lundi 9 décembre 2013

A est A ?



Aristote énonce les trois principes sans lesquels aucune pensée n'est possible:
1. Le principe d'identité : A est A;
2. Le principe du tiers exclu : si deux propositions sont contradictoires, alors l'une est vraie et l'autre fausse;
3. Le principe de non contradiction: on ne peut pas à la fois affirmer deux propositions contradictoires.
Ces trois principes s’appuient sur les thèses de l’être et du non-être de Parménide. C’est la nature propre de l’être qui constitue alors l’identité. Le principe du tiers exclue s’appuie sur l’idée que X est être ou non-être, sans qu’il y ait de troisième possibilité. Et le principe de non contradiction reprend sa thèse que X ne peut pas être à la fois être et non-être.

Héraclite se positionne à l’exact opposé des trois principes. Il rejette la logique des trois principes et s’appuie plutôt sur la nature. Pour Héraclite les choses sont en transformation continue. Le feu devient mer et s’éteint en terre (fragment 82 ou 31). On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve (fr. 134 ou 91). Le fragment 133 (ou 49a) semble être en désaccord avec les principes du tiers exclu et de non contradiction :
« Nous entrons et nous n’entrons pas dans les mêmes fleuves ; nous sommes et nous ne sommes pas. »[1]
Très tôt (6ème siècle av. J.-C.), une philosophie de l’être et une philosophie de la nature semblent co-exister. En Grèce, mais aussi en Inde. Elles proposent deux « voies de salut » différentes : identification avec l’être (éventuellement en toutes ses diverses manifestations) et dissociation (vimokṣa) à la fois du non-être et de « l’être ». La dernière voie évoluera vers un scepticisme absolu et radical (pyrrhonisme et madhyamaka). Le problème de « l’être » étant qu’il n’est pas tel qu’on peut le dire ou penser. Il ne s’agit donc pas de s’identifier avec un « être » que l’on dit ou pense, et qui ne peut être qu’un reflet de l’être véritable. Et avec une évolution plus tardive, où il ne s’agit plus de se dissocier du non-être, car c’est au fond exactement le même cas de figure que l’identification à l’être, mais en creux. De toute façon, l’identification, étant un acte, est souvent considéré comme un ajout. Il en va de même pour la dissociation. Les deux philosophies et « voies de salut » semblent se rencontrer en des théories de non-dualité. Une non-dualité plutôt tournée vers l’être et une autre tournée vers la nature.

On retrouve ce thème dans Les Transformations silencieuses de François Jullien

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[1] Marcel Conche, Héraclite, Fragments, p. 455

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