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vendredi 17 janvier 2014

Réflexions pastorales en feuilletant un album d'images



L’opposition ciel-terre existe dans toutes les civilisations, souvent étoffée d’un troisième plan, car quand l’âme des morts ne meurt pas, il passe à un autre plan. Cela fait un univers en trois plans (montagne cosmique ou arbre de vie), les cieux, la terre et le monde souterrain. Les âmes qui ont vécu ont beaucoup d’expérience, beaucoup de connaissances pratiques. Des secrets d’outre-tombe. Ce troisième plan est donc traditionnellement une source de sciences ésotériques. Ce monde est seulement accessible aux morts, et ceux qui y vont n’en reviennent pas. A l’exception de dieux immortels, ou quelquefois de certains mortels, mais qui auront alors un rançon à payer. La trilogie du cosmos se retrouve d'ailleurs dans la trilogie de l'âme.

Hermès chriophore (Louvre)

Hermès, le guide et le messager par excellence, est aussi celui qui conduit les âmes des morts (« psychopompe »)[1]. Pouvant entrer et sortir des mondes souterrains, il est logiquement celui qui connaît les instructions hermétiques[2] qui en sont originaires et est vénéré à ce titre par les hermétistes et les alchimistes sous le nom d'Hermès Trismégiste (« trois fois très grand »), selon les grecs l’équivalent de Thot en Egypte. Et de Vajrapāṇi dans le bouddhisme ésotérique pourrait-on ajouter. Hermès est parfois représenté portant un bélier sur les épaules (« criophore » ou « créophore »)[3]. Sa représentation en porte-bélier semble être lié à un culte sacrificiel pour éliminer la peste. Mais en suivant la méthode de Dupuis, on pourrait aussi interpréter ce bélier comme annonciateur du retour du soleil.
« En comparant ces positions avec les fixes pour le début de l’ère chrétienne (vers 150 ap. J. C.), on retrouve assez exactement les régions du ciel que les assyro-babyloniens appelaient lieux du mystère des mêmes planètes. Il faut sans doute entendre par là que ces lieux avaient une signification magique particulière, apportant quelque révélation sur la nature divine ésotérique des astres en cause. Nous allons montrer qu’en effet, leur disposition répond à un symbolisme et à un plan voulus, liés au mythe solaire universel de l’année, mythe qu’il y avait lieu de tenir comme secret dans une religion astrale ordinairement dominée par la lune. C’était en quelque sorte la partie occulte de l’astrologie officielle. L’exaltation du soleil marquait à peu près l’équinoxe du printemps au —XIIe et —XIe s. Elle correspondait à la région de notre Bélier occupée par cet astre le 1er Nisan moyen, début de l’année religieuse. Cette région se levait héliaquement vers le 15 du même mois, date symbolique de l’équinoxe et milieu du printemps babylonien. Le « mystère du soleil » est donc tout simplement le triomphe mystique du jour sur la nuit et le renouvellement du cycle des mois. Le Bélier chaldéen s’appelait d’ailleurs KU.MAL, agrû, le travailleur en louage, image du dieu soleil qui « se loue » au début de chaque année pour accomplir les travaux de sa charge. » Extrait de Les origines chaldéennes du zodiaque de A. Florisoone.

C’est également Hermès qui sera envoyé chez Hadès par Zeus, pour demander le retour de Perséphone. C’est la version grecque de l’aventure de la déesse Ishtar/Inanna, la faiseuse de rois. Toujours le même mythe solaire. Quand un roi meurt, ou disparaît tel le soleil, c’est son successeur qui sera traité comme le soleil revenant par une prêtresse représentant Ishtar/Inanna. Pour être plus précis, le soleil reste là mais c’est sa puissance qui décline.


Le mariage spirituel est semblable au mariage entre Hermès et Aphrodite (Vénus, Ishtar), pour (re)former « l’herm-aphrodite », un être complet (ciel et terre). Le mot grec « herma » désigne d’ailleurs à l’origine un pilier de pierre rectangulaire ou carrée en tant que symbole phallique, sur lequel on versait de l’huile[4] et qu’on décorait de guirlandes de fleurs. Un genre de lingam. Voir ausi le phénomène Fascinus.


Le thème de Hermès porte-bélier a d’ailleurs été repris par le christianisme, où le Christ, autre envoyé/ange (christos angelos) et guide, est représenté comme le bon pasteur, venu chercher la brebis égarée dans les ténèbres et l’emportant avec lui dans son royaume de lumière. Mais là aussi, on pourrait y voir également un envoyé porte-bélier pour annoncer le retour de la lumière. 

A cause de la précession des équinoxes, le point vernale "se déplaça, à reculons, dans le Bélier vers l'an 2000 av. J.-C., marquant la fin de l'ère astrologique du Taureau » (4300 à 2000 av. J.C.). On entre alors dans l’ère du bélier (2000 à la naissance du Christ)." L’ère chrétienne correspond à l’ère des poissons. Le retour de la puissance du soleil peut ainsi être associé à différents signes au cours des siècles.

Le porte-veau (moschophore)

Se pourrait-il qu’il existe un lien entre les animaux sacrifiés et le signe astrologique correspondant au retour de la puissance du soleil, comme pour lui donner par voie de sacrifice la puissance qu’il lui fait défaut ? En Egypte, il existait le culte du taureau Apis. Apis est symbole de fertilité, de puissance sexuelle et de force physique.[5] L’Exode (Ex. 32) raconte comment le peuple hébreu, en l’absence de Moïse, construit un veau d’or, comme celui qui faisait l’objet du culte d’Apis en Egypte. Mais à son retour Moïse leur apportera une religion monothéiste, remplaçant le culte ancien. On lit quelquefois qu’il y aurait une évolution des religions, qui passent par des stades différents : animisme -> polythéisme -> monothéisme. Le plus souvent, quand les dieux ne sont pas trop jaloux, les formes anciennes ne seront pas simplement éradiquées mais intégrées et adaptées, en d’autres termes « domptées ». Ainsi, les nouveaux icônes peuvent reprendre des attributs des anciens. Les différentes formes peuvent aussi co-exister.

Gopala Krishna, le dieu moniste se tient devant la vache

On trouve une tendance monothéisante/moniste dans les cultes de Śiva, de Krishna et dans le bouddhisme ésotérique, peut-être au contact avec d’autres religions monothéistes ou parce que le monisme s’inscrit dans un processus naturel ? Un conseil de dieux (polythéisme) peut par exemple décider d’envoyer un envoyé/ange/avatar pour enseigner une nouvelle doctrine (syncrétique, moniste) qui rassemblera les hommes autour d’un seul médiateur. Ce médiateur devient alors le centre du nouveau culte et portera les attributs de cultes anciens, pour que tous puissent s’y rallier.

Dattatreya

Dans cette optique, la figure de Dattatreya est peut-être une tentative de fédération. Il ne s’agit pas du Dattatreya que l’on rencontre dans le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa, mais celui qui a fait son apparition vers la fin du premier millénaire, et qui fut considéré comme un avatar de la trinité hindoue (trimūrti[6]). Son message, que l’on retrouverait entre autres dans l’Avadhūta Gīta, est plutôt universel et moniste. Il peut être représenté avec les trois têtes du trimūrti (dont il est l’avatar simultané), se tenant debout devant la vache Kāmadhenu « qui comble tous les désirs »[7], accompagné de quatre chiens de différentes couleurs, qui représentent soit les quatre védas ou les quatre castes/varṇa, montrant ainsi qu’il dépasse les castes ou qu’il est akula, tout en portant de ses six mains les attributs des trois religions hindoues. Il est alors considéré comme un maître primordial (adiguru) passe-partout.

