Affichage des articles dont le libellé est Dumuzi. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Dumuzi. Afficher tous les articles

mardi 27 août 2013

Pour faire un roi ou un cakravartin ?



Le jour du solstice d'hiver est le jour le plus court de l'année et le début du retour du soleil. Ce jour s'appelait Jupiter stator (ou stationnaire) et représentait la renaissance de l’espérance, natalis solis invicti, ou Noël. Ce jour, Vénus, l’étoile du Matin, se lève avant le soleil. Elle annonce son retour.

Ou bien, elle va chercher le dieu solaire dans les enfers pour le raviver et pour le ramener. « Le solstice d'été est le maximum de sa gloire. À l’équinoxe d'automne, les ténèbres ne l’emportent pas encore sur la lumière ; mais la force de la chaleur est diminuée, et le soleil est privé de sa vertu génératrice. » C’est Vénus qui se charge de rallumer le feu du « dieu mourant ». C’est Vénus qui a le pouvoir de ramener le soleil. D’où l’importance que certains donnent à l’étoile du Matin.

Uruk (ou Ourouk, Erech) était une ville sumérienne, et plus tard babylonienne, dans le sud de l'Irak. La population était un mélange de sumériens (non-sémitiques), venus de la montagne, et d’akkadiens (sémitiques) vivant de l’agriculture. Dans cette ville fut célébré le culte d’Innana (nom sumérien) ou Ishtar (nom sémitique). Cette divinité cherchait un roi comme mari, qu’elle élèverait au rang de divinité par un mariage sacré, l'union de deux principes.

« Inanna éconduit d’abord Dumuzi le berger[1], lui préférant son rival, le fermier Enkimdu, et il faut toute l’éloquence persuasive de son frère, le dieu-soleil Utu, et celle de Dumuzi, pour la faire changer d’avis. »[2]

Elle se prend de passion pour Dumuzi et lui compose un hymne à sa vulve, « la comparant à une corne [d’abondance ?], à un « vaisseau du ciel », au croissant de la nouvelle lune, à une terre en jachère, à un champ élevé, à un monticule. » Voire au dharmodaya (T. chos 'byung) de Vajra Vārāhī ?

« Pour moi, ma vulve,
Pour moi, le monticule élevé,
Pour moi, la vierge, pour moi, qui la labourera ?
Ma vulve, terre arrosée, pour moi,
Moi, la Reine, qui amènera le taureau ? »

A quoi le berger Dumuzi répond :

« Ô Dame Souveraine, le roi la labourera pour toi,
Dumuzi, le roi, la labourera pour loi. »

Et la déesse de rétorquer joyeusement :

« Laboure ma vulve, homme de mon cœur. »[3]

Et c’est le berger (sumérien des montagnes) Dumuzi qui deviendra le roi d’Uruk en labourant sa Reine. Le berger, devenu roi, devient du même coup un dieu, un dieu solaire. Quand il disparaît dans les enfers (les mois d’hiver), Inanna/Ishtar/Vénus y descendra pour l’en sortir. Car dans les champs plus rien ne pousse, et il n’y a plus de naissances dans le pays. Dumuzi est sorti des enfers, devenant du même coup immortel, et l’opulence revient dans le pays. C’est le mythe qui alimente ou qui doit justifier le rite du mariage sacré, par lequel tout roi futur d’Uruk deviendra l’amant de la déesse.

« A l’origine rite local d’Erech, le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna est devenu au cours des siècles une célébration nationale où le roi de Sumer, par la suite roi de Sumer et Akkad, prit la place de Dumuzi en tant que son avatar ou incarnation mystique. Quoique nous n’ayons aucun moyen de savoir à quelle date précise cela eut lieu, c’est-à-dire quel fut le premier chef sumérien qui célébra ce rite en tant que Dumuzi réincarné, on peut vraisemblablement situer le fait vers le troisième quart du IIIe millénaire, au moment où les Sumériens devenaient de plus en plus nationalistes. »[4]

