lundi 5 juillet 2021

Libérons nos bardes gaulois


Pendant sa tournée de 2018, DJKR avait fait une conférence au centre Rigpa de Berlin. Susanne Billig, une journaliste de Buddhismus Aktuell, le magazine de l’Union Bouddhiste d’Allemagne l’avait interviewé à cette occasion sur son livre “The Guru Drinks Bourbon”. Par la suite, la journaliste lui avait envoyé une série de questions supplémentaires, auxquelles DJKR avait répondu. Les réponses ont été publiées (en allemand) dans le numéro 3 de 2021. Le titre de l’article est “Von der Hingabe an einen Guru, wohlwollenden Diktaturen und dem gesunden Menschenverstand” : de la dévotion au gourou, de la dictature bienveillante et du bon sens humain.

Les déclarations de DJKR ont été considérées choquantes par certains bouddhistes allemands. L’article en ligne est payant, les deux réponses les plus choquantes sont néanmoins disponibles en ligne (en allemand). Les voici traduites en FR avec Deepl, puis éditées un peu.
Question : Que doivent faire des disciples si leur maître ne se limite pas à boire de l’alcool ou à demander à ses disciples de “harceler une princesse” - vous racontez cette histoire [de Tilopa et Nāropa] dans votre livre - mais qu’il est physiquement violent envers ses disciples ou les viole ?

Réponse : Comme je l'ai dit, si vous n'avez pas examiné ce gourou et si vous n'avez pas décidé de l'accepter entièrement comme votre gourou, alors vous devriez appeler la police et rendre son comportement public. Mais si, après un examen approfondi, vous avez entièrement accepté cette personne comme votre gourou, alors à ce moment-là, lorsqu'elle boit de l'alcool ou harcèle une princesse ou autre, vous ne considérerez pas son comportement comme inapproprié. Parce qu'entre-temps, votre projection, votre perception a changé.[1]

Question : Vous écrivez qu'une dictature bienveillante pourrait être plus bénéfique pour son pays qu'un gouvernement démocratique. Les pays démocratiques occidentaux doivent-ils transformer leurs systèmes de gouvernement en dictatures bienveillantes ?

Réponse : Mon point de vue s'applique non seulement à l'Ouest, mais aussi à l'Est, au Sud et au Nord. Si notre mérite [puṇya] amène au pouvoir un dictateur bienveillant quelque part, où que nous soyons, alors nous devrions convertir notre système de gouvernement en une dictature bienveillante dans les 24 heures. Absolument ! Il n'y a aucun doute là-dessus[2].
L’interview se termine sur cette réponse avec un simple “Merci beaucoup pour cette interview" de la part de la journaliste.

Pour le “harcèlement” (“ärgern”), il s’agit (épreuve #7) de tirer une jeune mariée d’un éléphant et de la traîner par terre, et (épreuve #8) de jeter une reine à terre et de la traîner par terre. Ceci pour que les invités et les courtisans se mettent en colère et lynchent Nāropa (The Life and Teaching of Naropa, mkhas grub mnyam med dpal ldan nA ro pai' rnam par thar pa dri med legs bshad bde chen 'brug sgra).

Pour DJKR, il ne s’agit pas d’histoires allégoriques, mais de faits réels, qui même s'ils ne l'étaient pas le seraient quand-même ("choose to believe"). Selon lui Tilopa a existé, et les douze épreuves ont réellement eu lieu, telles qu’elles ont été écrites (600-700 ans après Nāropa).
Modern people tend to lump Milarepa and Naropa’s life stories in with myths and fairy tales. In his article, Why I Quit Guru Yoga, Stephen Batchelor suggests that Tilopa and Naropa were characters in fables and their life stories mere allegories. Unable to imagine them in a contemporary setting, he chooses to believe that they didn’t exist at all. I, on the other hand, choose to believe not only that Milarepa and Naropa lived, but that their stories are true. “ - Poison is Medecine
Tilopa et Nāropa étant considérés comme des mahāsiddha, et les mahāsiddha étant - pour des Tibétains comme DJKR - un état réalisable et/ou un modèle à suivre, leurs actes ne peuvent servir qu’à nous “libérer”. Si un mahāsiddha pouvait prendre le pouvoir et instaurer une dictature forcément bienveillante, ce serait une chose merveilleuse selon eux. Le poison est le remède et l'asservissement est la libération.

On pourrait dire qu’une théocratie est une dictature bienveillante, car ce que peut “choisir de croire” une communauté religieuse (ou politique) avec ses adeptes, une autre le peut aussi bien.

