mardi 19 janvier 2021

L’adoration de “la femme” conduit-elle à la parité ?


Statuette de Karaikkal Ammaiyar, XIIIème s.

Petit commentaire sur une vidéo du British Museum  

Curator's tour of Tantra: enlightenment to revolution exhibition at the British Museum 11/12/2020

Un des grands malentendus par rapport au “Tantra” est que celui-ci accorderait une place spéciale à la femme, tel que nous comprenons cette phrase de nos jours, en l’élevant au rang de déesse, voire de déesse-mère, et en la mettant sur un piédestal. Non, ce n’est pas “la femme” qui est l’objet du culte dans le Tantra, mais la Nature (Prakṛti, ou Nature primordiale mūlaprakṛti), symbolisée par la femme, parce qu’elle nature, engendre et produit. Cette Nature est indissociable de l’Esprit divin (Puruṣa) statique, symbolisé par l’homme.

Tout ce que produit la Nature est périssable. En personnalisant la Nature et en lui attribuant des intentions, qu’Elle n’a pas, on peut dire qu’Elle donne naissance, soutient et détruit. Quand “la déesse” “femme” montre son côté destructeur, ce n’est pas parce qu’elle veut détruire son image de “mère” soumise et docile, qu’elle se libère, ou qu’elle s’ensauvage. Voir cela dans le Tantra serait faux[1]. Le Tantra n’a pas changé la position de “la femme” en Inde ou ailleurs, cela devrait nous mettre la puce à l’oreille.

L’objectif principal du Tantra n’est pas non plus la bataille contre “l’ego”[2], même si des interprétations plus tardives aient pu lui donner ce sens aussi. C’est le sens qui lui est donné par priorité en Occident actuellement, mais ce n’est pas la raison principale pour laquelle les adeptes d’antan pratiquaient les tantras, contrairement au bouddhisme occidental globish. La magie tantrique avait d’autres objectifs (siddhi), nettement plus mondains, comme la vidéo du British Museum l’explique pour la Yoginī[3]. Leur culte ne visait pas à tuer l’ego ou à “transcender le désir, l’aversion et la peur”[4], ni à servir de modèle de femme libre et puissante.

Les tantras n'encouragaient pas les femmes à jouer des “rôles puissants en tant que pratiquantes indépendantes"[5]. Les figures féminines dans les hagiographies sont souvent entièrement fictives. Affirmer que Karaikkal Ammaiyar est une figure historique du VIème siècle de Karaikal, cela reste à prouver. Qu’elle fait partie de la liste de 63 Nayanars fait écho, ou plutôt précède les listes de différents nombres de mahāsiddha, parmi lesquels on trouve également des figures féminines, mais la plupart des personnages de ces listes sont fictifs et non historiques.

Une femme yogi, ou yoginī XVIIème s. du Tantra BCBG

Les pratiques de l’internalisation de la “puissance féminine” sont évidemment principalement destinées à des hommes[6]. Pour rappel, la “puissance féminine” ici est la puissance de la Nature (prakṛti, śākti), même si des notions alchimiques peuvent s’y ajouter. Les souverains de l’Inde étaient attirés par les maîtres tantriques en tant qu’agents de pouvoir[7].

Machig (photo Treasury of Lives)

Les pratiques sexuelles du bouddhisme tantrique tibétain sont présentées par la vidéo comme permettant de développer la sagesse et la compassion, la déesse symbolisant la sagesse et le dieu la compassion[8]... Qu’une figure féminine du nom de Machig Labdron ait réellement vécu au XIème siècle ou non, n’empêche pas que tout ce que nous connaissons d’elle baigne dans la légende. La pratique de gCod est réelle, et son origine est attribuée à Machig Labdron et Dampa Sangyé (autre personnage légendaire). Que le principe femelle dynamique (la Nature) est symbolisé par le féminin, personnifié par une déesse, une femme bienveillante ou courroucée, dont on fait le culte ; que le principe féminin à intégrer par le yoga est représenté par une déesse, une femme ; que l’origine des lignées de transmission soient attribuées à des mahāsiddha féminins, des ḍākinī, des yoginī, et autres figures féminines, n’enlève rien au fait que l’on ne trouve pas de femmes humaines historiques a des places éminentes dans l’histoire du “Tantra”. Les exceptions confirmant la règle.


La dernière partie de l’exhibition est plus intéressante et parle de l’utilisation de l’imagerie tantrique dans la lutte contre l’indépendance Indienne en Bengale. De nouveau, cela n’avait pas pour objectif d’améliorer la position de la femme. 


La représentation tantrique de la déesse Kālī était considérée comme démoniaque par le colonisateur britannique et la multiplication de cette imagerie servait d’épouvante. On imagine facilement que les têtes coupées soient celles du colonisateur britannique.

La partie sur la récupération du “Tantra” par le néotantrisme New Age pour promouvoir la libération sexuelle comme une méthode de libération millénaire par la sexualité est plus proche de nous. Est-ce que cela a contribué à améliorer la position de la femme, notamment dans les cercles bouddhistes tantriques en Occident ? Rien n’est moins sûr.

Globalement, le “Tantra” a-t-il été une bonne nouvelle pour la femme ? L’adoration de “la femme” (imaginaire) conduit-elle à la parité homme-femme ? C’est sans doute son exploitation artistique qui a encore eu le plus de succès. Mitigé... 


"Mick Jagger had this 16:23 logo designed for the Rolling Stones, inspired  by Kali. It focuses on her protruding tongue, 16:30 an attribute of the goddess originally  suggesting her ravenous appetite on the 16:35 battlefield. Here it was chosen to convey the  band’s rebellious, anti-establishment spirit". 
"Anti-establishment spirit", LOL ! 

Kali selon Bharti Kher

"Tantra has gone on to influence modern feminist thought and artistic practice. 17:37 Female artists have harnessed Tantric goddesses through the bodies of real women, evoking them 17:43 in a feminist guise." 

***

[1][...] what made them specifically Tantric were their intertwining of destructive 02:11 and maternal power, which challenged traditional models of womanhood as passive and docile.”

[2]She carries a sword of wisdom with which she destroys not only demons but also 02:52 obstacles to enlightenment, such as a devotee’s ego – their attachment to a false sense of self.

[3]Between the 10th and 13th centuries, royal patrons 04:09 commissioned Yogini temples across India. Rulers believed that Yoginis could predict the future, 04:17 protect their kingdoms against disease or enemy armies and help them win new territories.”

[4]The Tantras taught active engagement with spiritual obstacles, 01:20 such as desire, aversion and fear, in order to ultimately transcend them." 

[5]Tantra’s affirmation of the divine feminine informed the lives of real women. Tantric texts 05:07 not only encouraged their worship as goddesses, but women themselves could play powerful roles as 05:14 independent practitioners.”

[6]New techniques of Tantric yoga harnessed the body as the ultimate instrument for 05:56 internalising Shakti, or divine feminine power, by visualising a goddess at the base of the spine, 06:04 surrounded by chakras or energy centres. Awakening this inner goddess through breath control 06:12 became the ultimate goal of Tantric yoga.”

[7]Rulers across India were attracted to Tantric masters as agents of 07:06 power.”

[8]The goal is to internalise their qualities by visualising the deities uniting within the body 09:55 through meditation. These are deities to be adored as well as emulated.”




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