Le rite qui se développe comportera un Hymne à Shulgi, dans lequel la déesse dit à l’avatar de Dumuzi dont elle fait un roi :

« Dans la bataille je suis ton chef, dans le combat je suis ton [écuyer],
Dans rassemblée je suis ton défenseur,
A la guerre je suis ton inspiration,
Toi, le berger élu du sanctuaire (?) saint,
Toi, le roi, le fidèle pourvoyeur d’Eanna,
Toi, le luminaire du grand sanctuaire d'An,
De tout tu es digne,
De porter haut la tête sur l'estrade élevée, tu es digne.
De t'asseoir sur le trône de lapis-lazuli, tu es digne,
De couvrir ta tête de la couronne, tu es digne,
De porter sur ton corps de longs vêtements, tu es digne.
De te ceindre toi-même des vêtements de la royauté, tu es digne,
De porter la masse et l'arme, tu es digne.
De diriger droit l'arc allongé et la flèche, tu es digne.
De fixer l'arme de jet et la fronde à ton côté, tu es digne,
Du sceptre saint en ta main, tu es digne,
Des sandales saintes à tes pieds, tu es digne,… »

Ce rite était sans doute accompli la veille du jour du nouvel an. Pourquoi pas au solstice d’hiver ? Et il était suivi le lendemain d’un banquet plantureux, où l’on mangeait et buvait abondamment au son de la musique et des chants. On ne sait pas si ce rite était célébré tous les ans et qui prenait la place de la déesse, qui était baignée, parfumée, habillée et sur la tête de laquelle on mettait une perruque.

On pense que ce rite et les hymnes associés peuvent être le prototype du Cantique des cantiques biblique. Il n’est pas exclu que les rois sumériens et babyloniens et les rites associés aient pu avoir une influence sur des souverains asiatiques. Ils ont certainement eu de l’influence sur la Grèce.

Marcel Detienne écrit :

"Le combat de Zeus contre les Titans et la bataille contre Typhée ont suggéré à F. M. Comford de précieuses comparaisons avec les théogonies de Babylone et plus particulièrement avec le combat de Marduk contre Tiamat. La comparaison s’est révélée fort instructive, car Babylone offre l’exemple d’une civilisation où le récit mythique est encore vivant, où il s’articule étroitement à un rituel. Tous les ans, le quatrième jour de la fête royale de Création de la Nouvelle Année, le roi mimait le combat rituel qui répétait l’exploit accompli par Marduk contre Tiamat. En même temps que se déroulait le rituel, on récitait le poème de la Création, l’Enuma Eliš."

Si, comme l’écrit Ronald Davidson[5], le rite de la consécration (S. abhiṣeka T. dbang) du bouddhisme ésotérique était calqué sur le rite de consécration des souverains indiens (indo-aryens ?), pourquoi n’inclurait-il pas les rites nécessaires pour amener la fécondité et la fertilité dans un pays ? Strickmann[6] rappelle que le tantrisme s’enracine profondément dans les rituels védiques, effectué par les « maîtres de vérité » que furent les officiants brahmanes qui avaient pour effet de renforcer le pouvoir du roi et d’assurer la prospérité et l’harmonie du peuple. Et cela à travers les mythes et la réactualisation de ces mythes dans les rituels.

***

[1] « Moi, le berger, je ne veux pas l'épouser,
Je ne veux pas porter ses vêtements rugueux,
Je ne veux pas accepter sa laine grossière,
Moi, la vierge, je veux épouser le fermier,
Le fermier qui fait pousser maintes plantes,
Le fermier qui fait pousser abondance de grains. »
Un rapprochement fut fait entre ce passage du mythe et l'histoire de Caïn et Abel dans la Bible.

[2] Kramer Samuel-Noah. Le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna. In: Revue de l'histoire des religions, tome 181 n°2, 1972. pp. 121-146. doi : 10.3406/rhr.1972.9833 url :

[3] Le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna

[4] Le Rite de Mariage Sacré Dumuzi-Inanna

[5] Indian Esoteric Buddhism, p.122

[6] Mantras et mandarins, le bouddhisme tantrique en Chine, Gallimard, p. 39

dimanche 25 août 2013

Ishtar, la déesse assistante de dieux solaires



La déesse Ishtar/Inanna est fascinante et sans doute une clé à de nombreux mystères.

