samedi 28 novembre 2020

Les moyens de reproduction d'un tulku


Les tulkus ne viennent pas d’un plérôme, mais d’une infrastructure, qui est l’ensemble des moyens de productions non matérielles. L’institution qui gère la production des tulkus est le “bla brang”, l’office qui administre l’âme (tib. bla), ou le corps subtil d’un lama, ainsi que ses divers patrimoines, ses sceaux, et les relations avec les fidèles. C’est le ladrang, c’est ainsi que cela se prononce, qui sélectionne les parents potentiels, les candidats potentiels pour un poste de tulku vacant. C’est un DRH spirituel en quelque sorte. Il gère les affaires d’un grand lama le temps que celui-ci change de corps et de vie.

Pour être plus précis, seuls les très grands lamas, les grands détenteurs de lignées, ont un ladrang. Des lamas subordonnés appartenant à une grande lignée voient souvent leur patrimoine spirituel géré par l’Office du grand lama dont ils dépendent. Il arrive qu’un grand lama et son Office soient en désaccord sur les affaires. Il arrive aussi qu’un grand lama très charismatique soit plus fort que son Office. Tout cela relève de la politique spirituelle.

Bo Gangkar Rinpoché IX en Chine

Puisque nous avons commencé à suivre (Bo[1]) Gangkar Rinpoché ou Gongga Khutughtu, où Khutughtu est l’équivalent mongol de tulku, continuons avec lui pour un exemple du travail d’une Office. Le neuvième tulkou de Bo Gangkar (1893-1957) fut un important missionnaire tibétain en Chine, pendant l’époque du renouveau tantrique. Sa “cure”, son monastère, son patrimoine immobilier se trouve à Minyak (Mont Gongga), un monastère au pied de la montagne, et un autre, plus petit, plus haut. Mais à cause de ses missions en Chine, il a eu de nombreux fidèles en Chine, et plus tard, indirectement, à Taiwan et en Asie.

Avec le changement de régime en 1949, Bo Gangkar Rinpoché (BGR) IX fut placé dix mois sous résidence surveillée dans son monastère. Il fait cependant encore un troisième voyage en Chine entre 1953 et 1955. En 1952 un groupe de 80 étudiants chinois venait étudier dans son monastère. Cet échange était organisé avec l’antenne PRC de Dartsedo. La dernière année de sa vie, BGR IX avait servi de conseiller à la Conférence politique consultative (Zhengxie) du PRC de Dartsedo. Il est mort en 1957.

BGR X jeune (photo Facebook)

Le dixième tulku de Bo Gangkar est né en 1982 à Bodhgaya. Trois mois plus tard, Situ Rinpoché (ladrang de Pelpoung, depuis 1975 établi à Shérab Ling, Bir, Inde) invita le couple avec l’enfant dans son monastère, pour y éduquer leur enfant. Il semblerait que l’on ait initialement confondu avec le tulku de Karmapa XVI, qui venait de mourir (1981), avant la certification de son tulku[2]. Lors d’un voyage de Situpa à Shigatsé (西康德格) en 1985, plusieurs lamas de Bo Gangkar IX étaient venus de Dergé en bus, pour lui demander un nouveau rinpoché. En 1991, Situpa avait lui-même fait un voyage à Bo Gangkar pour y rencontrer les lamas du monastère, en leur apprenant que leur jeune tulku vivait désormais dans son siège à Inde[3]. La même année, il s’était également rendu à son siège Pelpoung au Tibet, où il donna un cycle d’initiations. Un des jeunes moines présents, Urgyen Trinley, avait alors (re)pris refuge avec lui[4]. En 1992, Situpa le présenta comme son candidat pour la fonction du Karmapa XVII.


BGR X au Tibet ? (photo Facebook)

En 1999 BGR X est officiellement intronisé par Situpa à Sherab Ling[5]. La même année à Siliguri, a lieu une “nouvelle” cérémonie d’installation de BGR X en présence de Gyaltsab Rinpoché, Bokar Rinpoché et Kalu Rinpoché II. En octobre 1999, BGR X se rend à son monastère Bo Gangkar au Tibet[6]. En décembre 1999, le futur Karmapa XVII Urgyen Trinley sévade de son monastère et du Tibet. Il résidera sous surveillance stricte au monastère tantrique de Gyuto près de Dharamsala.

BKR X et Fahai Lama II

De retour en Inde, BGR X poursuit sa formation à Sherab Ling, et termine une retraite de 3 ans en 2005. Il commence alors son activité d’enseignement, notamment dans les centres de la vénérée Gongga à Taiwan. En même temps, son lien avec le tulku de Lama Fahai, semble traduire la volonté de reprendre contact avec les étudiants chinois de BGR IX.[7]

J’ignore tout des conditions de la reconnaissance du tulku de Lama Fahai, mais son existence même et son association avec Bo Gangkar X montrent bien l’activité d’un Office, qui pourrait très bien être l’Office de Palpung, et sa volonté d’utiliser l’image de Gongga Khutughtu dans le monde sinophone.

