Sogyal Lakar, Yangsi Dilgo, Tsikey Chokling (capture d'écran vidéo Youtube) |
Les conflits de génération sont encore plus pénibles chez les tulkus. Celui qui était votre disciple peut devenir votre régent, tuteur ou guru. Plus vous avez été brillant dans une précédente existence et plus on peut vous reprocher de ne pas l’être, voire pire, dans la suivante. Dans le “clan Khyentse”, la situation est encore plus complexe à cause des nombreuses relations familiales et dynastiques. On y est souvent tulku de père en fils et de grand-père à petit-fils, les lignées spirituelles croisant les lignées de sang.
Un détenteur est censé préserver la tradition et le système de reproduction de ses prédécesseurs et successeurs, en dépit des temps qui changent. Le statut même du tulku y joue très logiquement un rôle crucial. Les difficultés sont plus grandes pendant des périodes de grands chamboulements. Les grands écarts à faire deviennent alors insupportables. Tous les espoirs sont investis dans un jeune tulku. Tout est mis en oeuvre pour qu’il soit aussi brillant que le précédent. Les “offices de lama” (bla brang) ont été instaurés pour gérer le passage entre un grand maître précédent, un gérant, et le tulku, son (ré-)éducation, et surtout son patrimoine. Jusqu’à l’intronisation du tulku, en théorie…
Depuis l’invasion du Tibet, l’exil des maîtres tibétains, et leur venue en Occident, nous avons été témoins des difficultés des jeunes tulkus de nos maîtres. L’adolescence d’un tulku doit être particulièrement difficile. Jouer un vieux sage quand on est encore jeune… The show must go on. Les marques de respect et même de dévotion, quand on ne s’est pas encore prouvé, ne doivent pas être évidentes, tant qu’on ne les tient pas pour acquises. Mais l’office du lama (bla brang) veillera au grain. Les intérêts de l’office et du jeune individu tulku ne sont pas forcément les mêmes. Même les plus grands soulèvent parfois le voile sur leurs difficultés. Nous avons pu être témoins de désaccords sur le choix du tulku, et de clashes entre des offices de lama et leurs tulkus. Souvent juste des bribes, car le silence est d’or. Des tulkus qui se rebiffent et qui partent, en renonçant à leur statut de tulku, ou tout en le gardant. Certains reviennent. Des tulkus qui se rebellent, et qui s’assagissent plus tard. Ou pas, certains s’essaient à la folle sagesse, inspirés par l’exemple de lamas généralement admirés pour avoir su si bien comprendre ce que veulent les occidentaux, et/ou en les mettant au pas. Admirés par leurs grand-pères, oncles, gourous et grand-gourous.
Certains tulkus vieillissants ont bien compris qu’il est quasiment impossible de se comporter en vieux sage, ou de faire semblant d’être des saints, en dépit de leurs propres dispositions et inclinaisons. Ils ont trouvé qu’il est plus facile de faire semblant d’être des mahāsiddhas, de déployer de la folle sagesse, et d’aider les disciples à briser les concepts et leur égo, en ne se comportant justement pas selon leurs attentes. Quelle est la part de l’homme, quelle est la part du tulku ? Qui se pose cette question ? Un tulku scrupuleux ? Un disciple déçu ? La plupart ne fait pas de distinction entre l’artiste et son oeuvre, laquelle est au fond sa propre personne, quand on est tulku.
Quand on est un jeune tulku qui a grandi dans un monde globalisé, vivant quasiment en VIP, qui connaît l’envers du décor et son cynisme, on peut prendre conscience de la vanité de certains aspects de la tradition, souvent les plus spectaculaires, mais qui rapportent le plus au monastère et à l’office. Des doubles contraintes et des choix difficiles partout. Presque comme ceux d’un être ordinaire. Où se trouve l’authenticité ? Dans la tradition ? Dans l’imitation d’un mahāsiddha légendaire et/ou fictif ? Dans l’imitation d’un imitateur de mahāsiddha ? Généralement considéré comme une réussite selon les critères des huit dharmas du monde.
Les tulkus se cherchent de différentes façons (sage, pas sage), mais il est rare qu’ils renoncent définitivement à leur statut de tulku. C’est ce qu’ils semblent tous avoir en commun. Même un Krishnamurti, reconnu comme une sorte de messie, renonce à son statut, à “la tradition”, mais continue de travailler comme une sorte de messie, tout en refusant ce rôle. Il est si difficile, voire impossible, de renoncer à une certaine idée de soi.
