lundi 18 janvier 2021

Le mandala des facilitateurs selon Chris Chandler


Un petit résumé de ce qui m'a intéressé dans le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism” de Christine A. Chandler

Comme les maṇḍala (cosmogrammes) le nous apprennent, du centre à la périphérie et vice versa, toutes les entités sont émanées de la divinité centrale, inséparable du lama. Elles en sont indissociables, elles sont le lama, jusqu’au dernier sbire en rang des dharmapāla. Les quatre activités, y compris l’activité violente, sont celles du lama. Il devrait en aller de même des cercles humains du lama, selon la logique de cette vision pure… Ce n’est pas que toute violence ayant lieu dans ces cercles est uniquement le fait de leurs auteurs respectif, non, car elle est au fond celle inhérent au système, dont le lama est le centre. Cela n’empêche pas que des membres des cercles ne puissent sauter comme des fusibles, et être remplacés, sans que le système ne change pour autant. Cela n'exclue pas non plus tous les méfaits individuels des individus, pour lesquels ils sont eux-même entièrement responsables. 

Il y a beaucoup à redire sur ce livre, et je retiens surtout ce dont elle fut elle-même témoin, mais un des mérites du livre de Christine A. Chandler, Enthralled, est qu’il essaie de montrer, entre autres, comment différentes catégories de membres du groupe contribuent à rendre possible les dysfonctionnements et les abus, et comment l’exfiltration de membres rebelles, le départ volontaire de membres lassés, etc. ainsi que le maintien d’une omerta organisée à l'intérieur, et une communication externe soignée permettent au système de perdurer. Elle explique également les différents moyens de maîtriser les dégâts, et dans le cas du régent vajra (chapitre 1 Reckless Madness), elle nous apprend comment sa lignée vient d’être ravivée au bout de 25 ans de silence, suite au scandale de sa contamination VIH de plusieurs membres et les efforts de dissimulation de Vajradhatu. Le projet est donc toujours d'actualité.

Le premier cercle de Trungpa étaient ses disciples de la première heure[1], et qui devinrent par la suite ses premiers instructeurs et agents. C’est avec eux qu’il avait commencé l’approche progressive des trois yanas et qu’il avait abordé la pratique des tantras, avant de se lancer dans les enseignements Shambala. Ce sont eux qui avaient assisté à l’incident avec le poète Merwin et son amie (Naropa Institute 1975) et à la Guerre des Poètes (1976), et qui avaient l’habitude de terminer le cycle d’apprentissage des tantras par des orgies. Ils fumaient comme Trungpa, buvaient et prenaient de la cocaïne comme Trungpa et consommaient des partenaires comme Trungpa et son régent. Comme lexplique lex-butler John Riley Perks, après la visite de Dilgo KR en 1976, tout cela allait changer dans le sens que les mêmes choses se poursuivaient avec “plus de classe” dans le cadre du projet d’une “société éveillée”, ou d’une “dictature spirituelle”.

Par la fondation de l’Institut Naropa, Vajradhatu tenta de se faire un nom parmi les professeurs, artistes et psychologues occidentaux et de les influencer. Le bouddhisme tibétain était comme une science de l’esprit, et avait beaucoup à offrir à l’Occident... Un certain Francisco Varela, rencontra Trungpa par un ami.
[Varela] pratiquera pendant 10 ans auprès de ce maître enchaînant retraites et pratiques quotidiennes. En 1983, à l’occasion d’un comité scientifique en Autriche, il rencontre le Dalaï Lama qui s’intéresse beaucoup à la science et qui l’invite à Dharamsala. Ce dernier l’invite à créer le Mind and Life Institute qui verra le jour en 1990 et dont le but est de favoriser un apport mutuel entre bouddhisme et science.” Site Ciel et Terre
Un autre cercle important (“deuxième vague”, au début des années 1980)[2] était constitué de professeurs, avocats, psychologues et universitaires, qui avaient pu avoir des sympathies de gauche, mais n’avaient jamais été des “drop-outs”. C’est à la même époque que les médias “mainstream” commençaient à promouvoir le Dalaï-lama et le bouddhisme tibétain en général. En août 1991, le Dalaï-lama reçut le prix Nobel de la paix. C’est la même année qu’éclata le scandale du régent vajra, dont la véritable portée n’avait pas trouvé son juste reflet dans les médias.

