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Pendant le renouveau tantrique chinois à la fin de l'empire, pendant la République de Chine et au début de la Chine communiste jusqu’à la révolution culturelle, les élites chinoises s'abreuvèrent aux sources tantriques tibétaines, pour se réapproprier le bouddhisme ésotérique (japonais et tibétain) et pour ainsi ré-enchanter le bouddhisme chinois. Je m’intéresse surtout à l’aspect de ré-enchantement : les aspects les plus ésotériques et surnaturels, et notamment tout ce qui se rapporte au lien corps-esprit, le corps subtil et son ingénierie. Comme il y a “le corps” et qu’il y a “l’esprit”, aussi insaisissable qu’il soit, il y a un lien entre les deux. En passant par l’un on doit pouvoir maîtriser l’autre et vice-versa. A la mort seul “le corps” meurt, l’esprit est immortel. Le bouddhisme a beau proclamer ses quatre vérités, l’ésotérisme l’emporte.
Pendant cette période, on s’intéresse plus particulièrement aux liens “lumineux” entre le corps et l’esprit et leur utilisation. On peut donc présumer que quand les lamas nyingma et kagyu enseignaient les pratiques visionnaires du Franchissement du Pic (tib. thod bgral), les Six yogas de Nāropa, les principes du corps intérieur (tib. Zab mo nang don), les pratiques énergétiques “rtsa rlung thig le”, le transfert de la conscience (tib. ‘pho ba), etc., ils étaient particulièrement attentifs. Les lamas tibétains (p.e. Gangkar Rinpoché), étaient invités par les universités chinoises pour donner des conférences.
"Liu Guizhen émettant du qi" |
En 1950, Liu Guizhen (劉貴珍), l’inventeur du Qigong avait déjà intégré des pratiques tibétaines dans son cursus au sanatorium de Beidahe (北戴河) dans la province de Hebei[1]. Ne maîtrisant pas le chinois, je n’ai pas trouvé l’origine de cette intégration. Pendant sa période de grâce, Liu Guizhen a pu développer sa méthode et implanter ses instituts. Je n’ai pas de vue sur le comment et le pourquoi de l’intégration de pratiques tibétaines dans le Qigong, et très peu de vue également sur l’origine de la méthode de Liu Guizhen, héritée de ses ancêtres. A creuser.
“Liu Guizhen (1920-1983), jeune cadre du parti, sera soigné en 1947 d'un ulcère par son oncle Liu Duzhou qui lui apprend le travail de la force intérieure (neiyanggong), pratique transmise traditionnellement de maître à disciple. Le parti le pousse à approfondir cette pratique. Le secrétaire du parti, Cheng Yulin, l 'assigna à l'enseignement dans le sanatorium des cadres du Hebei méridional et l'entoura d'un groupe de chercheurs.” (Extrait de Histoire du Qi Gong De l'antiquité à nos jours)Pour Liu Guizhen, le Qigong est une triple discipline (santiao) : du corps, de la respiration et de l’esprit. Sa méthode aurait même une petite lignée de transmission “Nei Yang Gong Qigong”, qui remonte de son oncle Liu Du Zhong[2] à un certain Hao Xiang Wu, en une transmission de quatre détenteurs. On peut se demander quel est exactement le lien entre le Qigong et le renouveau tantrique en Chine. La méthode Liu Guizhen était initialement très populaire, jusque dans les plus hauts rangs du Parti communiste. On comprend qu’une méthode ancestrale d’AOC chinoise, sans trop de surnaturel, ait pu les séduire. Pourquoi chercher chez les Tibétains un savoir énergétique et des techniques de longévité ancestraux que la Chine aurait déjà (Qigong, acupuncture, etc.)[3] ?
Le grand timonier se baignant à Beidahe |
On peut imaginer que lorsque les membres du Parti passèrent leurs vacances d’été en famille à la plage de Beidahe, ils auraient pu en profiter pour se faire soigner au sanatorium du docteur Liu Guizhen[4].
“In 1959 over 200 hospital in China were offering Qigong treatment and over 50 of them attended a conference, each producing research data, with the treatment having a 94% positive effect rate in over 25 conditions and the treatment leading to a complete recovery in 80% of the cases studied.” (Extrait de site web Neiyanggong USA)Puis, changement de programme abrupt, la période de grâce de Liu Guizhen se termine. “Le créateur de l’herbe vénéneuse Qigong” fera de la prison pendant 11 ans, et subira des tortures et de la rééducation. Mao et son Parti se seraient-ils aperçus que la méthode de Liu Guizhen n’était finalement pas si ancestrale ou chinoise ? Du même coup, les vacances d’été du Parti à Beidahe, ont été interrompues jusqu’à la fin des années 1970[5].
