dimanche 24 janvier 2021

Que faire du "lien féodal" désuet de l'institution des lamas ?


“I feel some of this lama institution is some sort of interference of feudal system,
that is out of date. It now must end.”

Le bouddhisme tibétain est une forme de bouddhisme tantrique indo-tibetain, où le guru prend une place centrale. Cette place devient encore essentielle dans la pratique dite “guruyoga” (tib. bla ma’i rnal ‘byor), où le disciple cherche à unir son esprit avec celui du guru, d’où l’importance de bien choisir le guru humain, qui va servir de médiateur. Dans certaines écoles, notamment l’école Kagyu, le chemin du guru, et la dévotion au guru deviennent la méthode d’éveil de prédilection.

Comme l’expérience directe, l’analyse (les listes de dharma, les cinq skandhas, les cinq éléments etc.), l’introspection, etc. sont importantes dans le bouddhisme, et qu’il convient d’examiner le buddhadharma, comme un orfèvre testerait de l’or, le vajrayāna, qui est une forme de bouddhisme, propose de bien examiner le guru, avant de se lier à lui, à travers des initiations, des instructions avancées, etc., car l’approche du vajrayāna ne permet pas que l’on revienne sur sa décision. On reviendra plus loin sur “ce qui” ne permettrait pas de revenir en arrière, ou de changer d’avis.

La voie du guruyoga est donc en quelque sorte contraire au bouddhisme, en ce qu’il convienne de ne plus utiliser son esprit analytique, et de développer la perception pure, afin d’aboutir à une réalisation de non-dualité, une fois l’examen du guru terminé. Elle demande l’engagement total (samaya) de celui que l’on ne peut pas appeler autrement que le disciple. La perception pure implique que ce que le bouddhisme considère être des fautes, ne sont plus considérés comme tels[1], dans l’apprentissage de la non-dualité.

Le cérémoniel du vajrayāna, et une partie de sa terminologie, reprend ceux du sacre d’un suzerain (rājādhirāja) médiéval indien[2]. Dans ce contexte, le mot samaya désigne le “lien féodal”. Briser ce lien conduirait, selon le vajrayāna, aux pires souffrances (infernales), et à l’exclusion du fruit ultime, le parfait état de bouddhéité.

Dans une vidéo Youtube (Dalai Lama speaks out about Sogyal Rinpoche), le Dalaï-Lama parle des abus de la part de certains guru, et met en cause le système qui permet cela. Il parle d’un système “féodal”, lequel terme est très approprié.
I feel some of this lama institution is some sort of interference of feudal system, that is out of date. It now must end.”
On voit bien que ce qui pose le problème à ce niveau du bouddhisme tibétain est cette relation au maître. Vu de l’occident, cette relation est en effet désuète, et cette soumission quasi-totale peut être qualifié de "féodale", quant à son principe. Dans le vajrayāna il s'agit de la relation maître-serviteur, avec l’engagement de loyauté totale, de perception pure, qui ne peut voir aucune faute en le maître.

Pourtant, le DalaÏ-Lama ne dit rien qui va dans le sens de l’abolition de ce système guruvāda féodal désuet. Il évoque la nécessité d’examiner le maître au préalable, avant de s’engager avec lui. Mais cela était déjà une recommandation faisant partie de ce système féodal. Au final, une petite indignation, mais rien ne change. “It now must end”, mais qui va l’abolir et comment ?

DKR à Londres, 1ère conférence

Dans la tournée de maîtrise de dégâts de Dzongsar KR, qui a eu lieu en 2018, après l’affaire Sogyal, celui-ci avait deux conférences au centre Rigpa de Londres. J’ai regardé la première qui est en ligne. Rien de vraiment intéressant la première heure et demie. Des questions sur le consentement (1:03), la folle sagesse et les moyens habiles (1:04), n’ont pas réellement reçu de réponse (1:24. On se tourne vers l’avenir, que faire désormais ? Une citation de Mingyur Rinpoché est présenté à DKR (1:32:00).
When the issue is people being hurt or laws being broken, the situation is different.
In that case, the violation of ethical norms needs to be addressed. If physical or sexual abuse has occurred, or there is financial impropriety or other breaches of ethics, it is in the best interest of the students, the community, and ultimately the teacher, to address the issues. Above all, if someone is being harmed, the safety of the victim comes first. This is not a Buddhist principle. This is a basic human value and should never be violated. The appropriate response depends on the situation. In some cases, if a teacher has acted inappropriately or harmfully but acknowledges the wrongdoing and commits to avoiding it in the future, then dealing with the matter internally may be adequate. But if there is a long-standing pattern of ethical violations, or if the abuse is extreme, or if the teacher is unwilling to take responsibility, it is appropriate to bring the behavior out into the open.
In these circumstances, it is not a breach of samaya to bring painful information to light. Naming destructive behaviors is a necessary step to protect those who are being harmed or who are in danger of being harmed in the future, and to safeguard the health of the community
.” Extrait de Lions Roar, When a Buddhist Teacher Crosses the Line, 26/10/2017 Mingyur Rinpoche
DKR est d’accord avec cette déclaration, mais remarque qu’il y a divers degrés d’engagement. L’engagement est généralement marqué par la prise d’une initiation auprès d’un maître. Certains prennent cependant des initiations, pour établir une connexion ou pour recevoir une bénédiction. Si, après analyse et après avoir pris la décision de s’engager avec un maître, l’on constate au bout d’un temps qu’il se comporte mal, etc. et que l’on rompt l’engagement, il s’agit d’une rupture du samaya (1:36:24). Une des solutions, est alors de s’éloigner du maître, sans faire de bruit (1:37:10). De toute façon, la critique n’est pas réellement admise dans aucune des écoles du bouddhisme. Une autre solution est de continuer son apprentissage auprès de ce maître, jusqu’à ce que l’on ait reçu les instructions les plus avancées, et ensuite on peut se retirer. Pourquoi perdre du temps à s’engager avec un autre, nous n’avons pas beaucoup de temps.

