Echelle Sainte, St Jean Climaque |
Le tournant décisif de l’histoire de la pensée se situe au moment (VIème s. av. JC) où l’on veut donner une explication rationnelle du monde, c’est-à-dire sans s’appuyer sur des cosmogonies, des genèses, etc. Evidemment, il ne suffit pas de déclarer que Dieu est mort, que les cosmogonies et les génèses sont des constructions symboliques ou des inventions, pour être libre de son « ombre énorme et épouvantable ».[2]
La philosophie existait avant que Platon ne la définisse au IVème siècle av.JC. L’ombre énorme et épouvantable fera que la pensée qui s’est tournée vers le rationnel, puisse de nouveau, par attachement, par nostalgie, par habileté, par intérêt,… incorporer des éléments mythiques, cosmogéniques etc. comme chez les néoplatoniciens, dont l’influence sur la religion sera énorme…
Les néoplatoniciens disent que les racines du platonisme se plongent dans le pythagorisme, ils interprètent Aristote dans un sens platonicien, et intégreront les traditions révélées de l’époque.
« On arrive de cette manière à ce qui peut nous paraître comme des jongleries invraisemblables[3]. Les néoplatoniciens sont capables de retrouver les différentes classes de dieux des Oracles chaldaïques dans chacune des articulations de l'argumentation dialectique qui se rapporte aux fameuses hypothèses sur l'Un développées dans le Parménide de Platon. Par ailleurs des hiérarchies de notions tirées artificiellement des dialogues de Platon en viennent à correspondre terme à terme avec des hiérarchies d'entités orphiques et chaldaïques. Ainsi les révélations chaldaïques et orphiques pénètrent-elles dans le discours philosophique néoplatonicien. »[4]Le mode de vie « philosophique » s’enrichit de la théurgie[5]. Les néoplatoniciens commentent/réinterprètent Platon et Aristote. Un Livre des Causes attribué à Proclus, aurait été en réalité une compilation faite à Bagdad (au IX-Xème siècle) par un auteur arabe sous le titre Livre du Bien pur, et traduit en latin par Guillaume de Moerbeke en 1268. L’influence néoplatonicienne sur l’Islam et le christianisme est indéniable.
Le néoplatonisme n’était donc pas seulement une mode de vie (humaine), qui ne devient alors qu’une préparation à autre chose, « plus haute que toute sagesse humaine », mais aussi tout ce qui pouvait contribuer aux opérations de la possession divine, afin de délivrer l’âme du corps qui la tient prisonnière. La philosophie a été étouffée (ou enrichie selon les préférences de chacun) par la religion. Le corps et la terre sont dévalorisés au profit de l’âme et des sphères célestes.
Echelle jaine
Un processus similaire aurait pu se produire en Inde, où un « tournant décisif » fut l’émergence des Renonçants (sct. śramaṇa), parmi lesquels on classe le bouddhisme, et qui prônaient une approche plus rationnelle (buddhi), tout en subissant l’ombre énorme et épouvantable des traditions révélées de leur époque.[2] Au point où l’on peut se demander s’il a pu y avoir un jeu d’influences entre les śramaṇa et les grecs.[6] Il semblerait que jusqu’à la fin du premier millénaire, la philosophie de l’Asie du Sud-est était plutôt athéiste, et que les traditions révélées y ont pris de l’importance depuis.[7] Se pourrait-il qu’un bouddhisme davantage « philosophique » ait pu se laisser progressivement déborder par les traditions révélées qui avaient le vent en poupe, jusqu’à en perdre son âme ?
Snakes and Ladders indien
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Voir le livre Tu dois changer ta vie ! de Peter Sloterdijk. La première partie se lit assez bien. J'ai du mal avec la suite sur les anthropotechniques. [1] Appauvrir et enrichir
[2] « Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre! »
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Le Gai Savoir - Luttes nouvelles)
[3] David Barton Gray dirait la même chose du tantrisme et utilise le terme de « bricolages » emprunté à Claude Lévi-Strauss.
[4] Pierre Hadot, p. 260-261.
[5] Proclus : la théurgie est « une puissance plus haute que toute sagesse humaine, qui embrasse les bienfaits de la divination, les vertus purifiantes de l'initiation, bref toutes les opérations de la possession divine ». Théologie platonicienne.
[6] Christopher I. Beckwith, Greek Buddha: Pyrrho's Encounter with Early Buddhism in Central Asia.
[7] Blog d’Elisa Freschi, Alternative theisms and atheisms (part 1)
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