mercredi 4 décembre 2019

Magie maximaliste et minimaliste


La grenouille suit les 5 facteurs de la magie astrale d’Al-Kindi, et en plus elle agit au moment opportun. Cependant elle n’a aucune conscience de la sympathie universelle ni de la magie (Youtube)
Il y a différentes configurations et approches de la magie, qui peuvent partager un ou plusieurs facteurs de la magie astrale d’Al-Kindi (puisque j’avais commencé cette série par lui) :
1. le désir
2. l’image mentale
3. la certitude de l’effet futur
4. l’expression verbale (formule, mantra, voeu, souhait,...)
5. l’opération manuelle (rituel, sacrifice)
6. jour faste (astrologie)
La magie astrale demande à ce qu’on visualise, verbalise et gestualise (corps, parole et esprit) son désir. Ce triple acte “commandera” une sympathie universelle, une production conditionnée, le Ciel, Quelque chose, des daimons, des anges, des saints etc. de faire advenir ce que l’on désire réellement sous la forme d’une supplication appuyée, adjuration, volonté etc. La magie peut être maximaliste (magie antique) ou minimaliste (Nouvelle pensée, pensée positive, méthode Coué,...), mais “la certitude de l’effet futur” semble être indispensable pour que cela fonctionne. Celle-ci s’incrit dans une croyance (idéologie) plus large. Qu’est-ce qui nous fait croire que ce que nous voulons qu’arrive arrivera réellement ? Quelqu’un ou quelque chose nous ferait une faveur (magie antique) ? Autorisons-nous à penser que l’on mérite telle faveur ou qu’on la nous doit ? En échange de quoi ? Quel troc, pacte, droit ou privilège réel ou imaginaire, voire quelle connaissance d’une récursivité (magie naturelle), est à la base de “la certitude de l’effet futur” ? La magie semble capable de beaucoup de choses, mais ne peut pas nous protéger contre la vieillesse, la maladie et la mort. C’est face à ces vérités, et envers et contre elles, que s’installent les spéculations, les croyances et les certitudes. La sympathie universelle et la production conditionnée etc., en tant que possible ne peuvent finalement rien contre cela. Si tout est dans tout et réciproquement, la loi de la sympathie universelle avec ses applications devrait être réellement universelle et accessible à toutes les “créatures”, infiniment grandes ou infiniment petites, que la loi soit connue par elles ou non et quel que soit leur niveau de “conscience” et de “volonté”.

La magie (divine, antique, astrale, naturelle,...) semble surtout servir à obtenir des courts répits ou des arrangements temporaires. Son effet ne dure pas. De nouveaux actes de magie sont nécessaires. Cette nécessité de répétition évoque l’idée d’un rituel et d’une idéologie qui se maintient par des rappels et des rituels répétés. Les remémorations et les rituels peuvent même être les conditions pour la reproduction ou le maintien de l’idéologie dont ils procèdent. Cela pourrait d’ailleurs être leur principale fonction.