Les neuf nāth 

Et c’est à ce titre qu’on le retrouve à la tête de la tradition nāth (nāth sampradāya), notamment dans le groupe de neuf premiers maîtres (navnāth). Matsyendranāth, l’adiguru des nāths est considéré comme un avatar de Dattatreya. Dans cette configuration, Matsyendranāth est représenté debout devant la vache Kāmadhenu, un trident dans la main. Je ne sais pas si c’est un hasard, ou une maladresse de l’artiste mais sur plusieurs représentations, la vache semble léviter/voler, ce qui a pour effet que l’adiguru parait la porter sur les épaules à la façon d’un porte-veau (moschophore). Une image vaut plus que mille mots et les images parlent leur propre langage et ont leur propre filiation artistique. Ces représentations ne sont sans doute pas antérieures à Goraknāth, le fondateur de la tradition nāth.
« Je m’inspire ici de David White qui, s’appuyant sur tout un ensemble d’éléments, notamment les citations dans les œuvres littéraires datées, conclut que « le Gorakh-nāth historique, appartient au nord-ouest de l’Inde et vécut vers la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle[8].
Tāranātha[9] (1575-1634), détenteur des lignées Jonang et Shangpa, a écrit une histoire de la transmission des tantras[10]. Dans cette oeuvre, la septième lignée d’instruction du bouddhisme ésotérique, descendant des 59 (sic) Mahāsiddha indiens, concerne la transmission de diverses traditions (S. amnāya T. man ngag), parmi lequelles figurent celles du Mahāsiddha Gorakṣa. Tāranātha écrit à ce sujet :

“Les douze branches (S. nikāya = bārah panth ?) de yogis[11] racontent que Mīnapa/Matsyendra suivait Maheśvara (Śiva) et qu’il atteint les pouvoirs mystiques (siddhi) ordinaires. Gorakṣa reçut de lui les instructions sur les énergies (S. praṇa), les metta en pratique suite à quoi la gnose de la Mahāmudrā naquit naturellement en lui.”[12]

Tāranātha, qui ne cite malheureusement pas ses sources, ajoute que plusieurs histoires du même genre circulent mais qu’elles sont sans fondement. Pour Tāranātha, qui avait sa propre liste de mahāsiddhas, parmi lesquels ne figurait pas non plus Tilopa, ces maîtres étaient des Nāths et ils pratiquaient des sādhana shivaïstes ou śakta hors d’un contexte bouddhiste et par conséquent la plus haute réalisation du bouddhisme tantrique, étant des non-bouddhistes, ne leur était pas accessible pour cette raison même...[13]

Mais si la thèse de White est vraie, Gorakṣanātha, le véritable fondateur des nāth avait vécu au XIIème XIIIème siècle, tandis qu’on fait remonter les transmissions des mahāsiddhas aux Xème siècle ou avant. La littérature hagiographique des mahāsiddhas est véritablement apparue au Tibet à partir du XXII-XIIIème siècle. Il en va de même pour les « pratiques psychopompes » plus élaborées. Le mot psychopompe est emprunté au grec et signifie « celui qui conduit les âmes des morts aux Enfers ». Mais il est composé de « l'âme » (ou principe conscient si on est plus pudique) et de « celui qui conduit ». La mort est alors un détail… Rappelons que quelque soit la définition d’anatta, ce terme ne désigne pas la survivance d’une âme au corps. 

Et que penser du caducée d'Hermès et du trident (triśūla) shivaïste ? Ou de la flûte de Pan d'Hermès et la flûte de Krishna, initialement à sept trous qui semblent représenter les sept planètes. Des hasards heureux ?

***

Pape chriophore

[1] « Hermès, associé aux Enfers, accompagnera les Ombres des mortels jusqu'au Styx, que Charon leur fera traverser. Il prendra alors le nom de Psychopompos, le conducteur des âmes. Il aidera Héraclès quand celui-ci cherchera Cerbère. Zeus l'enverra chez Hadès demander le retour de Perséphone. Hermès raccompagnera Orphée chez Hadès, lorsqu'elle perdra son droit à ramener Eurydicé parmi les vivants. « Source

[2] « Clément d'Alexandrie [vers 150/215) indique qu'il existe quarante-deux livres d'Hermès Trismégiste, dont trente-six contiennent l'ensemble de la philosophie égyptienne et six autres la médecine. » Source Wikipedia

[3] « C'est ainsi qu'à Tanagra, le plus beau des éphèbes, portant une brebis sur ses épaules, courait autour des murailles de la ville les jours de fête d'Hermès, pour rappeler que le dieu lui-même avait, lors d'une peste, détourné le fléau, en portant un bélier à l'entour des murs. » Il joue également un rôle dans le sauvetage de la prêtresse Io transformée en une génisse. Il est donc quelquefois représenté dans des scènes pastorales.

[4] L'huile symbolise le feu, comme dans le baptême par l’eau et le baptême par le feu. C’est la substance utilisée pour l’onction.

[5] Wikipedia

[6] Brahma-Vishnu-Maheshwara

[7] « According to Indologist Madeleine Biardeau, Kamadhenu or Kamaduh is the generic name of the sacred cow, who is regarded as the source of all prosperity in Hinduism.[4] Kamadhenu is regarded as a form of Devi (the Hindu Divine Mother)[7] and is closely related to the fertile Mother Earth (Prithvi), who is often described as a cow in Sanskrit.[4][7] The sacred cow denotes "purity and non-erotic fertility, ... sacrificing and motherly nature, [and] sustenance of human life". » Wikipedia

[8] Itinérance et vie monastique: les ascètes Nāth Yogīs en Inde contemporaine, Véronique Bouillier, p. 7

[9] On peut remarquer qu’il écrit son nom en sanskrit et que son se termine en –nātha (T. mgon po).

[10] bka' babs bdun ldan gyi brgyud pa'i rnam thar ngo mtshar rmad du byung ba rin po che'i khungs lta bu'i gtam

[11] Il s’agit sans doute des 12 yoguis fondateurs des Kāpālika, parmi lesquels figurent Jālandhara/Hāḍipa, lui-même élève de Gorakṣa. Dowman, p. 249

[12] The Seven Instruction Lineages (Paperback) by Jonang Taranatha, traduit par David Templeman, Library of Tibetan Works & Archives, p. 75. Réf. TBRC W22276-2306-7-163. 117. grub chen gau ra+kSha’i man ngag rnams kyi bka’ babs yin te/ de yang sde tshan bcu gnyis kyi dzo gi rnams na re/ mA Ni pas lha dbang phyug chen po la brten te/ thun mong kyi dngos grub thob/ de la gau ra+kShas rlung gi gdams ngag zhus te bsgoms pas/ phyag rgya chen po’i ye shes rang byung du skyes pa yin zhes zer ba sogs khungs med kyi gtam sna tshogs yod kyang*/ re zhig bzhag go/

[13] Masters of Mahāmudrā, Keith Dowman, Suny Press, p. 83

dimanche 1 décembre 2013

Des jeunes filles à pattes et à plumes



Dans sa descente dans le monde souterrain pour en devenir la maîtresse, la déesse Ishtar (akkadien)/Inanna (sumérien) doit passer sept portes en se séparant d’un de ses attributs à chaque fois. Cette Venus arrive alors nue devant sa sœur Ereshkigal, l’amant de Nergal, le maître des enfers. Inanna est jugée et meurt. Le corps doit alors être ramené aux cieux, mais le breuvage de vie la ramène à la vie. Afin de pouvoir quitter le monde souterrain, il faut qu’elle trouve quelqu’un qui prendra sa place de mort. Avec cette mission elle quitte les enfers accompagnée de démons qui doivent la surveiller et ramener la personne qui la remplacera. Dans la civilisation mésopotamienne, les morts qui entrent dans le monde souterrain (Aralu) sont représentés le corps couvert de plumes.


Le dieu solaire Shamash émerge du monde souterrain sumérien (Kur)
et est salué par quatre grands dieux parmi lesquels figure Inanna.


Dans la mythologie grecque et romaine, Déméter est la déesse du monde souterrain. Mais Hadès s’entiche de la jeune fille (Kórê) Perséphone, appelée Kórê par opposition à Déméter , la mère (ou la sœur ainée), et la ramène dans le monde souterrain. Comme les compagnes de la « Jeune fille » n’avaient pas empêché Hadès de la ravir, Aphrodite les punit en les affublant de pattes et de plume tout en conservant leur visage de jeunes filles.[1] Les pattes et les plumes semblent donc être des attributs associés au monde souterrain.


Les sirènes étaient représentées, chez les Grecs, avec « un corps d’oiseau et une tête de femme, et jamais avec un corps de poisson comme dans les mythes nordiques »[2] Selon la tradition homérique, les sirènes sont des divinités de la mer qui séjournent à l’entrée du détroit de Messine en Sicile. Musiciennes dotées d’un talent exceptionnel, elles séduisaient les navigateurs qui, attirés par les accents magiques de leur chant, de leurs lyres et flûtes perdaient le sens de l’orientation, fracassant leurs bateaux sur les récifs où ils étaient dévorés par ces enchanteresses. Elles sont décrites au chant XII de l’Odyssée comme couchées dans l’herbe au bord du rivage entourées par les « amas d’ossements et les chairs desséchées des hommes qu’elles ont fait périr ». Euripide évoque dans Hélène[3] le caractère funéraire des sirènes ce que confirment les représentations de sirènes sur des stèles funéraires (voir exemple ci-dessus).

