Couronnement du roi Jigme Khesar Namgyel Wangchuck (2017) |
Le début du XXème siècle annonce la fin des empires, des aristocraties, et de la mainmise des religions. Le lien état-religion se détend, son ombre reste. D’autres idéologies veulent prendre la place des idéologies religieuses, si présentes dans les identités nationales, et les systèmes politiques monarchiques, théocratiques, féodaux, etc., dont l’idéologie religieuse est un ingrédient indispensable. Il est difficile d’imaginer la survie d’un tel système politique sans l’idéologie religieuse qui la supporte, ou la survie d’une religion sans le système politique fait à sa mesure, et qui la soutient. Nous avons encore l’exemple de la Thaïlande et du Bhoutan avec leur idéologie Nation-Roi-Religion “démocratique”.
A la mort de l’impératrice Cixi en 1908, la fin de l’empire chinoise est proche. C'est le treizième dalaï-lama Thubten Gyatso qui conduit les rituels funéraires et rédige l’éloge funèbre[1]. La République de Chine est déclarée en 1912 et durera jusqu’à 1949. Elle sera le terrain d’une guerre civile entre nationalistes et communistes, avec une immixtion internationale impressionnante. Parmi les nationalistes, certains sont nostalgiques de l’ordre ancien. Le temps d’une guerre (1937 Japon), les deux camps s’allient, tout en poursuivant leurs projets respectifs. En 1949, Mao proclame la république populaire de Chine.
Quand la Chine avait perdu la première guerre sino-japonaise en 1895, les réformateurs chinois étaient convaincus que la victoire japonaise était due à leur adoption du Shintoïsme, “la voie des dieux” comme religion d’état, avec son culte de l'empereur[2]. Le bouddhisme Ch’an, sans dieux, n’était pas suffisamment “enchanté” pour porter idéologiquement un empereur. La religion du Tibet, avec son théocratique treizième Dalaï-Lama, même assez malheureux, avait de l’enchantement à revendre pour un projet Nation-Roi-Religion. Le bouddhisme tibétain était appelé au secours pour la renaissance du bouddhisme ésotérique en Chine, qui avait déjà commencé par un apport du Shingon japonais.
Gardes Kasung de Chogyam Trungpa |
Des disciples taiwanais accueillent leurs maîtres tibétains |
Le bouddhisme ésotérique EST une idéologie Nation-Roi-Religion. Le voir comme un simple “ensemble d’instructions ésotériques” c’est se tromper. Son idéal est le règne d’un carkravartin. Si le bouddhisme ésotérique se dit “apolitique”, il est aveugle, ou dans la manipulation. Chogyam Trungpa, qui avait commencé à partager la vie des hippies américains, avait fini par les transformer en sujets du règne du Maître-roi.
Cour de Kalapa, avec le couple royal Sakyong |
Son fils, le Sakyong, lui avait succédé. En 1982, Trungpa avait été sacré Roi-maître par Dilgo Khyentsé R. (1910-1991), un lama nyingmapa lointain descendant du roi tibétain Trisong Détsen. Le maître nyingmapa avait utilisé pour cela le même rituel de couronnement que pour le roi du Bhoutan. La même tendance, en beaucoup plus soft, existe cependant chez la dynastie Namkhai Norbu.
Mudrā du Maître-roi |
Les royalistes français ont leur propre version de l’idéologie Nation-Roi-Religion, mais sinon le bouddhisme tibétain pourrait leur donner un coup de main. Un mariage avec une princesse tibétaine par exemple, célébré par un grand hiérarque nyingmapa, la branche royaliste par excellence du bouddhisme tibétain. Le bouddhisme ésotérique a tous les rituels qu’il faut.
Un rapprochement entre nationalistes chinois et hiérarques bouddhistes ésotériques allait de soi, leurs idéologies étaient compatibles. Il y eut évidemment aussi des rapports sincères entre missionnaires tibétains et disciples chinois. L’un n’empêche pas l’autre. Après 1949, et surtout après 1959, c’est le Taiwan qui devint le terrain de la renaissance du bouddhisme ésotérique. Le bouddhisme ésotérique taiwanais est un syncrétisme, tout comme le bouddhisme ésotérique chinois. On pourrait dire du “néobouddhisme”, mais “on” préfère réserver ce qualificatif pour les adaptations désenchanteresses (“des Lumières”) du bouddhisme en occident. L’enchantement est approuvé, plus une religion devient “religieuse”, et plus elle s’accorde avec sa nature ; le désenchantement c’est une autre histoire, surtout s’il s’agit de préserver l’idéologie Nation-Roi-Religion, avec idéalement un “Roi-maître” ou un Dharmarāja.
Il y a donc bien eu un “New Age” (tendance syncrétique) enchanteur chinois, mais tant que cela est encadré par une idéologie Nation-Roi-Religion classique (souhaitée ou réalisée), il n’y a rien de très choquant. L’histoire du bouddhisme tibétain est une histoire de syncrétismes de tout genre, mais tant qu'ils sont bien encadrés, et ne gênent pas l’idéologie générale, cela ne pose pas de problème. Au contraire, du sang neuf, et des idées nouvelles - dans de vieux habits - sont toujours les bienvenus. En Occident, en revanche, sans la notion de Nation (ou terroir imaginaire chez Trungpa), et de Roi, le New Age est fol, sans cadre, et cela ne peut que déraper.
Couronnement du roi Rama X (2019) |
Lire A Buddhist Monk Was Accused of Criticizing the Thai King. He Fled the Country, Caleb Quinley
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[1] Le Monde des religions, Les 13 premiers dalaï-lamas : 5 siècles sur le toit du monde, Virginie Larousse, 06/10/2014.
“Exaspéré par l’ingérence de la Chine, il est de plus confronté aux ambitions des Britanniques sur le Tibet, lesquels n’hésitaient pas à y mener des incursions armées. Le jeune dalaï-lama fait des rêves inquiétants, et est victime à 24 ans d’une tentative de meurtre par magie noire – un mantra de malheur ayant été dissimulé dans ses bottes. Soucieux d’éviter toute mainmise des Anglais sur son pays, il sollicite, sans succès, l’aide des Russes, et est finalement contraint de s’exiler en Mongolie, en 1904. En 1908, il se rend à Pékin pour y rencontrer l’impératrice, véritable maîtresse du pays. L’ambassadeur américain en Chine, qui assiste à la scène, raconte : « Le dalaï-lama avait été traité avec tout le cérémonial dont tout souverain indépendant aurait pu être gratifié ». Lorsque l’impératrice meurt quelques mois plus tard, c’est le dalaï-lama qui conduit les rituels funéraires et compose l’éloge funèbre…”
[2] Gender and Superstition in Modern Chinese Literature (2019), Gal Gvili, East Asian Studies, McGill University, p. 4
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