La photo du relief ci-dessus se trouve au British Museum. Il y est appelé Relief de Burney ou Relief de la Reine de la nuit, qui date d'entre 1800 et 1750 av. J.C. Il aurait été retrouvé dans le sud de l'Iraq. On a détecté de traces de pigment rouge (ocre rouge) sur le corps de la déesse, sur ses ailes ainsi que sur les ailes des deux chouettes. Sur toutes les ailes, on trouve aussi des traces de blanc et de noir. Les cornes de la déesse ainsi que son collier étaient jaunes, les deux lions blancs. Les cheveux et les sourcils de la déesse et les crinières des lions étaient noirs. Ses cheveux très stylisés [MàJ il s'agit d'une tiare à six cornes, Thomas Römer] pourraient représenter une perruque. Elle tient dans ses mains les symboles de la baguette et de l'anneau (différentes interprétations, p.e. Baguette bleue et Cercle rouge). Ses jambes finissent en pattes d'oiseau.

Ishtar est le nom que lui donnent les Assyriens et les Babyloniens. Les Sumériens l'appelaient Inanna. Elle était à la fois la déesse de l'amour et de la guerre, elle a un aspect hermaphrodite. Elle tient à la fois d'Aphrodite et de Pallas Athéna.
"Femme, elle était aussi mâle et elle est occasionnellement représentée avec une barbe[1]. En assumant un caractère androgyne, elle était comme la planète Vénus, qui était féminine en tant qu'Étoile du soir mais mâle, en tant qu'Étoile du matin, et elle possédait le pouvoir de changer les femmes en hommes et les hommes en femmes." "Elle est souvent représentée debout sur un lion ou une panthère et est dénommée "la lionne" ou "la vache sauvage qui donne un coup de corne à l'ennemi". Source : Digitorient, Collège de France.


Elle a de multiples noms et de multiples aspects, sans doute apparus au cours de son évolution, avec divers eumprunts. 
La multiplicité et la nature controversée d'Ishtar était déjà complètement réalisée dans l'Antiquité et était partie intégrale et intentionnelle de son image. Un hymne louant la déesse en tant que Nanaya commence avec ces mots:
« Sage fille de Sin, bien-aimée sœur de Shamash, je suis la Puissante à Borsippa;
je suis l'Hiérodule à Uruk, j'ai une lourde poitrine à Daduni,
j'ai une barbe à Babylone, mais je suis(en fait) Nanaya
. » Digitorient
Elle est aussi représentée par une étoile à huit branches, l'Étoile du soir et l'Étoile du matin, encore appelée l'Étoile du berger. Cette étoile n'est autre que la planète Venus. Elle peut être vue avant le lever du soleil et après le coucher du soleil, et serait ainsi un repère pour les bergers. Les mythes la font précéder le soleil. Ou peut-être c'est le soleil qui lui court après...