De la Jeune fille Inanna/Ishtar, également affublée de pattes et de plumes, le mythe de Gilgamesh nous raconte l’histoire d’Inanna et l’arbre Huluppu[4] et comment elle le sauve de l’eau (il était planté sur les rives de l'Euphrates) en le plantant dans son jardin sacré à Uruk. Cette histoire parle aussi de la sombre Jeune fille (ki-sikil) aérienne (lil-là) qui vivait dans l’arbre (l'huluppu, assimilé au saule). La Jeune fille deviendra Lilith (notamment dans le Talmud de Babylone). Elle aurait été reprise par la tradition juive aux temps de la captivité de Babylone. Lilith est considéré comme un démon dévorateur et liée à une déesse mère.
« J'ai ramassé l'arbre Huluppu dans l'Euphrates,
je l'ai planté dans mon saint jardin, et j'ai attendu,
attendu pour en faire un trône brillant et un bon lit pour moi.
Puis un serpent s'est niché dans ses racines et il n'a pas pu être charmé,
L'oiseau Anzu / Imdugud a placé ses jeunes dans les branches
Et la sombre Lilith (ou Kisil-Lilake), a construit sa maison dans le tronc.
J'ai pleuré.
Combien j'ai pleuré!
Pourtant ils n'ont pas voulu laisser mon arbre. »


Innana (voir l'étoile de Vénus) et l'arbre cosmique Huluppu avec dans les branches l'oiseau Anzu, 
au milieu Lilith et dans les racines le serpent. 

Avec l’aide de son père Enki, les squatteurs sont chassés, et l’arbre avait pu être utilisé par Inanna. Cette histoire semble suggérer le remplacement d’un culte ancien au serpent, à l'oiseau Anzu/Imdugud (qui tient beaucoup d'un garuda) et à Lilith par un culte d’Inanna/Ishtar. Cultes associés à l’arbre Huluppu (saule) dans son jardin sacré. Lilith et ses compagnons vont ensuite tenter de squatter d’autres arbres mais avec le même succès… Il ne s’agit pas d’un quelconque arbre, mais de l’arbre cosmique, que l’on ne peut pas laisser à des êtres affublés de pattes et de plumes. Il n’est d’ailleurs pas impossible que le culte du Bouddha ait supplanté un culte à une Jeune fille, qui avait à son tour supplanté celui à des êtres plus sombres, plus païens, issus d’un monde souterrain. 



***

MàJ

An Egyptian Contribution to a Late 5th-Century Chinese Coffin 93 + Plate V, by Rosalind E. Bradford

[1] Wikipedia. Cette tradition est rapportée par le scholiaste V à l’Odyssée (XII, 39).

[2] Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'Alain Rey, réimpression mise à jour en 2006, Le Robert

[3] Source Wikipedia : Euripide, Hélène, 164-179.

[4] Tablette XII du mythe Gilgamesh, Enkidur et le Kur, Innana et l'arbre Huluppu

vendredi 18 octobre 2013

De la sève qui coule un peu partout


Après une première période de recherches archéologiques (1873) à Harappa par Sir Alexander Cunningham, pendant lesquelles un sceau carré fut découvert, Sir John Marshall reprit les recherches en 1920, sans trop de succès initialement. Mais une autre découverte, à 350 miles au sud, dans les couches les plus profondes du site d’un stupa bouddhiste à Mohenjodaro le mont des morts ») au Pakistan, relança tout. R.D. Banerji, faisant partie de l’équipe de Marshall, y trouva une gravure de cuivre et des sceaux en pierre qui ressemblèrent au sceau découvert à Harappa. On en conclue que les deux sites dataient de la même époque et appartenaient à la même culture. En 1924, Marshall publia un article sur ces découvertes dans le journal Illustrated London News, et dès le numéro suivant la réaction enthousiaste d’un assyriologue, A.H. Sayce, fut publiée, suivie d’une révélation par Dr. Ernest Mackay, le chef d’une expédition américaine en Mésopotamie. Ils avaient découvert un sceau identique à ceux de Harappa et de Mohenjodaro en dessous d’un temple du dieu de la guerre Ildaba, et qui daterait de 2300 av. JC environ. Le premier lien fut établi.

Thomas McEvilley, décédé au mois de mars 2013, a publié un livre, The Shape of Ancient Thought, dans lequel il explique les liens anciens et les allers-retours entre l’orient et l’occident en cinq grandes phases. Dans ce livre, il compare les détails iconographiques des sceaux de Mésopotamie et de la vallée de l’Indus.

Quelques exemples :



Les deux sceau datent d’entre le 2ème et 3ème millénaire avant JC. On y perçoit entre autres un mont/monticule (de neuf pierres) surmonté d’un arbre, flanqué de deux chèvres ou gazelles ? Idem sur le sceau de Mohenjodaro, à gauche, sous un arbre plus grand.


Sur les deux sceau, on perçoit une déesse d’arbre. La première est assise. Elle semble porter une sorte de coiffe. Elle tient un enfant sur les genoux avec une sorte de touffe sur la tête. McEvilley parle d’enfant « à rameau sur la tête » (sprout-headed). Sa robe rassemble à la robe d’Ishtar. La déesse de la vallée de l’Indus porte une coiffe similaire. Devant elle se tient à genoux un homme à cornes, peut-être faisant un geste d’offrande de ses mains. Derrière lui, se tient un taureau. Sur le devant, on perçoit sept personnages (femmes) avec des « têtes à rameau ».


Dans un de ses articles, The Lady and the Tree, Bhikkhu Sujato parle de ce sceau dont il produit une autre reproduction davantage interprétée. Pour lui, l’arbre est l’arbre de bodhi. Plus probablement, c’est un arbre śālā (Shorea robusta) ou Sal (Śāl). Les cheveux de la déesse font une seule longue tresse. Sujato distingue devant la déesse un petit autel avec un crâne humain. L'homme-taureau est barbu et porterait un trident selon Bhikkhu Sujato. Le taureau derrière lui serait masqué et porterait le masque d’un humain. Il y voit le totem du roi, tandis que le crâne signifie son destin sacrificiel, ou bien le rançon de ce sacrifice. Le taureau sera sacrifié à la place du roi.

Les sept déesses (la « tête à rameau fleuri » semble désigner une origine céleste) ont été identifiées avec les sept rivières (saptas­indhu)[1], ou avec les pléiades[2]. On perçoit également des symboles en haut du sceau, dont la signification est inconnue. Asko Parpola[3] pense que le poisson au-dessus du taureau est le symbole d’une divinité et qu’il doit représenter une étoile. Le mot « min » désigne à la fois un poisson et et une étoile, les deux brillent... En Mésopotamie, les dieux étaient marqués du symbole d’une étoile. Le symbole de la déesse Ishtar est une étoile à huit branches, une rosette, qui peut prendre la forme d’une roue à huit rayons. La déesse à cornes (Vénus/Ishtar ?) qui habite l’arbre était probablement vénérée comme une nymphe sylvestre (śālabhañjikā[4]) à Harappa.[5] L’homme à cornes (homme-taureau) pourrait être un genre de Gilgamesh[6], un héros solaire comme Héracles ou Vajrapāṇi

Et la tête à rameau fleuri est-elle en quelque sorte l’équivalent du mont surmonté d’un arbre (flanqué de deux chèvres ou gazelles) ? Le rameau fleuri est un symbole de fertilité, et par là associé à la déesse à cornes dans l’arbre. L’arbre qui surmonte le mont (ou qui le transperce ?) serait-il l’équivalent macrocosmique du rameau fleuri ? Si l’arbre symbolise la déesse à cornes, le symbole des deux animaux se faisant face et séparé/maîtrisé par la déesse à cornes pourrait être sa référence. Mais le maître/la maîtresse des animaux est-il alors masculin ou féminin ? Héraclès ou Diane ? Un héros solaire ou une déesse ?

Supposons que la déesse à cornes de l’arbre soit « Vénus », la planète Vénus, déesse de la fertilité, annonçant le retour du soleil et du printemps, faiseuse de rois. Elle semble en Inde avoir évolué en la figure de la nymphe sylvestre (śālabhañjikā), une yakṣi capable de faire fleurir les rameaux, en tapant du pied la racine de l’arbre Sal. J’avais déjà remarqué que l’iconographie de la mère du Bouddha faisait des emprunts à celle des nymphes sylvestres. Les représentations de la naissance du Bouddha parlent d’elles-mêmes. La mère du Bouddha ne sera donc pas une simple yakṣi, mais aussi mythologiquement associée à Vénus, qui n’est pas la mère idéale. Dans la légende du Bouddha, elle disparaît rapidement pour laisser la place à une mère de substitution[7]. Dès sa naissance, notre dieu solaire fait sept pas, et de chaque pas naîtra un lotus.