Même en ce qui concerne l’examen au préalable, c’est très bien, mais pendant combien de temps on va examiner son futur maître ? Tant que nous fonctionnons dans la dualité, nous trouverons toujours des défauts en le maître.

Petite digression, dans le cas de Dagri Rinpoché, Lama Zöpa Rinpoché de la FPMT avait écrit que Dagri Rinpoché était un saint, et que seul un autre saint était en mesure les actions d'un saint[3].

DKR nous suggère que cet examen préalable soit en fait impossible et infaisable. Quand il vient trop tard il est illégitime.

La différence entre le Dalaï-Lama et DKR est que le premier semble penser que ce système féodal est désuet, et qu’il faut l’abolir, mais sans ne rien faire qui va dans ce sens, et que le dernier ne veut pas “assouplir ("bend") les principes du vajrayāna”(1:14:40), il ne veut d’aucune réforme du vajrayāna, motivé par un changement d’époque, par le politiquement correct... S’il changeait les règles du vajrayāna, il deviendrait par là, le leader d’une secte.

DKR tente une esquive par le bouddhisme mainstream, en demandant Que se passerait-il si on mettait en cause le principe que tous les composés sont impermanents ? Il confond ainsi l’approche d’analyse et d’expérimentation directe, avec une approche de transmission d’une Révélation venant du Corps symbolique d’un Bouddha ou d’une divinité. La première se vérifie, la deuxième s’accepte par confiance et foi.

C’est à partir de 1:51:00 que DKR, après avoir répété que l’objectif final est de réaliser l’état du Guru, vient réellement aux faits.
Il y a des gurus ambitieux, mal formés, vicieux, égoïstes, qu’ils soient des gurus auto-proclamés ou officiellement reconnus, peu importe. Les abus, l’abus de faiblesse, l’abus sexuel, l’abus physique, financier, émotionnel, cela existe en effet. Il ne faut pas être naïf au point de penser que tous les lamas tibétains soient des saints. Non vraiment pas, et nous ne pouvons et ne devons pas les défendre, dans l’intérêt du Buddhadharma et du vajrayāna”. (fin de vidéo 1).
Quel est alors le principe du système féodal, désuet, auquel il faut mettre un terme ? Comment y mettre un terme, qui s’en chargera ? Le lien féodal (samaya) entre maître et disciple etc. etc. détermine la structure et l’hiérarchie féodale de tout l’ensemble. Il empêche que les uns critiquent les autres, même si la critique est justifiée et les faits avérés. Ni avant (pas le temps, la "dualité" empêche de juger), ni pendant, ni après. Dans le bouddhisme tibétain, ce lien féodal (samaya) sera-t-il plus fort que l'intérêt du buddhadharma et le vajrayāna, et causera-t-il un jour la ruine des deux ? 


"Old Boys'Club" film Guru in Disgrace de Jaap verhoeven

C’est pourquoi je pense que nous devrions retourner à la situation indienne originelle : ni réincarnation, ni institution de lamas. C’était une certaine tradition, mais une tradition très reliée au système féodal, une conception ancienne qui doit disparaître. Comme je l’avais dit précédemment, nous devrions être des bouddhistes du XXIème siècle. Pas suivre un chemin orthodoxe.”
Rencontre à Dharamsala le 25 octobre 2019 entre le Dalaï lama et des étudiants de l'Inde et du Bhoutan.

***

[2] Indian Esoteric Buddhism, a social history of the tantric movement, Ronald M. Davidson, p. 106 etc.

[3]We will have to achieve enlightenment in order to investigate the beginningless rebirths of Dagri Rinpoche. We have to be enlightened; otherwise, we can’t investigate. This is my logic.” Lama Zopa Rinpoches Advice to Students of Dagri Rinpoche 14/05/2019

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire