mercredi 4 décembre 2019

Seconde naissance, régénération et réincarnation

Extrait de : Gotthold Ephraim Lessing dans son livre « L'Éducation du genre humain » (1780) (Erziehung des Menschengeschlechts). Traduction dans note 5

Les œuvres de Johann Arndt ont nourri et renforcé le mouvement du piétisme allemand.

Philipp Jacob Spener, le fondateur du piétisme allemand (le piétisme a pris naissance dans le calvinisme néerlandais[1]), recommandait la lecture du « Vrai christianisme » d’Arndt et comparait son auteur à Platon. Arndt présentait une “théologie mystique”, mais son concept de “seconde naissance” ou “régénération” (“reconstituer dans son état premier”) est défini comme la “religion en acte”. L’homme se renouvelle en Christ pour devenir capable de la vie éternelle.
Comme notre ancienne naissance provient charnellement d'Adam ; de même notre nouvelle naissance ou régénération est spirituellement de Christ ; ce qui se fait par la parole de Dieu, qui est la semence d'une nouvelle naissance.
Vous êtes régénérés, dit S. Pierre, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, Savoir qui sauve, par la parole de Dieu, qui vit, et demeure éternellement
.” (Les quatre livres du vrai christianisme, Volume 1, de Johann Arndt)
“La parole de Dieu” (Verbe), “Savoir”, “qui vit et demeure éternellement”, comme les idées éternelles dans l’Imaginal (mésocosme). Faivre remarque que cette idée de régénération mystique apparaît à la même époque que les Manifestes (Fama et Confessio) de la tradition théosophique de la fraternité de la Rose-Croix. Mystique/piétisme (passif) et gnose alchimique (active) cherchent la régénération par d’autres moyens. La nécessité de la “régénération” de l’homme est dans l’air du temps, car la conscience que l’homme a fait une chute et est spirituellement malade est très présente. La guérison dont il a besoin n’est pas d’ordre médical.

Le mouvement évangéliste aux Etats-Unis fait grand état du concept de chrétiensborn again. Il se fonde sur une citation du Christ.
“3 Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.
4 Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ?
5 Jésus répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu
6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit.
7 Ne t’étonne pas que je t’aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau.
” (Jean 3.3-5 Louis Segond 1910)
Naître d’eau correspond au baptême. Naître d’Esprit est interprété “premièrement” comme une “régénération”[2], se fait en second lieu par la foi et en troisième lieu par le baptême (Arndt). Il s’agit de se débarrasser de l’esprit d’Adam en se régénérant en l’Esprit du Christ. C’est en cela que consiste la "guérison spirituelle"[3].
Si donc il veut être régénéré et renouvelé, il faut qu'il recouvre en Christ par la foi un esprit d’humilité et de simplicité. D' Adam nous avons hérité un esprit incrédule, blasphémateur, et ingrat : il nous faut donc par la foi obtenir de Christ un esprit facile à croire, reconnaissant et toujours disposé à louer Dieu. Par Adam il nous a été transmis un esprit désobéissant, cruel, et téméraire : Il nous faut donc par la foi contracter de J.C. un esprit d'obéissance, de douceur, et de modestie. D' Adam nous avons reçu un esprit colérique, ennemi, impitoyable, avide de vengeance, de rapines, et de sang : Il nous faut par la foi acquérir de Christ un esprit de débonnaireté, d'humanité et de bonté. D'Adam l'homme n'a eu en partage qu'un esprit d'impudicité, d'impureté, et d'intempérance : de Chriſt par la foi il doit obtenir un esprit chaste, pur, et tempéré. Par Adam l'esprit de mensonge, de fausseté et de calomnie lui a été communiqué: Par Christ il doit être fait participant de l'esprit de vérité, d'intégrité et de confiance. D'Adam enfin est passé dans l'homme un esprit animal, terrestre et bestial : Il doit par J. C. acquérir un esprit céleste, et divin.” (Arndt)
Johann Arndt prolonge en quelque sorte le projet ascétique de L'Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis et de la Devotio moderna. En comparaison, les théosophes sont plus entreprenants et organisent tout une “Science des secrets”, davantage tournée vers la Nature, qui vise une régénération par d’autres moyens, même si leur alchimie intérieure est également ascétique ou spirituelle (Faivre, II, 272).