En effet, le futur Bouddha, est un enfant avec une « tête à rameau fleuri » : sa protubérance. Une marque de fertilité, un trop plein de sève, de puissance. Et qui symbolise son lien céleste. Un de ses épithètes est d’ailleurs « homme-taureau »[8]. Quand le Bouddha meurt, on lui fait les honneurs d’un roi. Ses reliques sont enterrés dans des stūpa, qui deviennent ses représentations terrestres. Ils consistent en une base carrée, sur laquelle est édifié un dôme, traversé et surmonté d’un « rameau fleuri ».

Dans divers traités tibétains sur l’édification d’un stūpa ou caitya, ceux-ci sont appelés couramment des « arbres d’offrandes » ou « poteaux sacrificiels » (T. mchod sdong S. yūpa). Afin de « charger » un stūpa, tout comme une statuette d’ailleurs, il faut y introduire, planter (T. gtsugs) un « arbre de vie »[9] (T. srog shing). Sans cela, le stūpa ou la statuette est comme mort. L’arbre de vie traverse le stūpa et le surmonte. Pour ceux qui ont peu de moyens, le Sūtra des sanctuaires[10] dit que l’on peut les fabriquer « de la taille d'un noyau de fruit du myrobolan, avec une ombrelle de la taille d'une feuille de genévrier et un arbre-de-vie de la taille d'une aiguille. »
« Ceux qui les construisent avec des tas de sable
Quand ils se trouvent dans la solitude du désert
Ou les enfants qui en construisent par-ci par-là en jouant
Tous ceux qui construisent des monuments symbolisant le Victorieux
Même avec des tas de sable
Trouveront l'éveil
. »[11]
Ce n’est pas tout. Notre rameau fleuri va faire une réapparition dans la légende de Padmasambhava, dont le Bouddha annonça l'avènement, d'ailleurs assis entre deux arbres Sal (Toussaint p. 63, PKT, p. 87). Quand le Plérôme, sous la direction de Samantabhadra, décida d’envoyer un Sauveur, ce sera d’abord le Fils de dieu Dam pa tog dkar[12] qui recevra cette mission. Il reçoit la quadruple consécration, fait de Maitreya son régent, et part en mission dans un corps d’émanation (T. sprul pa’i sku ru). Il a la carrière que l’on connaît. Après sa disparition, Samantabhadra vit qu’il fallait convertir les hommes par les trois yogas (T. yo ga gsum) et envoya le Fils de dieu Ye shes tog gi rgyal mtshan. Celui-ci alla devenir le fils de Roi gtsug phud rigs bzang d’Oḍḍiyāna.[13] Il reçut également les quatre consécrations et fut loué/investi par les autres dieux comme l’homme-taureau (T. khyu mchog)[14].

Toussaint traduit le nom du prince par « Belle-Houppe ». Et en effet, « phud » signifie cūḍā, houppe, touffe de cheveux sur le sommet du crâne comme la tonsure d'un brāhmaṇa. Le mot « gtsug » signifie planter, ou sommet de la tête. Le mot tibétain « gtsug tor » traduit le terme sanscrit uṣṇīṣa, qui désigne la protubérance crânienne du Bouddha. Quoi qu’il en soit, Padmasambhava comme le Bouddha ont des têtes à rameau fleuri et sont considérés comme des « hommes-taureau ». Par ailleurs, le terme « gtsug phud » se trouve surtout dans le milieu Bön. 

Le pays d’Oḍḍiyāna où se manifestera notre Sauveur, est comme une représentation miniature du cosmos. Au centre du pays, la cité Radieuse (T. mdzes ldan, épithète de Vénus), au centre duquel se situe le Palais des neuf chignons (thor cog, Houppes traduit Toussaint), au centre duquel se dresse un stūpa spontanément apparu, où se trouve le temple de Heruka. La comparaison entre le palais, "au rayonnement ardent du béryl", et le Mont Meru est faite dans le texte même. Il est probable que les neuf chignons/houppes/rameaux fleuris représentent les neuf planètes, mentionnés au chapitre XIII. Il s'agit évidemment des nava graha.

Un premier fils né de l'union du roi et de la reine meurt, mais un jeune enfant autoengendré/Autogène apparaîtra miraculeusement au milieu d'un lotus à huit pétales, semblable à une roue à huit rayons ou à une étoile à huit branches. "Est-il bon ? S'il est bon, ce sera le bonheur des neuf planètes". Il deviendra le Sauveur Padmasambhava.     

***

[1] WIJESEKERA, O.H. de A. Buddhist and Vedic Studies. Motilal Barnasidass, 1994, pp. 213ff.

[2] PARPOLA,

[3] The Indus script, 5. Do the 'fish' signs denote dieties?

[4] "femme ou nymphe sylvestre [yakṣī] d'une telle beauté qu'elle fait fleurir un arbre qu'elle touche du pied; en sculpture on la représente déhanchée devant un arbre śāla, touchant de la main un rameau fleuri | courtisane."  Dictionnaire Héritage du Sanscrit

[5] Ancient India : Land of mystery, Lost civilizations, p. 21

[6] David Rohl,

[7] Pensons à cet égard aussi aux mères des tulkous tibétains.

[8] « Then another devata exclaimed in the Blessed One's presence: "See a concentration well-developed, a mind well-released — neither pressed down nor forced back, nor with mental fabrication kept blocked or suppressed. Whoever would think that such a naga of a man, lion of a man, thoroughbred of a man, peerless bull of a man, strong burden-carrier of a man, such a tamed man should be violated: what else is that if not blindness? » http://www.accesstoinsight.org/tipitaka/sn/sn01/sn01.038.than.html, Sakalika Sutta, SN 1.38

[9] « Il doit être fabriqué du meilleur matériau, tel le bois de santal blanc ou rouge ou le bois d'aloès (S. Agaru) etc. Au pire, il doit être fabriqué avec du bois de genévrier ou d'un arbre fruitier. » « Il doit provenir d'un endroit ou d'une montagne excellents. En tous les cas, il faudra demander la permission aux gens de cet endroit et présenter des gâteaux d'offrandes aux non-humains en leur priant de nous le donner. Ensuite, un jour, pendant la phase de la lune croissante, où l'on sait que les planètes et les constellations sont en jonction on le marque du côté de l'est et on le coupe. On le laisse bien sécher, et sans inverser le côté de la racine et du sommet, on le rabote des quatre côtés. Côté racine il doit être plus gros et côté sommet plus fin. »

[10] T. khang bu brtseg pa'i mdo

[11] Lotus blanc du Dharma authentique (S. Saddharma-pundarikā-sūtra T. Dam chos pad+ma dkar po), section des Sūtra, volume JA, page 21b :

[12] Ye shes tog gy rgyal mtshan, Fils du roi Belle-Houpe selon Gustave-Charles Toussaint, Dict de Padma, p. 55

[13] Toussaint, p. 55, PKT p. 75

[14] Les équivalents sanscrit donnés sont : gopati, vṛṣabhi, ārṣabha et ṛṣabha.

mardi 27 août 2013

Pour faire un roi ou un cakravartin ?



Le jour du solstice d'hiver est le jour le plus court de l'année et le début du retour du soleil. Ce jour s'appelait Jupiter stator (ou stationnaire) et représentait la renaissance de l’espérance, natalis solis invicti, ou Noël. Ce jour, Vénus, l’étoile du Matin, se lève avant le soleil. Elle annonce son retour.

Ou bien, elle va chercher le dieu solaire dans les enfers pour le raviver et pour le ramener. « Le solstice d'été est le maximum de sa gloire. À l’équinoxe d'automne, les ténèbres ne l’emportent pas encore sur la lumière ; mais la force de la chaleur est diminuée, et le soleil est privé de sa vertu génératrice. » C’est Vénus qui se charge de rallumer le feu du « dieu mourant ». C’est Vénus qui a le pouvoir de ramener le soleil. D’où l’importance que certains donnent à l’étoile du Matin.

Uruk (ou Ourouk, Erech) était une ville sumérienne, et plus tard babylonienne, dans le sud de l'Irak. La population était un mélange de sumériens (non-sémitiques), venus de la montagne, et d’akkadiens (sémitiques) vivant de l’agriculture. Dans cette ville fut célébré le culte d’Innana (nom sumérien) ou Ishtar (nom sémitique). Cette divinité cherchait un roi comme mari, qu’elle élèverait au rang de divinité par un mariage sacré, l'union de deux principes.

