Au commencement fut “la religion”. La philosophie grecque serait née d’elle, et s’en serait émancipée (“le miracle grec”) par la suite. Platon disait de la Théogonie d'Hésiode que c’était le plus grand mensonge du monde. Se moquer des dieux, et corrompre la jeunesse, était néanmoins puni par la mort.
Si la religion est taxée de superstition, magie, ritualisme exacerbé, etc., toute superstition, magie, ou tout rituel n’est pas forcément religieux et/ou orthodoxe. Les sectes religieuses ont toujour fait le tri entre ce qui était pure doctrine, et ce qui ne l’était pas. L’édit de Milan ou édit de Constantin (313) déclare la religion catholique comme la religion licite de Rome, toutes les autres “religions” devenant du même coup des superstitions illicites, mais initialement tolérées. La différence entre une religion officielle et une superstition se décrète.
Vers la fin du Moyen-Âge, une autre sorte de purge apparaît, quand (en 1277) Etienne Tempier fait le ménage dans les sciences tolérées par la religion officielle. Plus tard, le pape Jean XXII (1244-1334) interdira la sorcellerie et la magie. Pas parce qu’il n’y croyait pas et qu’il considérait ces sciences comme de la superstition, mais parce qu’elles pouvaient échapper au contrôle de la religion officielle, et que les “arts de la magie sont étroitement reliés à l'invocation des démons ; ils sont « des arts de démons, dérivés d'une pestifère association des hommes et des mauvais anges ». Les “mauvais anges” sont en fait des dieux anciens.
Tout le monde n’accepte pas le rejet de “la sorcellerie et la magie” non-homologuées, parfois les précurseurs encore “magiques” des sciences à venir, et les découvertes et le développement de la “science scientifique” de manière générale (humanisme, Renaissance) contribuent également à saper l’autorité de la religion officielle. La Réforme s’attaque à certaines formes de superstitions et de magie officielles. L’époque moderne est née, mais il faudrait attendre les Lumières pour une attaque en règle contre la superstition et la magie, autrement dit contre ce qui “enchante le monde”. Pendant toutes ces épisodes, on voit des actions et des réactions, souvent un pas en avant, deux en arrière. Les Lumières sont aussitôt suivies d’Anti-Lumières, et des tentatives de renouveau de “l’enchantement” sous toutes ses formes. Aux XXème siècle, les Lumières sont conçues comme le désenchantement du monde”[1], et il y aura de nombreuses tentatives de ré-echantement du monde, notamment entreprises par les religions, et y compris dans le bouddhisme. Des tentatives d'obscurantisme pourraient dire des mauvaises langues.
Cody Bahir en avait fait l’objet de sa thèse Reenchanting Buddhism via modernizing magic Guru Wuguang of Taiwan’s philosophy and science of ‘superstition’ (2016, Leiden University), où il analyse le cas spécifique du moine chinois Guru Wuguang (1818-2000) à Taiwan, et son initiative (réussie) du renouveau du bouddhisme Zhenyan, une forme de vajrayāna chinois, qui avait existé en Chine du VIIème au XIIème siècle. C’est une thèse passionnante dont l’intérêt sort du cadre sino-japonais, et qui peut éclairer la discussion sur le “modernisme bouddhiste”, le “bouddhisme protestant”, voire le “néobouddhisme”. Attendez-vous donc à une série de billets sur les diverses tentatives de ré-enchantement, inspirés par cette thèse intéressante.
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[1] Max Horkheimer et Theodor Adorno, Dialectique de la raison (Dialektik der Aufklärung).
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