Dans un article (The Doctrine of Man - Christianity - 2004[4]) de Encyclopædia Britannica, on voit apparaître le nom “Rebirth”, renaissance, pour référer à la “seconde naissance” ou la “régénération”. Notons que le terme bouddhiste “rebirth” est le plus souvent traduit par “réincarnation” en français. Dans cet article “rebirth” est expliqué comme étant une forme de “conversion” de type volontariste, un “nouvel alignement de la volonté”, donnant accès à une nouvelle connaissance.

Si rebirth peut se traduire par réincarnation, il ne s’agit pas du tout d’une réincarnation dans le sens antique (métempsychose) ou oriental. L’idée de “seconde naissance” et de “régénération” est néanmoins associée avec la “réincarnation” au sens oriental par Gotthold Ephraim Lessing dans son livre « L'Éducation du genre humain » (1780) (Erziehung des Menschengeschlechts)[5]. Sur la voie de la perfection de l’espèce humaine, l’homme peut progresser d’existence en existence et acquérir de nouvelles connaissances. Graduellement les théosophes saisiront ce thème en l'élaborant, puis l’idée de lInde comme le berceau des religions dans un état plus pur qu’en Occident surgit, notamment en Allemagne. Finalement, c’est la société théosophique qui sen emparera. Quand les premiers occidentaux, venant souvent de la théosophie, s’intéressaient et se convertissaient au bouddhisme, c’était surtout lidée de la réincarnation qui les attirait, avec toutes les associations qu’un occidental pouvait en avoir, notamment l’assurance d’une progression[6]. Quoi que fusse cette réincarnation, c’était aussi une opportunité d’éducation continue, d’acquisition de connaissance et d’une sorte d’immortalité, à condition de prendre la réincarnation comme la continuation d’une âme identique dans diverse incarnations. Plutôt hindoue que bouddhiste (anatta).

Dans le bouddhisme ésotérique et notamment le Vajrayana, on rompt le cycle des transmigrations, de réincarnations par une régénération, qui est également comme une “seconde naissance” en une “divinité” par le Verbe et l’imagination créatrice. La divinité en question est une divinité tutélaire ( iṣṭa-devata) ou yidam en tibétain, dont le guru est indifférencié. Une autre possibilité de rupture du cycle des transmigrations est la “renaissance” dans la Terre pure (mésocosme), avec des retours sur Terre, mais en missions bodhisattviques de sauvetage. La transmigration n’est alors plus subie mais voulue émanation au lieu de transmigration. la même chose vaut pour le phénomène tibétain de tulkus.

Certains chrétiens comme le père Henri le Saux (alias Swami Abhishiktananda) ont réellement fait converger le sens oriental et occidental d’une “régénération”.
« Je me sens profondément hindou et profondément chrétien, mais mon vrai guru, mon sad-guru, c’est le Christ. C’est dans sa conscience universelle que je dois me perdre moi-même et me sentir en tout ; oublier mon propre aham, mon petit je, dans son Je majuscule, Aham divin.» (journal intime de Henri le Saux)
***

[1] “Le terrain avait été préparé par ces conventicules, officiellement établis dans l’Eglise des Pays-Bas, dont les membres s’appliquaient à ce que le très orthodoxe Gisbert Voetius, « le pape d’Utrecht » (+1676), appelait la recherche précise de la sainteté. Le but de ces réunions était, en inculquant le devoir du strict accomplissement de la loi de Dieu et en veillant au maintien rigoureux de la discipline ecclésiastique, d’agir sur l’ensemble de l’Eglise en vue de continuer et d’achever l’œuvre de la réformation dans la vie de tous ses membres.

Ce puritanisme, qui ne voulait être qu’un calvinisme conséquent, se transforma en piétisme sous l’influence d’un pasteur d’Utrecht, Jodocus van Lodensteyn (+1677). Voici comment : pour atteindre plus sûrement à l'idéal de sainteté qui se poursuivait dans les cercles rigoristes, Lodensteyn jugea nécessaire, d’abord, de donner pour base à la précisité morale, non seulement le renoncement à soi et au monde, mais l’abnégation absolue de soi-même; ensuite, de mêler à la piété légale l’élément plus sentimental d’une relation familière de l’âme avec le céleste époux ; de prendre enfin, autant que possible, pour type et pour norme la primitive église. Ce mouvement s’accentua encore ensuite de l’arrivée dans les Pays-Bas de Jean de Labadie (+1674), avec son quiétisme mystique d’origine catholique et son utopie d’une église de régénérés.” LE PIÉTISME: DANS L'ÉGLISE LUTHÉRIENNE DES XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES, ALBREGHT RITSCHL and V. R.