« Inanna éconduit d’abord Dumuzi le berger[1], lui préférant son rival, le fermier Enkimdu, et il faut toute l’éloquence persuasive de son frère, le dieu-soleil Utu, et celle de Dumuzi, pour la faire changer d’avis. »[2]

Elle se prend de passion pour Dumuzi et lui compose un hymne à sa vulve, « la comparant à une corne [d’abondance ?], à un « vaisseau du ciel », au croissant de la nouvelle lune, à une terre en jachère, à un champ élevé, à un monticule. » Voire au dharmodaya (T. chos 'byung) de Vajra Vārāhī ?

« Pour moi, ma vulve,
Pour moi, le monticule élevé,
Pour moi, la vierge, pour moi, qui la labourera ?
Ma vulve, terre arrosée, pour moi,
Moi, la Reine, qui amènera le taureau ? »

A quoi le berger Dumuzi répond :

« Ô Dame Souveraine, le roi la labourera pour toi,
Dumuzi, le roi, la labourera pour loi. »

Et la déesse de rétorquer joyeusement :

« Laboure ma vulve, homme de mon cœur. »[3]

Et c’est le berger (sumérien des montagnes) Dumuzi qui deviendra le roi d’Uruk en labourant sa Reine. Le berger, devenu roi, devient du même coup un dieu, un dieu solaire. Quand il disparaît dans les enfers (les mois d’hiver), Inanna/Ishtar/Vénus y descendra pour l’en sortir. Car dans les champs plus rien ne pousse, et il n’y a plus de naissances dans le pays. Dumuzi est sorti des enfers, devenant du même coup immortel, et l’opulence revient dans le pays. C’est le mythe qui alimente ou qui doit justifier le rite du mariage sacré, par lequel tout roi futur d’Uruk deviendra l’amant de la déesse.

« A l’origine rite local d’Erech, le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna est devenu au cours des siècles une célébration nationale où le roi de Sumer, par la suite roi de Sumer et Akkad, prit la place de Dumuzi en tant que son avatar ou incarnation mystique. Quoique nous n’ayons aucun moyen de savoir à quelle date précise cela eut lieu, c’est-à-dire quel fut le premier chef sumérien qui célébra ce rite en tant que Dumuzi réincarné, on peut vraisemblablement situer le fait vers le troisième quart du IIIe millénaire, au moment où les Sumériens devenaient de plus en plus nationalistes. »[4]

Le rite qui se développe comportera un Hymne à Shulgi, dans lequel la déesse dit à l’avatar de Dumuzi dont elle fait un roi :

« Dans la bataille je suis ton chef, dans le combat je suis ton [écuyer],
Dans rassemblée je suis ton défenseur,
A la guerre je suis ton inspiration,
Toi, le berger élu du sanctuaire (?) saint,
Toi, le roi, le fidèle pourvoyeur d’Eanna,
Toi, le luminaire du grand sanctuaire d'An,
De tout tu es digne,
De porter haut la tête sur l'estrade élevée, tu es digne.
De t'asseoir sur le trône de lapis-lazuli, tu es digne,
De couvrir ta tête de la couronne, tu es digne,
De porter sur ton corps de longs vêtements, tu es digne.
De te ceindre toi-même des vêtements de la royauté, tu es digne,
De porter la masse et l'arme, tu es digne.
De diriger droit l'arc allongé et la flèche, tu es digne.
De fixer l'arme de jet et la fronde à ton côté, tu es digne,
Du sceptre saint en ta main, tu es digne,
Des sandales saintes à tes pieds, tu es digne,… »

Ce rite était sans doute accompli la veille du jour du nouvel an. Pourquoi pas au solstice d’hiver ? Et il était suivi le lendemain d’un banquet plantureux, où l’on mangeait et buvait abondamment au son de la musique et des chants. On ne sait pas si ce rite était célébré tous les ans et qui prenait la place de la déesse, qui était baignée, parfumée, habillée et sur la tête de laquelle on mettait une perruque.

On pense que ce rite et les hymnes associés peuvent être le prototype du Cantique des cantiques biblique. Il n’est pas exclu que les rois sumériens et babyloniens et les rites associés aient pu avoir une influence sur des souverains asiatiques. Ils ont certainement eu de l’influence sur la Grèce.

Marcel Detienne écrit :

"Le combat de Zeus contre les Titans et la bataille contre Typhée ont suggéré à F. M. Comford de précieuses comparaisons avec les théogonies de Babylone et plus particulièrement avec le combat de Marduk contre Tiamat. La comparaison s’est révélée fort instructive, car Babylone offre l’exemple d’une civilisation où le récit mythique est encore vivant, où il s’articule étroitement à un rituel. Tous les ans, le quatrième jour de la fête royale de Création de la Nouvelle Année, le roi mimait le combat rituel qui répétait l’exploit accompli par Marduk contre Tiamat. En même temps que se déroulait le rituel, on récitait le poème de la Création, l’Enuma Eliš."

Si, comme l’écrit Ronald Davidson[5], le rite de la consécration (S. abhiṣeka T. dbang) du bouddhisme ésotérique était calqué sur le rite de consécration des souverains indiens (indo-aryens ?), pourquoi n’inclurait-il pas les rites nécessaires pour amener la fécondité et la fertilité dans un pays ? Strickmann[6] rappelle que le tantrisme s’enracine profondément dans les rituels védiques, effectué par les « maîtres de vérité » que furent les officiants brahmanes qui avaient pour effet de renforcer le pouvoir du roi et d’assurer la prospérité et l’harmonie du peuple. Et cela à travers les mythes et la réactualisation de ces mythes dans les rituels.

***

[1] « Moi, le berger, je ne veux pas l'épouser,
Je ne veux pas porter ses vêtements rugueux,
Je ne veux pas accepter sa laine grossière,
Moi, la vierge, je veux épouser le fermier,
Le fermier qui fait pousser maintes plantes,
Le fermier qui fait pousser abondance de grains. »
Un rapprochement fut fait entre ce passage du mythe et l'histoire de Caïn et Abel dans la Bible.

[2] Kramer Samuel-Noah. Le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna. In: Revue de l'histoire des religions, tome 181 n°2, 1972. pp. 121-146. doi : 10.3406/rhr.1972.9833 url :

[3] Le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna

[4] Le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna

[5] Indian Esoteric Buddhism, p.122

[6] Mantras et mandarins, le bouddhisme tantrique en Chine, Gallimard, p. 39

dimanche 25 août 2013

Ishtar, la déesse assistante de dieux solaires



La déesse Ishtar/Inanna est fascinante et sans doute une clé à de nombreux mystères.

La photo du relief ci-dessus se trouve au British Museum. Il y est appelé Relief de Burney ou Relief de la Reine de la nuit, qui date d'entre 1800 et 1750 av. J.C. Il aurait été retrouvé dans le sud de l'Iraq. On a détecté de traces de pigment rouge (ocre rouge) sur le corps de la déesse, sur ses ailes ainsi que sur les ailes des deux chouettes. Sur toutes les ailes, on trouve aussi des traces de blanc et de noir. Les cornes de la déesse ainsi que son collier étaient jaunes, les deux lions blancs. Les cheveux et les sourcils de la déesse et les crinières des lions étaient noirs. Ses cheveux très stylisés [MàJ il s'agit d'une tiare à six cornes, Thomas Römer] pourraient représenter une perruque. Elle tient dans ses mains les symboles de la baguette et de l'anneau (différentes interprétations, p.e. Baguette bleue et Cercle rouge). Ses jambes finissent en pattes d'oiseau.

Ishtar est le nom que lui donnent les Assyriens et les Babyloniens. Les Sumériens l'appelaient Inanna. Elle était à la fois la déesse de l'amour et de la guerre, elle a un aspect hermaphrodite. Elle tient à la fois d'Aphrodite et de Pallas Athéna.
"Femme, elle était aussi mâle et elle est occasionnellement représentée avec une barbe[1]. En assumant un caractère androgyne, elle était comme la planète Vénus, qui était féminine en tant qu'Étoile du soir mais mâle, en tant qu'Étoile du matin, et elle possédait le pouvoir de changer les femmes en hommes et les hommes en femmes." "Elle est souvent représentée debout sur un lion ou une panthère et est dénommée "la lionne" ou "la vache sauvage qui donne un coup de corne à l'ennemi". Source : Digitorient, Collège de France.