La vision guruvādin de DJKR est irresponsable et dangereuse, car imaginez une communauté bouddhiste tibétaine autour d’un guru/lama, dont plusieurs membres ont déjà fait le choix de s’engager dans un “lien sacré” avec le guru, et d’autres non. Le cercle intérieur du Gourou est alors incapable (ou non-autorisé par la pression des pairs) de “percevoir” des fautes en le guru, puisqu’ils pratiquent (ou subissent) la perception pure (tib. dag snang) conjointement. Le cercle intérieur est souvent constitué des disciples les plus anciens, qui ont contribué à développer le groupe, et qui ont souvent des postes de responsabilité au sein de la communauté. Etant dans l’incapacité de voir les fautes du Maître, tout en ayant avec lui le lien le plus fort possible selon le guruvāda, ils sont incapables d’assumer une responsabilité pour garantir la sécurité des autres étudiants. Leur obligation de “perception pure” et leur “lien sacré” avec le guru les rendent incapables d'exercer une quelconque responsabilité.

Cela s’est avéré dans le cas de Rigpa de Sogyal Lakar, dans le cas de deux autres membres anglais (Patrick Gaffney et Susan Burrow) qui avaient été interdits (19/11/2020) dexercer par la Charity Commission for England and Wales, pour avoir mis en danger les disciples de Rigpa. Patrick Gaffney était la main droite de Sogyal Lakar depuis ses débuts. Son “lien sacré” et sa “perception pure”, faisait qu’il n’était pas capable d’exercer conformément ces responsabilités.

Il est évident que dans la vision de DJKR, le “dictateur bienveillant”, à qui l’on devrait confier le pouvoir "dans les 24 heures", afin qu’il instaure sa “dictature bienveillante”, est un guru, idéalement même un mahāsiddha, et que sa “dictature bienveillante” est une théocratie féodale, où les cercles de pouvoir sont tous liés par un “lien sacré” (samaya), et incapables de voir les erreurs et les fautes de leurs hiérarques gurus. Ce serait un système totalement irresponsable, contrairement à ce que lon veut parfois nous faire croire. DJKR semble partager les mêmes fantasmes de dictature théocratique que Chogyam Trungpa avant lui.
“...une fois engagé auprès d’un maître et dûment accepté par lui (ou elle), il ne peut rien y avoir de pire que de lui tourner le dos et le renier, quelle que puisse être la (bonne) raison de le faire. Quand bien même son maître serait un habile charlatan, le renier, c’est faire trop peu de cas du lien sacré qui lie un apprenti bouddha à un ami intime de la bouddhéité, qu’il ou elle soit ou non bouddha effectivement, parce que, en y pensant bien, tout cela se passe dans l’esprit du (ou de la) disciple.” Bouddhanews, Le gourou boit du bourbon de Dzongsar Jamyang Khyentsé, Patrick Carré, 21-02-2019
Malgré les tentatives théocratiques (sectaires) échouées, et les scandales à répétition dans le bouddhisme tibétain occidental, des bardes occidentaux continuent à faire les louanges de leurs maîtres, du “lien sacré” et de la “perception pure”, et même de la “responsabilité”, probablement parce qu’ils sont eux-mêmes des prisonniers du guruvāda, et incapables de percevoir ce qui ne va pas.

Puissent-ils tous être libérés de la prison du “lien sacré” et de la “perception pure”, et trouver l’état de la parfaite responsabilité pour le bien de tous les êtres !

***

[1]F: Was sollten Lernende tun, wenn ihr Meister nicht nur Schnaps trinkt oder sie bittet, eine Prinzessin zu ärgern – Sie erzählen da eine entsprechende Geschichte in Ihrem Buch –, sondern körperliche Gewalt gegen seine Schülerinnen und Schüler ausübt oder sie vergewaltigt?

A: Wie gesagt: Wenn Sie diesen Guru nicht geprüft haben und wenn Sie sich nicht entschieden haben, ihn vollständig als Ihren Guru anzunehmen, dann sollten Sie die Polizei rufen und sein Verhalten öffentlich machen. Wenn Sie aber nach intensiver Prüfung diesen Menschen vollständig als Ihren Guru angenommen haben, dann werden Sie sein Verhalten in diesem Augenblick, wenn er Schnaps trinkt, eine Prinzessin ärgert oder was auch immer tut, nicht als unangemessen ansehen. Denn inzwischen hat sich Ihre Projektion, Ihre Wahrnehmung verändert.” Buddhism Controversy Blog, Tenzin Peljor

[2]Frage: Sie schreiben, ein wohlwollender Diktatur könnte für sein Land vorteilhafter sein als eine demokratische Regierung. Sollten westlich-demokratische Länder ihre Regierungssysteme in wohlwollende Diktaturen umwandeln?

Antwort: Meine Auffassung trifft nicht nur auf den Westen, sondern auch auf den Osten, den Süden und den Norden zu. Wenn unser Verdienst irgendwo, wo auch immer wir sind, einen wohlwollenden Diktator beschert, dann sollten wir unser Regierungssystem binnen 24 Stunden in eine wohlwollende Diktatur umwandeln. Unbedingt! Das ist gar keine Frage.” Buddhaland, Fragwürdiges Interview mit Dzongsar Jamyang Khyentse in "Buddhismus Aktuell"

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