Mais en 2012, BGR X est arrêté à Chauntra, Himashal Pradesh en Inde, en compagnie de 8 travailleurs volontaires Taiwanais. Une communauté tibétaine est établie à Chauntra avec des monastères nyingmapa, drikhoungpa, ainsi que le centre d’études de Dzongsar Khyentsé Rinpoché. Les Taiwanais étaient des charpentiers et des peintres, travaillant dans une maison pour BGR avec un visa de touriste (Hindustan Times). Les chefs d’accusation, notamment la suspicion d’activités d’espionnage écartée par la suite[8], sont multiples. Un montant de Rs 6.5 crore (l’équivalent de 734 572,59 Euro) en espèces était découvert au domicile de BGR (Times of India). 


BGR X sur son trône à Taiwan en distanciel, Photo Gangkartaiwan

Une solution a dû être trouvée depuis, car BGR X est de nouveau actif, mais il lui est désormais plus difficile de voyager. Les contacts avec les disciples Taiwanais passent par Internet.

Arrêt sur image Youtube

Arrêt sur image Youtube

Photo Facebook

Arrêt sur image Youtube

Arrêt sur image Youtube

Il est très probable qu’il supervise actuellement la construction d’un nouveau grand centre monastique pour le Karmapa XVII (vidéo youtube du 23/07/2020). Les disciples sinophones semblent être une source de financement importante pour les projets immobiliers du bouddhisme tibétain (voir aussi mon blog Les bouddhistes français ont du progrès à faire). Le Qigong (Falung) et le "Qigong tantrique" (dénomination PRC) semblent avoir le vent en poupe. Vu les projets en cours, on ne risque pas de sitôt en finir avec les institutions "féodales"

***

[1] Bo signifie montagne dans la langue de Minyak, la région où se trouve la montagne. Gongga est le nom chinois pour le nom tibétain Gangs dkar, glacier blanc.

[2] “在認證前曾被誤認為噶瑪巴。” Source : https://gangkartaiwan.wordpress.com/author/gangkar/

[3] Source : https://gangkartaiwan.wordpress.com/author/gangkar/

[4] Source : La controverse des Karmapa

[5] “He was enthroned in 1999 by Tai Situpa who heads the Palpung Sherabling monastery in Kangra. Gankar Rinpoche had visited Taiwan in 2005.” https://www.hindustantimes.com/chandigarh/tibetan-religious-leader-held-in-delhi/story-mi5C9Gng4TIUEqwc5LPTGJ.html

[6] “1999年,由廣定大司徒巴在八蚌智慧林主持舉行盛大的坐床典禮,當貢噶仁波切到波卡仁波切的駐錫地(MIRIK)接受灌頂時,應群眾要求在西里咕里再次舉行坐床典禮,由嘉察仁波切、波卡仁波切和卡盧仁波切一起主持。於同年十月回到四川貢噶山舉行無量長壽佛灌頂並講法及開示,還成立一所佛教大學,在四川停留兩個月的期間,喚起了人們的信心與喜悅,並懇求仁波切能早日再回到四川” https://gangkartaiwan.wordpress.com/author/gangkar/

[7] “In 1988 Fahai Lama, who was already known since the 50s as an expert of Chinese acupuncture and qigong, was invited as a “master of qigong” to the capital. 149 From February 26 to March 1, Fahai Lama and Tibetan lamas along with hundreds of admirers of Tibetan Tantric practices (mostly Gangs dkar rin po che’s disciples) gathered at the Badachu Hotel (Badachu fandian 八大處飯店) in Beijing to take part in the founding symposium of the Tibetan Tantric Qigong Society of the Chinese Qigong Research Association (Zhongguo Qigong Yanjiuhui Zangmi Qigonghui 中國氣功研究會 藏密氣功會). On this occasion more than thirty contributions reportedly focused on the so-called Tibetan Tantric Qigong (Zangmi Qigong 藏密氣功), presenting it as “worthy of study and research not only because it has a precise doctrine and rigorous practical stages but because of its undeniable meaning for the development of latent abilities (qianneng) in the body and the exploration of the secret of psychosomatic science.” M. Esposito, p. 521

“Fahai Lama’s efforts were mostly directed towards harmonizing Tibetan doctrines and beliefs with Chinese Buddhism or Chinese traditions in general.”

“These efforts to develop a non-sectarian rhetoric of assimilation between esoteric and exoteric traditions and between Tibetan and Chinese Buddhism should be seen in the perspective of the 19th-20th century movement of Tantric revival for establishing a “Chinese esoteric tradition” or a “Chinese Tantrism.””

“Although his strategy differed from that of the Chinese monk Taixu’s dream of reforming Chinese Buddhism, Fahai Lama ended up similarly combining Tibetan Tantrism with qigong and the Daoist study of immortality.157 Confronted with Chinese followers but also with official Chinese Buddhist associations, Fahai Lama, like many other Tibetan or Chinese masters, had to find a legitimate space for his religious discourse within the limits allowed by the Chinese government and its office of religious affairs. At time one legitimate area in PRC was certainly qigong. The project of building a qigong sanatorium for retired cadres in Fahai Lama’s triune religious complex should be also regarded in this light.”

“Compared to leaders in other monastic institutions in China in his time, Fahai Lama was quite free to organize his activities, to receive offerings, and even to lodge foreigners, things that were still forbidden in China in the middle of the 1980s. “

[8] Le Ministre de l’Intérieur (Ministry of Home Affairs) suspecte BGR et Situpa d'être pro-chinois.
“Sources said the MHA is suspicious of Bo and Tai Situ Rinpoche, the mentor of the Karmapa, and considers them pro-Chinese. They said the Karmapa’s association with Bo and Tai, could land him in trouble.” (Times of India)





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