Après avoir consacré un premier blog (2021) à Yangsi Dilgo exprimant son admiration pour Chogyam Trungpa, j’en avais fait un autre suite à une vidéo postée par un lanceur d’alerte, avec des allégations d’abus. Je n’ai pas connaissance de déclarations, témoignages etc. justifiant ces allégations, donc je n’en parlerai pas ici. J’aborderai en revanche des sujets relevant de ce que j’ai exposé ci-dessus. La lettre[1] de démission publiée par Shechen le 8 janvier 2025 ne mentionne que les déclarations de Yangsi Dilgo ne se considérant un “Lama de Shechen”, sans autre explication.
D’autres vidéos de Yangsi Dilgo surfacent, notamment une, où il critique l’attitude de lamas tibétains mercantiles en Asie (Ka-Nying Ling Dharma Society, Malaysia le 3 août 2023), et une autre où il adresse des louanges et des prières à Sogyal Lakar[2] à l’occasion de la consécration du stūpa de commémoration qui lui est dédié, le jour du cinquième anniversaire de parinirvana de Sogyal le 28/08/2024. Dilgo Yangsi semble admirer les succès en Occident de Chogyam Trungpa et de Sogyal Lakar, et leur transgression des attentes (“folle sagesse”), car ils auraient “percé leur esprit dualiste” (“break through my dualistic mind”). Il voudrait en faire autant comme il paraît dans la vidéo du lanceur d’alerte, où il semble vouloir ritualiser la transgression. Aucune mention de leurs abus en revanche. Leur “réalisation” (“parinirvana”) ne fait aucun doute pour lui. Ils sont des objets dignes de louanges et de prières et des exemples à suivre.
Yangsi Dilgo fait allusion au mercantilisme de lamas tibétains voyageant en Asie pour faire toutes sortes de rituels (Jambhala, dieu des richesses) en échange d’offrandes, et indirectement à une pratique de bouddhisme mondain[3]. Être bouddhiste signifie représenter les Trois Joyaux : le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Cela implique de s'engager sur la voie de la transformation personnelle, en cultivant la gentillesse, la compassion et la sagesse. Il souligne que le bouddhisme n'est pas une simple question de rituels ou d'offrandes, mais une transformation profonde de l'esprit qui nécessite un engagement sincère et une pratique continue.
Il y a les discours et il y a les actes, comme pour nous tous. Sauf que pour les “tulkus”, les gurus réincarnés reconnus comme tels, la dissonance entre leurs discours et leurs actes est idéologiquement due à notre perception impure, à la résistance de notre saisie égotique. Celui qui s’engage dans le guruyoga[4] ne peut plus voir des fautes en lui. Tel qu’un guru traite ses gurus, tel il souhaite être traité par ses propres disciples. Tel qu’un tulku souhaite être traité en tulku, tel il traitera les autres tulkus. Souscrire au parinirvana de Sogyal Lakar est préparer la confirmation de son propre parinirvana au moment venu. Les disciples de Sogyal viendront à sa cérémonie. Le culte des tulkus s’entretient dans les lignées. Il est même crucial pour leur survie.
Quelle que soit la réalité (naturelle), idéologiquement et à force de le répéter, Sogyal Lakar est un grand lama qui est passé au parinirvana le 28 août 2019. Les tulkus confirmant cela verront le moment venu leur propre parnirvana confirmé, garantissant ainsi la continuation de leur culte sous forme de tournées de reliques (sku gdungs), statues en cire, de stūpas, de cérémonies de commémoration, etc. Yangsi Dilgo Khyentsé y pense, Dzongsar Khyentsé y pense, toute la famille des Khyentsé y pense. Il en va de leur survie en tant que “famille”. En dépit de quelques couacs malheureux.
Le jour du cinquième anniversaire du “parinirvana” de Sogyal Lakar, avec la consécration de son stūpa de commémoration, semble être une étape importante dans le processus de réhabilitation et de sanctification de Sogyal Lakar. La “famille” Khyentsé resserre les rangs. Shechen Rabjam est venu enseigner à Lerab Ling en novembre 2024[5]. Dzongsar Khyentsé a visité Rigpa Paris le 8 décembre 2024, confirmant le parinirvana de Sogyal Lakar et sa prise en charge de la formation continue des enseignants sénior de Rigpa. Il fait leur louange pour avoir résisté à tous les “obstacles”, et le maintien de leur engagement. Il confirme également la loyauté de la “famille” Khyentsé. Le culte de Sogyal Lakar peut continuer. Les “obstacles” ont été dissipés. La réhabilitation est une art que l’on maîtrise bien dans le bouddhisme tibétain, où la loyauté n’est pas un vain mot.
