion entre le Kubrawiyya et les yogas tibétains. Des membres célèbres de sa confrérie furent Dāya Rāzī/Dâyeh Râzî (mort en 1256) et as-Simnānī/Semnânî (mort en 1336). Le premier est l’auteur de la Grande route des hommes de Dieu (Mirṣād al-Ibād). Dans le chapitre 17 de ce livre, il traite des lumières ou épiphanies photiques que pourrait percevoir le mystique et qui l’informent de son avancement spirituel, car c’est Dieu qui se communique lui-même à travers ce médium perceptible. « la lumière dérivée des lumières des lumières de Dieu, dont le cœur est témoin servent à Le faire connaître au cœur. Il Se fait connaître Lui-même à Lui-même. »[6] Les formes de lumières et photismes colorés que l’on perçoit sont en fait dû à la pollution de la vue par les voiles des attributs humains. Quand elles sont vues par la pure spiritualité, une radiance sans couleur ni forme devient visible, sans aucun attribut humain.
Voir aussi mon blog sur Jâbir
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[1] Sohrawardī, Le livre de la sagesse orientale
[2] Christian Jambet, Sohrawardī, Dictionnaire des philosophes, Albin Michel p. 1414
[3] Qu’il dit être une refonte de textes de Plotin… un apocryphe ?
[4] Henri Corbin, L’homme de lumière dans le soufisme iranien, p. 73
[5] Mayer, Toby (April/July 2010). "Yogic-Sufi Homologies: The Case of the "Six Principles" Yoga of Naropa and the Kubrawiyya". The Muslim World 100: 268–286. Retrieved 31 March 2011.
[6] Yogic-Sufi Homologies
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