Le nom Vajradhatu disparaissait et celui de Shambala prenait sa place progressivement. Vajradhatu correspondait à l’ancien programme de Trungpa et le premier cercle, qui s’appuyait sur le bouddhisme tibétain. L’objectif de Shambala était de proposer un programme séculier, non-religieux, non-théiste, et de délester cette nouvelle approche des aspects mythologiques, magiques etc. du bouddhisme tibétain. La pratique de la “pleine conscience” (mindfulness), l’apprentissage du non-jugement (“no good, no bad”) et de “nothing happens” y prenait une place essentielle. Méthode reprise par des psychologues, neurologues etc. pour diffuser la “Mindfulness” en dehors du monde religieux et spirituel. Le succès de cette méthode eut également des retombées quant au le sérieux du bouddhisme et de ce qu’il avait potentiellement à offrir au monde.

En même temps que le développement partout dans le monde de centres Shambala, qui allaient recruter les “guerriers spirituels” nécessaires à la “société éveillée" de demain, le programme Shambala prit une tournure de plus en plus religieuse, pour les étudiants plus avancés. La “société éveillée” y prenait la forme d’une “dictature spirituelle” sous un roi Rigden/Sakyong, Trungpa, couronné par le très traditionnel maître tibétain Dilgo Khyentsé Rinpoché. Trungpa sinspira du roi légendaire Guésar de Ling pour organiser son royaume. La légende de Guésar de Ling fut un des dadas de Mipham Rinpoché (1846–1912), auteur d’un grand commentaire du Kalacakra Tantra, dont Trungpa s’était beaucoup inspiré également, et dont il tira son modèle médiéval pour une “société éveillée”.

La vie de la cour Kalapa est un syncrétisme de tout ce qui relève du paradigme maître/esclave en Orient comme en Occident, Guésar comme Habsbourg, vieille Angleterre victorienne, "culture" colonialiste, ... En plus de sa femme légitime, Dame Diana, le Sakyong avait besoin dun harem de sept concubines officielles (sangyums). Dans la société éveillée on respecte les femmes et on peut leur accorder des fonctions d'apparence importantes… tout comme les sangyums, les mudrā, et les ḍākinī au Tibet…

Un autre cercle important dans le livre de Christine Chandler sont les femmes justement. Elles sont là pour montrer que tout cela est parfaitement “woman friendly”, et pour rassurer les gens quand des scandales éclatent. Quand Trungpa et le régent s’affichent avec leurs femmes et leurs harems à leurs côtés, on voit bien que tout cela ne peut être que des allégations ou conforme à la “folle sagesse” des maîtres, pour plus grande gloire de la destruction des egos. Enthralled donne de nombreux exemples de maîtrise de dégâts impliquant le rôle des femmes, et de recrutement d’autres femmes… Tout cela est navrant. Le portrait que peint Chandler est noir, très noir, souvent même trop noir, mais cela a pour avantage de montrer quels sont les rouages de ce système destructif, que lon compare parfois à une toile daraignée. Penser ainsi, de façon très noir et blanc, permet de repérer les facilitateurs (“enablers”), qui permettent au système de fonctionner et de survivre. Il ne s’agit pas tant d’accuser, mais de prendre conscience, et idéalement ou éventuellement d’améliorer la situation, si ce n’est pas mieux de dissoudre l’organisation qui utilisait ce système. 

Et voilà pourquoi de nombreuses têtes (y compris auréolées) tombent dans le livre de Chandler, même là où l’on ne les attendait pas, hors le fait qu’elle puisse avoir des comptes plus personnels à régler. Les quelques femmes de pouvoir dans le monde du bouddhisme tibétain (Khandro Rinpoché, Tsultrim Allione, …), les sangyums, les ḍākinī, Pema Chödron, les “faux féministes”, le site “Dakini Power”, des psychologues, etc. du moment qu’elles permettent au système de perdurer ou qu’elles contribuent à, ou servent à dissimuler les dysfonctionnements. Je reviendrai sans doute sur ce sujet dans des blogs futurs, car cela mérite des sujets séparés. Je passe aussi par-dessus la catégorie des hiérarques tibétains en tant que facilitateurs. J’en parle régulièrement, et j’en reparlerai. Chandler leur donne l’attention qu’ils méritent dans son livre.