Elle a de multiples noms et de multiples aspects, sans doute apparus au cours de son évolution, avec divers eumprunts. 
La multiplicité et la nature controversée d'Ishtar était déjà complètement réalisée dans l'Antiquité et était partie intégrale et intentionnelle de son image. Un hymne louant la déesse en tant que Nanaya commence avec ces mots:
« Sage fille de Sin, bien-aimée sœur de Shamash, je suis la Puissante à Borsippa;
je suis l'Hiérodule à Uruk, j'ai une lourde poitrine à Daduni,
j'ai une barbe à Babylone, mais je suis(en fait) Nanaya
. » Digitorient
Elle est aussi représentée par une étoile à huit branches, l'Étoile du soir et l'Étoile du matin, encore appelée l'Étoile du berger. Cette étoile n'est autre que la planète Venus. Elle peut être vue avant le lever du soleil et après le coucher du soleil, et serait ainsi un repère pour les bergers. Les mythes la font précéder le soleil. Ou peut-être c'est le soleil qui lui court après...

Les mythes font d'ailleurs d'un berger, Dumuzi, le mari d'Ishtar "par un très ancien rite de mariage sacré (hiérogamie)." Un berger, qu'elle rendra roi, tout en faisant figure de remplaçant. Cet aspect du mythe sert de justification (s'il en est besoin...) à l'hiérogamie. 
Chaque année au nouvel an, le souverain était tenu « d’épouser » l’une des prêtresses d’Inanna, afin d’assurer la fertilité des terres et la fécondité des femelles. Ce fut sûrement tout d’abord un rite propre à Uruk, qui s’est ensuite généralisé vers la fin du IIIe millénaire.
Le roi remplace le dieu Dumuzi du mythe, et l’union avec la prêtresse (hiérodule), représentante de la déesse, a lieu dans l’Eanna. Les festivités étaient très joyeuses et se déroulaient dans l’allégresse. Wikipedia
Un hymne d'Assurbanipal la loue dans les termes suivants :
"Ô Palmier, Dame de Ninive, Cerf des pays! Elle est glorieuse, très glorieuse, la plus sainte des Déesses!
Ô inclyte Emašmaš, résidence d'Ishtar, Reine de Ninive! Tel Aššur, elle a une barbe et elle est revêtue de brillance!
La couronne sur sa tête brille comme les étoiles; les disques solaires sur sa poitrine brillent comme le soleil!
Ô Ziggourat, orgueil de Ninive, entourée par les nuages! Le 16 (du mois) de Tebet ("décembre") ; Elle illumine l'Emašmaš [temple d'Ishtar à Ninive]. La Dame des pays sort, Reine Mullissu qui habite à [Ninive]."
La Dame des pays qui sort le 16 du mois de Tebet, qui représente la planète Venus et dont le mythe raconte la descente aux enfers [2] a de quoi alimenter la théorie du citoyen Dupuis, à l'instar  d'Osiris et Isis. Elle est la messagère (DIL.BAT) qui annonce le retour du soleil.

"Parallèlement s'opérait un premier travail de rapprochement entre l’année et la région écliptique même, limité toutefois au symbolisme des équinoxes et des solstices. Les astrologues grecs, suivant en celà une tradition qu’ils disaient chaldéenne, enseignaient que les planètes ont une influence plus grande dans les lieux où elles ont leur hypsôma ou exaltation (point élevé, maximum). Ils situaient ces (point élevé, maximum). Ils situaient ces lieux clans l’écliptique, aux degrés des signes marqués dans la figure 3. En comparant ces positions avec les fixes pour le début de Père chrétienne (vers 150 ap. J. C.), on retrouve assez exactement les régions du ciel que les assyro-babyloniens appelaient lieux du mystère des mêmes planètes. Il faut sans doute entendre par là que ces lieux avaient une signification magique particulière, apportant quelque révélation sur la nature divine ésotérique des astres en cause. Nous allons montrer qu’en effet, leur disposition répond à un symbolisme et à un plan voulus, liés au mythe solaire universel de l’année, mythe qu’il y avait lieu de tenir comme secret dans une religion astrale ordinairement dominée par la lune. C’était en quelque sorte la partie occulte de l’astrologie officielle. L’exaltation du soleil marquait à peu près l’équinoxe du printemps au —XIIe et —XIe s. Elle correspondait à la région de notre Bélier occupée par cet astre le 1er Nisan moyen, début de l’année religieuse. Cette région se levait héliaquement vers le 15 du même mois, date symbolique de l’équinoxe et milieu du printemps babylonien. Le « mystère du soleil » est donc tout simplement le triomphe mystique du jour sur la nuit et le renouvellement du cycle des mois. Le Bélier chaldéen s’appelait d’ailleurs KU.MAL, agrû, le travailleur en louage, image du dieu soleil qui « se loue » au début de chaque année pour accomplir les travaux de sa charge. A la suite du soleil, dans les Pléiades, l’exaltation de la lune marque la place du premier croissant de l’année luni-solaire et du calendrier vague. De l’autre côté, précédant le soleil sous la constellation d'Anunitum (Poisson boréal), Vénus étoile du matin (DIL.BAT, la messagère) annonce l’aurore de l’année et complète la  triade Sin-Shamash-Ishtar qui préside aux destins du pays et des récoltes." Extrait de Les origines chaldéennes du zodiaque de A. Florisoone.

On reviendra sur le rôle que joue Ishtar dans le retour du soleil, ou comme faiseuse de rois et d'empereurs...

MàJ 01092014 Article sur Ishtar

***

[1] Il semblerait que cela soit plutôt dû à une influence akkadienne (sémitique) sur les sumériens (non-sémitiques). Morris Jastrow
[2] Jastrow, Morris. "Descent of the Goddess Ishtar into the Lower World" (The Civilization of Babylonia and Assyria, 1915)

vendredi 11 janvier 2013

L'envergure des élans ailés



Le phénix (nom grec donné à l’oiseau Benou ou Bennu de la mythologie égyptienne) était l’hypostase du dieu Rê, le feu divin (le Soleil à son zénith) et représente l’âme. Le livre des morts dit : « Je suis l'Oiseau Bénou, l'Âme/cœur de Rê, le Guide des Dieux vers le Douât[1] ». Rê n’accomplit pas son trajet dans un char solaire, mais dans une barque solaire, qui est précédée par l’oiseau Bénou. Le phénix est ainsi associé à la planète Vénus[2] qui précède le Soleil pour le guider. "Le Benou était la planète Vénus qui disparaît chaque jour dans l’incandescence de l'aurore avant de réapparaître le lendemain."[3] Il vit sur la pierre benben[4], le tertre qui émergea de l'océan primordial sur lequel le soleil apparut pour la première fois, aussi appelé pour cette raison « l’île de la flamme ».


Le phénix chinois s’appelle fènghuáng (鳳凰). On ne lui attribue pas explicitement le pouvoir de renaître de ses cendres[5] comme l’oiseau Benou. Il est le souverain de tous les oiseaux et l’ennemi des serpents. Il est associé à la planète Vénus, à qui il sert de monture. Il est l’union du yin et du yang et a un plumage de cinq couleurs (rouge, azur,jaune, blanc et noir). Il vit sur la montagne Kunlun[6] mythologique, qui n’est pas la cordillère du Kunlun géographique, et qui se situe directement sous l’étoile polaire. Sous l’influence indienne, la montagne Kunlun fut associée au Mont Sumeru. Les taoïstes l’identifiaient au Paradis occidental (Mont Guixu - chez les bouddhistes chinois le paradis de Tejaprabha) en face du paradis oriental (Mont Penglai - chez les bouddhistes chinois le paradis de Bhaiṣajyaguru Vaidūryaprabha).


En Inde, le roi des oiseaux est le garuḍa qui servait de monture au dieu Vishnu. Son nom ancien védique est Śyena[7]. Le Purāṇa qui lui est consacré, le Garuḍa Purāṇa, a pour thème la vie et la mort, et est récité pendant les rites de crémation. Le garuda est l’ennemi des serpents (nāgā) qu’il porte d’ailleurs comme ornements. Le premier livre du Mahabharata raconte sa naissance.
« À l'âge d'or, donc (l'âge «parfait» du sanscrit), le Géniteur Prajāpati marie ses deux filles Kadrū et Vinatā à Kaśyapa («Tortue»), fils de Brahmā. Kaśyapa, satisfait de ses deux épouses, leur accorde à chacune un souhait : Kadrū veut avoir mille serpents comme descendance et Vinatā (mère des oiseaux) ne veut que deux fils, mais plus forts et plus grands que les fils de Kadrā. Au bout d'un long temps, toutes deux pondent leurs œufs, mais les mille serpents de Kadrā éclosent les premiers. Vinatā, dans son impatience, brise la coque de l'un de ses deux œufs et l'embryon inachevé qui en sort, avec la partie supérieure du corps seule formée, la maudit et s'envole pour devenir le cocher du char Soleil. Il promet l'esclavage à sa mère, mais, si elle a la patience d'attendre la naissance de son frère, celui-ci la délivrera de esclavage. Le second fils attendu est Garuḍa, le grand mangeur de serpents, qui quitte immédiatement sa mère en quête nourriture dès sa naissance. »[8] C’est lui qui dérobera l’amṛta des dieux. 
Dans le premier chapitre des Chants de Milarepa, composé par Tsangnyeun Heruka, Milarepa se compare à des animaux mythiques, parmi lesquels le garuḍa (T. khyung), qui peut traverser le ciel d’un seul coup d’aile.
« Je ne me considère pas humain
Je suis le fils du Garuda, roi des oiseaux
C'est à l'intérieur de l'oeuf que mes ailes ont poussé
Pendant mes années d'enfance, je dormais dans le nid
Pendant mes années d'adolescence, je gardais l'entrée du nid
Garuda adulte, je me lance (T. 'phangs) et je traverse (T. bcad) le ciel
Même si les cieux (T. gnam kha zheng) sont vastes, je n'ai pas peur
Même devant les régions aux gorges (T. sul) étroites (T. dog), je ne recule pas. »[9]