S’il y a une chose dont un être humain ne peut pas être certain, c’est bien du futur. D’où sort-il alors une certitude quant à un effet futur ? Bluffe-t-il ? Une certitude bluffée, afin d’obtenir quelque chose de précis et qui fait penser à la foi, ou à une certaine forme de foi.Une foi qui déplace les montagnes et fait fuir la vieillesse, la maladie et la mort. Une foi qui n’a au fond pas tellement confiance en l’avenir, et qui préfère être certain d’un effet futur spécifique, pour le faire arriver ? Un effet futur d’ailleurs garanti par des “sages” (porteurs d’un savoir ou plutôt d’une gnose), si tous les paramètres de la magie sont au vert.
“4. Si [les gens ordinaires] connaissaient pleinement l'ensemble des causes, ils adhéreraient fermement à une seule des hypothèses, c'est-à-dire à celle que ces causes démontreraient. Cependant, même ceux qui sont parvenus à saisir l'universel connaissent tout ce qu'ils savent grâce à la sensation et non à partir de la cause, du fait de l'habitude acquise par la sensation dans sa rencontre avec les choses singulières ; c'est pourquoi ils jugeront, par une idée claire, que l'une ou l'autre des hypothèses est possible. Le sage par contre, qui a effectué la connexion causale, sait que l’une est nécessaire et l’autre non. Ainsi donc, tous les hommes pensent que la plupart des choses sont contingentes, et à cause de cela ils désirent ce qu’ils considèrent comme possible, alors que, s’ils avaient examiné attentivement toutes les circonstances, ils sauraient que certaines choses sont impossibles en raison de causes existant nécessairement. Ils ne croiraient pas que celles-ci puissent advenir, et ne concevraient à leur égard ni désir, ni espoir ni crainte. Car ce qui est conçu comme impossible ne produit pas de telles affections de l’âme. En effet, nous ne désirons, espérons et craignons que ce qui est contingent et possible. C’est donc l’ignorance humaine qui est la cause de l’opinion sur les événements futurs, et par conséquent c’est elle qui est la cause du désir, de l’espoir et de la crainte. D’une autre manière, l’imperfection de l’existence en est aussi la cause.” (De radiis, Al-Kindi)
Les sages (ceux ayant accès au Savoir) connaissent le possible, qui est invisible aux êtres ordinaires. Ils savent ce qui est possible et quelles causes produiront quels effets. Les sages d’antan ressemblent d’ailleurs en cela aux experts d’aujourd’hui. Une fois le possible expliqué, il faut le désirer, s’en faire une image mentale, être certain qu’il arrive, etc., pour que la magie opère. Si la magie n’opère pas, c’est que des rayonnements perturbateurs ou opposés ont dû l’en empêcher.

On peut regarder l’évolution de la magie (antique, naturelle, astrale, imagination créatrice, etc.) à la façon d’un historien, mais comme toute évolution, les formes anciennes peuvent perdurer et cohabiter avec les formes les plus récentes. Celui qui est prêt à tout tenter pour arriver à ses fins, pourrait même les combiner toutes, minimalistes comme maximalistes, façon New Age. Comme les traditions ont horreur de se séparer d’éléments anciens voire obsolètes, elles les transmettent toutes - si nécessaire sous des formes adaptées ou atténuées - sait-on jamais ? Mais les idéologies très différentes, qui accompagnent et encadrent les différentes formes de magie, peuvent-elles réellement cohabiter ? Et peuvent-elles cohabiter avec les sciences contemporaines ?

Depuis longtemps, des spiritualistes appellent de leurs voeux une alliance entre la sagesse (savoir traditionnel, gnose) et la science. Des rencontres à cet effet sont organisées, à l’initiative des spiritualistes, qui ont la volonté de prouver une forme de primauté de l’Esprit, et qui croient que leurs traditions respectives ont toujours de quoi alimenter les scientifiques, comme si l’histoire n’était pas passé par là ou comme s’il s’agissait de corriger les choix faits dans le passé[1]. Ne doutons pas que chaque brèche dans les remparts du “matérialisme” sera exploitée à fond. C’est à travers ces brèches que des traditions entières essaieront de s’engouffrer par la suite. Magies minimalistes en premier, les magies maximalistes suivront. Cette tendance millénaire semble inépuisable.


Lire Effet de la plus ancienne religiositédans Le Gai Savoir de Nietzsche.
Relire Un bouddhisme théiste, sur la détection hypersensible d’agents intentionnels




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[1] On voit cependant un refus cyclique des efforts du spiritualisme de reprendre le dessus, dans l’évolution de la pensée occidentale tout en validant des formes de spiritualisme dilué. Interdiction de la sorcellerie et de la magie en fin du Moyen-Âge, Réformation, l’évolution des sciences empiriques, Lumières-Anti Lumières-Romantisme,... A chaque fois un autre projet pour allier l’intellectualité et la spiritualité revient. Et à chaque fois la spiritualité semble vouloir retourner vers son connu, sans se renouveler réellement. La foi fait rarement un saut dans l’inconnu...

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