Une dernière catégorie plus difficile, à laquelle je ne m’attendais pas, est celle que Chandler appelle les “Dharma Brats”, les “mômes de dharma”. Il s’agit des enfants de cadres ou agents Shamballiens, des enfants de tulkus, des enfants-tulkus, ou des enfants qui ont grandi dans les communautés shambaliennes, et qui ont subi leur influence ou celle de leurs parents. Il s’agit dans ce cas plus de ceux qui font leurs carrières à eux dans cet univers que ceux qui l’ont quitté. Rien n'est noir ou blanc ici, et un des défauts du livre est, malgré les nombreuses tentatives de nuancer les choses, d'avoir la tendance à rester dans le noir et blanc, et à vraiment noircir le noir. Est-ce que c'est par souci de bien faire passer le message, ou une approche "Woke" ? je ne sais pas. 

Dans toutes les catégories, on peut aussi trouver des gens qui ont quitté ce monde en silence ou en claquant la porte, qui en ont été expulsés, et puis les lanceurs d’alerte. Le livre parle du Vajradhatu/Shambala de Chogyam Trungpa, Thomas Rich et d’Osel Mukpo, mais ce fonctionnement se trouve dans d’autres communautés bouddhistes tibétaines traditionnelles, enhanced, modernisées, “dzogchennisées” (un chapitre à part sur le Dzogchen-washing), etc. partout dans le monde, y compris en France. C'est un aperçu un peu rapide et sélectif, mais il y a beaucoup de matière à débattre et à approfondir ici.

pour la table de matières du livre :
Introduction
Chapter 1: Reckless Madness
Chapter 2: Lamaism
Chapter 3: The Tulkus
Chapter 4: Deities, Demons, and Sexual Abuse
Chapter 5: Trungpa, Hollywood and the Beats
Chapter 6: Trungpas Next Target: The Affluent Middle Class
Chapter 7: Tibetan Tantra on a Mindfulness Meditation Hook: Shambhala
Chapter 8: Bateson and Psychology Meet Tantra
Chapter 9: The Iron Bird Lands Loaded with Lamas
Chapter 10: Meditators Become Guru-Worshipping Cult members
Chapter 11: Deconstructing the Lama Cult
Chapter 12: Lifton’s Eight Criteria and the Cult of Tibetan Buddhism
Chapter 13: Guru Yoga: The Most Powerful Cult Technique of Tantra
Chapter 14: Guru Yoga Paired with Sexual Abuse
Chapter 15: The Regent: Killing You Softly with Tantra
Chapter 16: Masters and Servants
Chapter 17: Indentured Servants to the Royal Family of Trungpa
Chapter 18: The Dakinis and Their “Spiritualized Feminism"
Chapter 19: The Dharma Brats
Chapter 20: The First Escape: A Practice Run
Chapter 21: More Tantra on a Dzogchen Hook
Chapter 22: Crestone, Colorado: Lamas, Lunacy and The Green New Deal

***
[1]Trungpa’s mandala of devoted western students were artists, lawyers, professors and teachers; physicians and Japanese bow students; master ikebana flower arrangers, psychiatrists, psychologists and psychotherapists; carpenters and construction contractors; and a cadre of former left radical hippies of the sixties—the latter all cleaned up and western-credentialed—just as Trungpa had told them to do. These were the well-tested guru-worshipers of the Trungpa organization, all on board to create Trungpa’s anti-democratic dictatorship;”

[2]As the second surge of devotees of Trungpa and other lamas like him, we were the teachers, the lawyers, the psychologists, and the university academics; those who had only brushed up with the leftist agenda of the sixties. We had only touched in, but never “dropped out”; like Trungpa’s first recruits; those who started his “Tail of the Tiger” quasi-commune in Vermont in the early 1970s.202 We were the next targeted group to be fooled by Tibetan lamas like Trungpa; their future army of change agents, made up of the somewhat affluent middle class; more socially conservative but politically liberal; hard working and with expendable income. We would provide a steadier donation stream and a large, free labor force for the lamas and their many infiltration infrastructure projects, as well as a stable source of income in monthly dues than just the earlier hippies and trust fund kids could provide. Trungpa needed a larger group for ‘Plan Shambhala,’ and we would be easily fooled by Trungpa’s ‘secular’ Shambhala training ruse—with its ‘mindfulness meditation’ path that was non-religious; just a straightforward way to learn to meditate, slow down and relax.”

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