L'autolibération des signes (T. mtshan ma rang grol), attribué à Garab Dordjé reprend le thème du garuḍa (T. khyung) pour lui donner une interprétation plus intérieure : l’Intelligence (T. rig pa).
« Par exemple, le grand garuda, le roi ailé,
Même en séjournant dans la matrice, domine les êtres aquatiques
A l'intérieur de l'oeuf, les ailes poussent et se perfectionnent
Une fois sorti de l'oeuf, il traverse l'extérieur par la force de son envergure
Comment ce serait possible aux autres oiseaux ?
Mais c'est possible au grand garuda, qui est bien dans l'espace.
[De même] qu'il y ait accès ou non,
[l'Intelligence] (T. rig pa) est libre
Elle reste égale, maintenant et à l'instant suivant
L'état continu de cette égalité ne s'interrompt jamais
Ceux qui désirent se libérer par les neuf véhicules,
Ceux qui veulent se perfectionner, se purifier et se transformer
Sont dans leur bon droit, et bien dans le grand véhicule
Pourquoi y sont-ils bien ? Parce qu'ils sont dans le cours du corps spirituel, qui est la liberté universelle
Il n'y a rien qui ne soit pas libre dans le cours du corps spirituel. »[10] 
Le garuḍa peut traverser le ciel d’un coup d’ailes[11], mais ne recule pas non plus devant les passages étroits que sont « les neuf véhicules » (entrée simultanée et graduelle). L’Intelligence, le logos parcourt tous les mondes.

MàJ : L'oiseau Huma en Perse partage des ressemblances avec le garuda. C'est aussi un oiseau faiseur de roi. Si son ombre tombe sur une personne, il désigne le futur roi.

***

[1] La Douât est le lieu de séjour de Rê pendant les heures de la nuit. Par analogie, il s'agit du séjour des défunts après leur mort, en attendant qu'ils ressuscitent en même temps que le Soleil. Il s'agit d'un monde d'épreuves, divisé en douze heures.

[2] La planète Vénus est parfois appelée « l'étoile du bateau du Benou-Osiris ».

[3] Noosphère

[4] dérivé de la racine wbn « s'élever en brillant »

[5] Bien qu’appellé aussi oiseau de cinabre, qui symbolise l'été, le sud et l'élément feu. Le fameux oiseau de feu (Jar-ptitsa).

[6] Wikipedia « The term "Kunlun" is theoretically semantically related to the term Hundun, or, hundun (Chinese: 混沌; pinyin: hùndùn; Wade-Giles: hun-t'un; literally: "primal chaos" or "muddled confusion"), sometimes personified as a living creature: and, also semantically related is the term kongdong (Chinese: 空洞; pinyin: kōngdòng; Wade-Giles: k'ung-t'ung; literally: "grotto of vacuity"), according to Kristofer Schipper (1978: 366). Grotto-heavens were traditionally associated with mountains, as hollows or caves located in/on certain mountains. The term "Kunlun Mountain" can be translated as "Cavernous Mountain": and, the mythological Kunlun mountain has been viewed as a hollow mountain (located directly under the Pole Star), according to Schipper (1978: 365-366). »

[7] Aigle ou épervier en lequel Indra s'était transformé pour reprendre la liqueur d'immortalité [amṛta] volée par Śuṣṇa (Gerar Huet)

[8] Madeleine Biardeau, Le Mahabarata, p. 172

[9] mi nga dag nga rang mi zer te/nga ni bya rgyal khyung gi bu/sgo nga'i nang nas gshog sgro rgyas/phru gu'i lo la tshang du nyal/thong ba'i lo la tshang sgo bsrungs/khyung chen dar ma'i lo la nam 'phangs bcad/nga gnam kha zheng che rung ya mi nga /sa lung sul dog rung bag mi tsha/

[10] dper na 'dab chags rgyal po khyung chen des//
mngal na gnas kyang klu rnams zil gnon cing*//
sgo nga'i nang du 'dab gshog tshad du phyin//
sgong rgya bral dang phyi rgya rlabs kyis chod//
'dab chags gzhan la ci bde ga la rigs//
khyung chen rang la rigs te mkha' la bde//
rtogs dang ma rtogs med par grol ba dang*//
'di dang phyi ma med par mnyam pa dang*//
mnyam nyid ngang la rgyun chad med pa de//
theg dgu rgyud nas grol bar 'dod pa dang*//
shin tu sbyangs dang spangs dang sgyur 'dod pa//
gang la rigs te theg chen rang la bde//
ci bde thams cad bde chen chos sku'i klong*//
chos sku'i klong du ma 'grol 'ga' yang med//

[11] Quand le sage Narada avait demandé au dieu du vent Vayu de mettre à l’épreuve Mont Merou, il lui souffla dessus de toutes ses forces pendant un an. Mais garuḍa protegea Mont Merou de ses ailes, ce qui donne une idée de leur envergure.

Le tafsîr du Coran d’ibn Arabi dit que « Qâf est une montagne qui entourait l'univers et que derrière se trouvait un phénix recouvrant le tout et qu'il est le voile de Dieu ».

mercredi 9 janvier 2013

Tejaprabha, le bouddha invisible



Jeffrey Kotyk, de l'excellent blog Flower Ornament Depository a publié un billet sur l'ethnicité dans l'art bouddhiste de la dynastie Tang, dans lequel il présente une peinture sur soie, datée de 897, redécouverte dans les grottes de Dunhuang. Elle représente le bouddha Tejaprabhā[1] (Éclat de feu T. gzi brjid mdangs ?), entouré des cinq planètes sous une forme anthropomorphe. Ce n'est qu'après l'arrivée du bouddhisme en Chine, que les cinq planètes furent ainsi représentées sous forme humaine/divine. Les indiens avaient à leur tour été influencés par les grecs en ce qui concerne les représentations anthropomorphes.

Jeffrey mentionne des points de convergence entre cette représentation chinoise et le texte astrologique Brahmahoranavagraha (梵天火羅九曜, Taishō 1311) traduit en chinois par Yijing 一行 (683-727), un disciple de Śubhakarasiṃha 善無畏 et de Vajrabodhi 金剛智. Jeffrey compare les figures représentées sur la peinture avec celles que l’on trouve illustrées dans la traduction chinoise du Brahmahoranavagraha (T. 1311).

Les cinq planètes, qui sont celles visibles à l'oeil nu des astronomes chinois, étaient aussi associées aux cinq éléments. Jeffrey établi les correspondances suivantes : Mercure (femme en noir), Jupiter (magistrat en bleu), Saturne (l’ascète avec le boeuf), Vénus (la dame en blanche, qui rappelle d’ailleurs Sù nǚ, 素女), et Mars (le guerrier rouge).Les cinq planètes portent des coiffes surmontés d'une tête d'animal d'une espèce différente pour chaque planète. Le soleil, la lune et ces cinq planètes ont d'ailleurs donné leurs noms aux jours de la semaine. Il existe d'autres représentations des cinq planètes avec une répartition différente.


On remarque que les animaux, que portent les planètes sur leurs coiffes, sont les mêmes que ceux qui servent de monture. Il s'agit probablement de montures qui peuvent être "abrégées" iconographiquement en coiffant les têtes des planètes avec la tête de la monture. Vénus porte dans sa chevelure une tête d'oiseau. Sur l'image ci-dessus, cet oiseau ressemble au phénix. Dans la mythologie égyptienne, le phénix (benou / bennu) "représentait la planète Vénus qui précède le Soleil pour le guider". "Le Benou était la planète Vénus qui disparaît chaque jour dans l’incandescence de l'aurore avant de réapparaître le lendemain." Il est possible que cette Vénus jouant d'un instrument à corde (C. pipa) qui a pour monture un oiseau est associée à la représentation de la dame blanche Sù nǚ (素女), ainsi qu'à la déesse indienne Sarasvatī. En Chine, le phénix (鳳凰 fènghuáng) "est souvent associé au dragon (dont il est parfois considéré comme le père) qui est son pendant masculin".


