dimanche 1 décembre 2013

Des jeunes filles à pattes et à plumes



Dans sa descente dans le monde souterrain pour en devenir la maîtresse, la déesse Ishtar (akkadien)/Inanna (sumérien) doit passer sept portes en se séparant d’un de ses attributs à chaque fois. Cette Venus arrive alors nue devant sa sœur Ereshkigal, l’amant de Nergal, le maître des enfers. Inanna est jugée et meurt. Le corps doit alors être ramené aux cieux, mais le breuvage de vie la ramène à la vie. Afin de pouvoir quitter le monde souterrain, il faut qu’elle trouve quelqu’un qui prendra sa place de mort. Avec cette mission elle quitte les enfers accompagnée de démons qui doivent la surveiller et ramener la personne qui la remplacera. Dans la civilisation mésopotamienne, les morts qui entrent dans le monde souterrain (Aralu) sont représentés le corps couvert de plumes.


Le dieu solaire Shamash émerge du monde souterrain sumérien (Kur)
et est salué par quatre grands dieux parmi lesquels figure Inanna.


Dans la mythologie grecque et romaine, Déméter est la déesse du monde souterrain. Mais Hadès s’entiche de la jeune fille (Kórê) Perséphone, appelée Kórê par opposition à Déméter , la mère (ou la sœur ainée), et la ramène dans le monde souterrain. Comme les compagnes de la « Jeune fille » n’avaient pas empêché Hadès de la ravir, Aphrodite les punit en les affublant de pattes et de plume tout en conservant leur visage de jeunes filles.[1] Les pattes et les plumes semblent donc être des attributs associés au monde souterrain.


Les sirènes étaient représentées, chez les Grecs, avec « un corps d’oiseau et une tête de femme, et jamais avec un corps de poisson comme dans les mythes nordiques »[2] Selon la tradition homérique, les sirènes sont des divinités de la mer qui séjournent à l’entrée du détroit de Messine en Sicile. Musiciennes dotées d’un talent exceptionnel, elles séduisaient les navigateurs qui, attirés par les accents magiques de leur chant, de leurs lyres et flûtes perdaient le sens de l’orientation, fracassant leurs bateaux sur les récifs où ils étaient dévorés par ces enchanteresses. Elles sont décrites au chant XII de l’Odyssée comme couchées dans l’herbe au bord du rivage entourées par les « amas d’ossements et les chairs desséchées des hommes qu’elles ont fait périr ». Euripide évoque dans Hélène[3] le caractère funéraire des sirènes ce que confirment les représentations de sirènes sur des stèles funéraires (voir exemple ci-dessus).

De la Jeune fille Inanna/Ishtar, également affublée de pattes et de plumes, le mythe de Gilgamesh nous raconte l’histoire d’Inanna et l’arbre Huluppu[4] et comment elle le sauve de l’eau (il était planté sur les rives de l'Euphrates) en le plantant dans son jardin sacré à Uruk. Cette histoire parle aussi de la sombre Jeune fille (ki-sikil) aérienne (lil-là) qui vivait dans l’arbre (l'huluppu, assimilé au saule). La Jeune fille deviendra Lilith (notamment dans le Talmud de Babylone). Elle aurait été reprise par la tradition juive aux temps de la captivité de Babylone. Lilith est considéré comme un démon dévorateur et liée à une déesse mère.
« J'ai ramassé l'arbre Huluppu dans l'Euphrates,
je l'ai planté dans mon saint jardin, et j'ai attendu,
attendu pour en faire un trône brillant et un bon lit pour moi.
Puis un serpent s'est niché dans ses racines et il n'a pas pu être charmé,
L'oiseau Anzu / Imdugud a placé ses jeunes dans les branches
Et la sombre Lilith (ou Kisil-Lilake), a construit sa maison dans le tronc.
J'ai pleuré.
Combien j'ai pleuré!
Pourtant ils n'ont pas voulu laisser mon arbre. »


Innana (voir l'étoile de Vénus) et l'arbre cosmique Huluppu avec dans les branches l'oiseau Anzu, 
au milieu Lilith et dans les racines le serpent. 

Avec l’aide de son père Enki, les squatteurs sont chassés, et l’arbre avait pu être utilisé par Inanna. Cette histoire semble suggérer le remplacement d’un culte ancien au serpent, à l'oiseau Anzu/Imdugud (qui tient beaucoup d'un garuda) et à Lilith par un culte d’Inanna/Ishtar. Cultes associés à l’arbre Huluppu (saule) dans son jardin sacré. Lilith et ses compagnons vont ensuite tenter de squatter d’autres arbres mais avec le même succès… Il ne s’agit pas d’un quelconque arbre, mais de l’arbre cosmique, que l’on ne peut pas laisser à des êtres affublés de pattes et de plumes. Il n’est d’ailleurs pas impossible que le culte du Bouddha ait supplanté un culte à une Jeune fille, qui avait à son tour supplanté celui à des êtres plus sombres, plus païens, issus d’un monde souterrain. 



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MàJ

An Egyptian Contribution to a Late 5th-Century Chinese Coffin 93 + Plate V, by Rosalind E. Bradford

[1] Wikipedia. Cette tradition est rapportée par le scholiaste V à l’Odyssée (XII, 39).

[2] Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'Alain Rey, réimpression mise à jour en 2006, Le Robert

[3] Source Wikipedia : Euripide, Hélène, 164-179.

[4] Tablette XII du mythe Gilgamesh, Enkidur et le Kur, Innana et l'arbre Huluppu

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