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[1] 8th January 2025
TO WHOM IT MAY CONCERN[2] “(1:55) I have not seen lamas, Tibetan lamas, Bhutanese lamas, or any kind of lamas, khenpos or rinpoches, [open their centers to other lamas]. It's not something that people usually do, because, you know, when it becomes your own personal center, your own personal home, your own personal sponsors, your personal contacts, your personal disciples, you don't want them to be taken away and follow other teachers, and other masters. You would definitely want them to only follow you, and be loyal to you. But Sogyal Rinpoche really opened everything and shared everything with all other teachers. I think that is a big thing to do, it was remarkable. It's not easy to do, but a remarkable thing to do. I rejoice in Rinpoche’s Dharma activity. I rejoice in his disciples, all disciples, who without any personal agenda and ego, offered a real contribution, practicing the Dharma themselves, and contributing to Rinpoche’s activity. I also would like to say May Rinpoche’s reincarnation be swiftly reborn. May Rinpoche’s activity continue. May the precious momentum, that Rinpoche has left always continue in the hearts of all the people who are very dear and close to Rinpoche. I make all these aspirations and offer my rejoicement and thanks. Thank you so much. Thank you so much. Thank you so much.” Message for Sogyal rinpoche memorial stupa consecration (End of August 2024)
In consideration of Khyentse Yangsi's repeated statements that he does not regard himself as a "Shechen Lama," and in light of numerous concerning incidents, we sadly confirm that Khyentse Yangsi. Ugyen Tenzin Jigme Lhundrup, is no longer affiliated with Shechen Monastery—founded by Kyabje Dilgo Khyentse Rinpoche—and is relieved of all associated duties and responsibilities until further notice.
Shechen Monastery Management Committee
[3] Il critique la tendance, en particulier dans la culture asiatique, à se contenter de rituels et d'offrandes sans s'engager dans une véritable pratique du dharma. Il souligne que les lamas tibétains ont une part de responsabilité dans cette situation, en promouvant des pratiques axées sur la richesse matérielle plutôt que sur la transformation intérieure. Il met en garde contre l'utilisation du dharma pour satisfaire des désirs mondains et souligne que le véritable but de la pratique est de développer la sagesse, le détachement et la dévotion. Il insiste sur l'importance de la pratique de l'esprit dans le Vajrayana, affirmant que les rituels et les visualisations sont inutiles sans une base solide dans la méditation et la compréhension de la nature de l'esprit.
[4] Kongtrul Lodrö Thayé (1813 - 1899) utilisé dans les lignées Kagyu, ou Le chemin de la grande perfection, composé par Patrul Rinpoché (1808–1887), utilisé dans la lignée Nyingma. Dans le chapitre Guruyoga du Flambeau de la certitude, on peut lire :
“Toutes les actions de ce précieux et parfait Lama,[5] “Lerab Ling, 6-10 November 2024. Only the teachings and empowerments are listed below. The complete list of lungs/reading transmissions can be found in this file.
Quelles qu’elles soient, sont bonnes.
Tout ce qu’il fait est excellent.
Entre ses mains le travail, maléfique d’un boucher
Est bon, et apporte des bienfaits aux bêtes,
Inspiré par la compassion pour toutes.
Quand il s’unit sexuellement de façon impropre,
Ses qualités s’accroissent, et s’élèvent comme renouvelées,
Montrant que les moyens et la sagesse ont été réunis.
Ses mensonges qui nous dupent,
Ne sont que les signes habiles par lesquels il nous
Guide sur le chemin de la liberté.
Lorsqu’il vole, les biens volés se changent en denrées nécessaires pour soulager la pauvreté de tous.
Quand un tel Lama réprimande
Ses paroles sont de puissants mantras
Pour faire disparaître la détresse et les obstacles.
Ses coups sont des bénédictions
Qui accordent les deux siddhis et réjouissent tous les hommes fervents et respectueux.
Ainsi qu’il est dit ci-dessus, apprécions les aspects bienfaisants de toutes ses actions.”
6 November:
Teaching on shamatha based on Dilgo Khyentse Rinpoche's text, The Sage Who Dispels Mind’s Anguish, including its reading transmission
Empowerment of Medium-length & Brief Blessing of Tendrel Nyesel
7 November:
Teaching on lojong using Jamyang Khyentse Wangpo's Ambrosia for the Mind
Empowerment of Nyingtik Saldrön
8 November: Empowerment of Vajra Heart, A Spontaneous Song that Reveals the Ultimate
8 & 9 November:
Teaching on kyerim using Shechen Gyaltsab Gyurme Pema Namgyal's text: A Clear, Concise and Simple Explanation of the Generation and Completion Stages for the Benefit of Beginners (Beginner’s Guide to Kyerim)
9 November: Empowerment of Netik Phurba
9-10 November: Root empowerment of Chimé Pakmé Nyingtik
10 November: Teaching on semtri using Dilgo Khyentse Rinpoche's Oral Instructions”
Source : Rigpawiki
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