Le bouddha Tejaprabhā est souvent représenté, comme ici, en tenant une roue en or et assis sur un chariot tiré par un bœuf. Les rituels adressés à Tejaprabhā ont principalement pour but d’éviter les calamités naturelles. Il peut être représenté côtoyé par deux bodhisattvas, Sūryaprabhā et Candraprahbhā, respectivement Éclat solaire et Éclat lunaire. Hormis les cinq planètes visibles, Tejaprabhā peut encore être représenté en compagnie des deux planètes invisibles, Rāhu (qui dévore le Soleil ou la Lune durant les éclipses) et Ketu (divinité du solstice d'hiver).


Le fait que Tejaprabhā tient une roue en or (solaire, ou de Dharma dans un contexte bouddhiste) dans sa main et qu’il est assis sur un chariot tiré par un bœuf fait iconographiquement penser au char solaire d’Hélios.  La représentation anthropomorphe grecque aurait-elle suivie la route de la soie ? Dans l'illustration du Brahmahoranavagraha chinois (T. 1311), le soleil (Sūryaprabhā) est d'ailleurs représenté avec des chevaux (image ci-dessus).   


Mais hiérarchiquement, l'éclat (S. teja[2] T. gzi brjid) de Tejaprabhā est supérieure à l'éclat du soleil (et de la lune). Sur la représentation, son chariot se dirige par ailleurs vers l’ouest. Le bœuf est guidé par Saturne/Cronos (un ascète brahmane, car l’Inde est à l’ouest ?). La représentation de Saturne (le Temps, « Old Father Time ») sur le bœuf rappelle encore celle de Lao-tseu (« le Vieux ») quittant la Chine pour aller à l’ouest. Pour y devenir le Bouddha et pour enseigner le bouddhisme diront certains. D’ailleurs, Bodhidharma serait venu de l’ouest. Sur une représentation plus rare, on le voit monté sur un éléphant blanc (comme Samantabhadra ?) retournant vers l’ouest comme Saturne et Lao-tseu ? Sans doute une tentative iconographique de l’ancrer à la fois dans la gloire de Lao-tseu et de Samantabhadra de la part des spin doctors d’antan. 


L'histoire derrière Bouddha Tejaprabhā est vraiment très intéressante et à explorer davantage. L'article d'Anning Jing intitulé "The Yuan Buddhist Mural of the Paradise of Bhaiṣajyaguru (T. sangs rgyas sman bla)" apprend déjà beaucoup de choses sur ce bouddha mystérieux, qui semble dans un premier temps avoir fait miroir avec Bhaiṣajyaguru, avant d'être tout à fait substitué par ce dernier, voire par Amitābha, le Bouddha de la lumière infinie. Le paradis de Bhaiṣajyaguru se situe à l'est, celui d'Amitābha à l'ouest. Les deux compagnons de Tejaprabhā, Sūryaprabhā et Candraprahbhā (le soleil et la lune), sont aussi devenus ceux de Bhaiṣajyaguru.


Selon Anning Jing, Tejaprabhā apparaît sur la scène relativement tardivement. C'est seulement vers le neuvième siècle qu'il est représenté en compagnie des cinq planètes. C'est ici que cela devient vraiment intéressant. Tejaprabhā est représenté comme Beidou, le grand ours (ursa major), et plus précisément l'étoile polaire, qui contrôlait toutes les étoiles dans le ciel et tous les hommes sur la terre. Comme l'astronomie prenait une place cruciale dans les affaires religieuses, politiques, sociales et économique de la vie dans la Chine ancienne, les bouddhistes chinois devaient suivre le système astronomique chinois en accordant la même importance à Beidou, qui dans le contexte bouddhiste devint Tejaprabhā... (Anning Jing, p. 156). 

Dans le taoïsme, le culte de l'étoile polaire est ancien. Ge Hong (284-364) avait écrit une méthode pour faire le culte de Beidou (Ge xiangong  li beidou  fa), et expliqua que tous les humains, des gouvernants aux sujets ordinaires, étaient sous le contrôle des sept étoiles de Beidou, qu'il fallait vénérer afin d'éviter des calamités. Ce culte remonterait même à l'astronome han Zhang  Hengs (78-139) qui avait développé un système céleste dans lequel Beidou prenait la place centrale, et où le soleil représentait le principe masculin Yang, la lune le principe féminin Yin, et les cinq planètes visibles les cinq éléments. La représentation bouddhiste de ce montage taoïste est le bouddha Tejaprabhā entouré du soleil et de la lune (yang et yin) et des cinq planètes (5 éléments), tout en émanant des quintuples lumières. Bhaiṣajyaguru, bleu, prendra sa place et laissera à son tour la place centrale à des archibouddhas célestes au corps bleu, rayonnant des quintuples lumières.

Le tejas dans le nom Tejaprabhā, n'est pas le feu ou la lumière ordinaire. C'est le feu céleste, le feu ou la lumière invisible, intérieure ou noire, le soleil de minuit. L'étoile polaire correspond selon Henry Corbin, dans un autre contexte, au nord cosmique, à l'Orient-origine, au pôle céleste, le Centre (madhya).
"Projetée au zénith, l'Image primordiale du centre que le mystique éprouve en lui-même, autour duquel il révolue intérieurement, lui fait alors percevoir l'Étoile polaire comme symbole cosmique de la réalité intérieurement vécue. Sanctuaire intérieur et Rocher d'émeraude sont alors simultanément le seuil et le lieu des théophanies, le pôle d'orientation, la direction d'où se montre le guide de lumière. Tel nous allons le voir se montrer dans les visions d'un grand maître soufi de Shîrâz, et tel aussi le pourrait analyser une phénoménologie de la prière, s'attachant au fait que les Mandéens, les Sabéens de Harran, les Manichéens, les Bouddhistes d'Asie centrale prennent le nord comme qibla (axe d'orientation) de leur prière." (L'homme de lumière dans le soufisme iranien, p. 58)     
Pour une belle peinture murale de l'assemblée de Tejaprabhā. dans le Nelson Atkins Museum Of Art. Il y a encore beaucoup de choses à explorer au sujet de Tejaprabhā et de l'influence taoïste sur le bouddhisme. Si vous avez des informations, des précisions, des corrections ou des ajouts à ce billet "brainstorming", n'hésitez pas d'en faire part dans les commentaires.
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Première illustration : "Bouddha Tejaprabhā et les cinq planètes" de Qianning 乾寧四年 (897) 熾盛光佛并五星圖 par Zhang Huai Xing 張淮興.

Les illustrations provenant de la version chinoise du Brahmahoranavagraha (梵天火羅九曜, Taishō 1311) apparaissent sur cette page.

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MàJ 31012013 Carte du ciel chinois (7ème siècle, Dunhuang)

Notes :

[1] Sur l'étoile polaire. Tejaprabha en Corée. « Besides, Tejaprabha, the Buddha who personnifies the North Star, is represented in paintings as the principal deity presiding over an attendant group of Daoist origin, and these works have the characteristics of controlling natural disasters and warding off misfortunes. » IDENTITY OF GORYEO BUDDHIST PAINTING, Chung Woothak dans The International Journal for Korean Art and Archeology, volume 4, 2010. Ce n’est peut-être pas tant l’étoile polaire que la « lumière du nord, lumière-origine, pure lumière intérieure qui n’est ni de l’orient ni de l’occident : les symboles du nord font éclosion spontanément autour de cette intuition centrale qui est l’intuition du centre. » Henry Corbin, L’homme de lumière dans le soufisme iranien, p.54

[2] tejas [tij] n. [«pointe de la flamme»] flamme, chaleur; effulgence, éclat, splendeur | ardeur; énergie vitale, vigueur; fougue; force; force virile, sperme | force spirituelle, puissance, influence morale; gloire, dignité, majesté

[3] Cette opposition de deux paradis, oriental et occidental a pu être inspiré par le taoïsme. Wikipedia : (Christie, 1968:75) Another trend argued in some recent research, is that over time, a merger of various traditions has result in an alignment of earthly paradises between an East Paradise (identified with Mount Penglai) and a West Paradise, with Kunlun Mountain identified as the West Paradise, a pole replaced a former mythic system which opposed Penglai with Guixu ("Returning Mountain", and the Guixu mythological material accumulating around Kunlun instead, through a process of merging these two original mythological systems (Yang, et al, 2005:163).