Les mythes font d'ailleurs d'un berger, Dumuzi, le mari d'Ishtar "par un très ancien rite de mariage sacré (hiérogamie)." Un berger, qu'elle rendra roi, tout en faisant figure de remplaçant. Cet aspect du mythe sert de justification (s'il en est besoin...) à l'hiérogamie. 
Chaque année au nouvel an, le souverain était tenu « d’épouser » l’une des prêtresses d’Inanna, afin d’assurer la fertilité des terres et la fécondité des femelles. Ce fut sûrement tout d’abord un rite propre à Uruk, qui s’est ensuite généralisé vers la fin du IIIe millénaire.
Le roi remplace le dieu Dumuzi du mythe, et l’union avec la prêtresse (hiérodule), représentante de la déesse, a lieu dans l’Eanna. Les festivités étaient très joyeuses et se déroulaient dans l’allégresse. Wikipedia
Un hymne d'Assurbanipal la loue dans les termes suivants :
"Ô Palmier, Dame de Ninive, Cerf des pays! Elle est glorieuse, très glorieuse, la plus sainte des Déesses!
Ô inclyte Emašmaš, résidence d'Ishtar, Reine de Ninive! Tel Aššur, elle a une barbe et elle est revêtue de brillance!
La couronne sur sa tête brille comme les étoiles; les disques solaires sur sa poitrine brillent comme le soleil!
Ô Ziggourat, orgueil de Ninive, entourée par les nuages! Le 16 (du mois) de Tebet ("décembre") ; Elle illumine l'Emašmaš [temple d'Ishtar à Ninive]. La Dame des pays sort, Reine Mullissu qui habite à [Ninive]."
La Dame des pays qui sort le 16 du mois de Tebet, qui représente la planète Venus et dont le mythe raconte la descente aux enfers [2] a de quoi alimenter la théorie du citoyen Dupuis, à l'instar  d'Osiris et Isis. Elle est la messagère (DIL.BAT) qui annonce le retour du soleil.

"Parallèlement s'opérait un premier travail de rapprochement entre l’année et la région écliptique même, limité toutefois au symbolisme des équinoxes et des solstices. Les astrologues grecs, suivant en celà une tradition qu’ils disaient chaldéenne, enseignaient que les planètes ont une influence plus grande dans les lieux où elles ont leur hypsôma ou exaltation (point élevé, maximum). Ils situaient ces (point élevé, maximum). Ils situaient ces lieux clans l’écliptique, aux degrés des signes marqués dans la figure 3. En comparant ces positions avec les fixes pour le début de Père chrétienne (vers 150 ap. J. C.), on retrouve assez exactement les régions du ciel que les assyro-babyloniens appelaient lieux du mystère des mêmes planètes. Il faut sans doute entendre par là que ces lieux avaient une signification magique particulière, apportant quelque révélation sur la nature divine ésotérique des astres en cause. Nous allons montrer qu’en effet, leur disposition répond à un symbolisme et à un plan voulus, liés au mythe solaire universel de l’année, mythe qu’il y avait lieu de tenir comme secret dans une religion astrale ordinairement dominée par la lune. C’était en quelque sorte la partie occulte de l’astrologie officielle. L’exaltation du soleil marquait à peu près l’équinoxe du printemps au —XIIe et —XIe s. Elle correspondait à la région de notre Bélier occupée par cet astre le 1er Nisan moyen, début de l’année religieuse. Cette région se levait héliaquement vers le 15 du même mois, date symbolique de l’équinoxe et milieu du printemps babylonien. Le « mystère du soleil » est donc tout simplement le triomphe mystique du jour sur la nuit et le renouvellement du cycle des mois. Le Bélier chaldéen s’appelait d’ailleurs KU.MAL, agrû, le travailleur en louage, image du dieu soleil qui « se loue » au début de chaque année pour accomplir les travaux de sa charge. A la suite du soleil, dans les Pléiades, l’exaltation de la lune marque la place du premier croissant de l’année luni-solaire et du calendrier vague. De l’autre côté, précédant le soleil sous la constellation d'Anunitum (Poisson boréal), Vénus étoile du matin (DIL.BAT, la messagère) annonce l’aurore de l’année et complète la  triade Sin-Shamash-Ishtar qui préside aux destins du pays et des récoltes." Extrait de Les origines chaldéennes du zodiaque de A. Florisoone.

On reviendra sur le rôle que joue Ishtar dans le retour du soleil, ou comme faiseuse de rois et d'empereurs...

MàJ 01092014 Article sur Ishtar

***

[1] Il semblerait que cela soit plutôt dû à une influence akkadienne (sémitique) sur les sumériens (non-sémitiques). Morris Jastrow
[2] Jastrow, Morris. "Descent of the Goddess Ishtar into the Lower World" (The Civilization of Babylonia and Assyria, 1915)