[2] “Ainsi la régénération se fait premièrement par le S. Esprit, ce que S. Jean appelle, naître de l'esprit.” (Arndt).

[3] “Par [Christ] nous [devenons] une nouvelle créature, recevant de lui l'esprit de sagesse, et d'intelligence pour chasser, et renverser l'esprit de folie ; l'esprit de connaissance, pour dissiper cet aveuglement qui naît avec nous[.]”

[4] “'Rebirth' has often been identified with a definite, temporally datable form of 'conversion'. ... With the voluntaristic type, rebirth is expressed in a new alignment of the will, in the liberation of new capabilities and powers that were hitherto undeveloped in the person concerned. With the intellectual type, it leads to an activation of the capabilities for understanding, to the breakthrough of a "vision". With others it leads to the discovery of an unexpected beauty in the order of nature or to the discovery of the mysterious meaning of history. With still others it leads to a new vision of the moral life and its orders, to a selfless realization of love of neighbour. ... each person affected perceives his life in Christ at any given time as “newness of life.”

[5] “92. Tu as tant de choses à emporter après toi sur ton chemin éternel ! tant de mouvements obliques à exécuter ! Qu’est-ce à dire, si l’on admet pour un moment que la grande roue lente qui mène l’espèce humaine à son état de perfection ne peut être mue que par de petites roues plus accélérées, dont chacune apporte sa part de mouvement dans l’ensemble?
93. Il n’en est pas autrement ! Cette même voie, qui mène l’espèce humaine à son état de perfection, il faut que chaque homme en particulier, tôt ou tard, l’ait parcourue en personne. — « Dans le cours d’une seule et même existence, me dira-t-on? Le même homme peut-il, dans le cours de sa vie, avoir été juif sensuel et chrétien spiritualiste ? peut-il plus encore, les avoir dépassés tous deux ? »
94. Pour cela non ! Mais qui empêche que chaque homme n’ait existé plus d’une fois dans ce monde ?
95. Cette hypothèse est-elle si ridicule, pour être la plus ancienne ? et parce que l’esprit humain la rencontra tout d’abord, lorsqu’il n’était pas encore faussé et affaibli par des sophismes de l’école ?
96. Pourquoi n’aurais-je pas fait sur la terre tous les pas successifs vers mon perfectionnement, qui seuls peuvent constituer pour l’homme des récompenses et des punitions temporelles ?
97. Pourquoi ne ferais-je pas plus tard tous ceux qui restent à faire, avec le secours si puissant de la contemplation des récompenses éternelles ?
98. Pourquoi ne reviendrais-je pas sur la terre toutes les fois que je suis en position d’acquérir de nouvelles connaissances, de nouvelles capacités ? Est-ce que j’en emporte chaque fois une telle masse, qu’il ne vaille pas la peine de revenir ?
99. Non pas assurément. — Serait-ce l’oubli de mes existences antérieures qui m’en empêcherait ? Tant mieux si je les ai oubliées. Le souvenir qui m’en resterait ne ferait que m’ôter la possibilité de bien employer ma vie présente. Et d’ailleurs mon oubli actuel, est-ce un oubli éternel ?”

[6] Il y a différents types de représentations des étapes de réincarnation. Celle de la roue du samsara montre que la progression nest pas forcément rectiligne et que des rechutes sont possibles.

2 commentaires:

  1. "revêtir un corps nouveau" est également une expression que l'on trouve chez Saint Paul et c'est ce qui fait dire à Nietzsche:
    "Le christianisme a raison en ceci : on peut revêtir l'homme nouveau"

    https://books.google.fr/books?id=ykRfCwAAQBAJ&pg=PT156&lpg=PT156&dq=revetir+un+corps+nouveau+Nietzsche&source=bl&ots=eF6bt9eEoV&sig=ACfU3U0Moe_3vkjrN-18o2yGHQQkR9JxZQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwibvKTG1p7mAhUSWBoKHeJuD3kQ6AEwBXoECAoQAQ#v=onepage&q=revetir%20un%20corps%20nouveau%20Nietzsche&f=false

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  2. Sur la notion de "revêtir"
    http://hridayartha.blogspot.com/2015/02/le-debut-des-tantras.html

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