Après la mort de Mao en 1976, et l’arrestation de la Bande des Quatre (cinq avec leur leader Mao), responsable de la révolution culturelle, un renouveau modéré pouvait reprendre. Le Qigong pouvait revenir, et était de nouveau prêt à recevoir toutes sortes de greffes.
On peut de nouveau se baigner, Deng Xiaoping à Beidahe |
Nous ne savons pas grand chose de la vie du futur Fahai Lama entre les années 1950, où il part à Shanghai, pour travailler dans un centre médical (qigong et acupuncture) entre Ningbeilu et Henang zhongdu. Il aurait tenté de retourner voir son maître au Tibet, mais comme celui-ci était en résidence surveillée (1956-57), il avait fait demi-tour, et repris son travail (?). En 1961, il aurait entamé sa “longue retraite” au Mont Tianmu (Nan tianmushan), jusqu’à la fin de la révolution culturelle. On le voit ré-émerger à partir de 1976, quand il commence à enseigner officiellement, et qu’il ouvre son centre. En 1983, la revue “Qigong” commence à expliquer des méthodes tantriques tibétaines. En 1988, a lieu la fondation de la Société de Qigong tantrique tibétain de la Société chinoise des sciences du Qigong (Zhongguo Qigong Yanjiuhui Zangmi Qigonghui 中国气功科学研究会 藏密氣功 ), avec de nombreux lamas et tulkous parmi leurs membres. Fahai Lama et Zhuba (?) furent de la partie (source Chen Bing).
Au milieu des années 1980, il y avait déjà 2000 organisations de Qigong et entre 60 et 200 millions de pratiquants dans toute la Chine, et à la fin des années 1980, le Qigong était pratiquée dans tous les segments de la population (source : Vibrational Energy Medicine).
Planche du Xingming guizhi |
Le terme Qi gong apparaît pour la première fois dans un texte taoïste (Xingming guizhi, un recueil de préceptes taoïstes d’hygiène corporelle) datant de la dynastie des Tang (618-907), où il le sens de "procédés du souffle". Le terme “Qi” signifie quelque chose comme énergie vitale ou souffle. Il s’apparente à l’idée de souffle vital, le pneuma chez les Grecs, le prāṇa chez les Indiens, le rlung chez les Tibétains. Maîtriser et chevaucher le souffle vital est détenir le secret de la santé, de la longévité, voire de l’immortalité. La “pneumatologie” est donc l’étude de cette énergie vitale, qui affirme l’existence d’une énergie vitale qui pénètre le vivant, que l’on pourrait capturer, mesurer[6], faire circuler, monter, descendre, maîtriser... Cette énergie est censée établir “le lien” entre “le corps” et “l’esprit”. C’est une manière de penser qui peut rapidement aller vers une pensée essentialiste, où l’on aura du mal à ne pas attribuer une réalité à des idées qui n’en ont pas, ce qui n'exclut pas qu'elles ne puissent pas produire d'effets, mais c'est un autre débat.
"Je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler : car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies…" Montaigne, Apologie de Raymond de Sebonde
Cours avancé de Qigong (1993) sur le mont Miaofeng, Pékin. La casserole sur la tête aiderait à prendre conscience du lien entre l'homme et le Ciel (source internet). |
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[1] Chen Bing, The Tantric Revival and Its Reception in Modern China, traduit par Monica Esposito dans Images of Tibet in the 19th and 20th Centuries, 2008, p. 410
“ In the 1950s there were already some Tibetan Tantric practices in what Liu Guizhen taught at his qigong sanatorium in Beidahe (Hebei province), and contemporary qigong movements still regard meditative and esoteric practices as a kind of qigong therapy. In the modern Chinese translations of Tibetan Tantric works, breathing methods and techniques for the circulation of inner energy, like the vase-shaped breathing (Tib. bum can, Ch. baoping qi) were often translated by the term qigong (manipulation on qi or vital energy), and, from 1983, the review Qigong started to explain Tibetan Tantric methods.”
[2] “Eventually Uncle Liu Duzhou revealed the most important ‘secret’ of qigong and how it benefited a person’s health:
By silently repeating a phrase while focusing mental awareness below the navel, brain activity was slowed and the inner organs were strengthened. Doing this improved mental and physical well-being which consequently prolonged life.” Chinese Buddhist Encyclopedia
[3] “Mao Zedong himself recognized the conflicting aims between the rejection of feudalistic ideas of the past and the benefits derived from those ideas. Traditional Chinese medicine was a clear example of this conflict. His solution can be summarized by his famous phrase "Chinese medicine is a great treasure house! We must make efforts to uncover it and raise its standards!", which legitimized the practice of traditional Chinese medicine and created an impetus to develop a stronger scientific basis.[21] The subject of qigong underwent a similar process of transformation. The historical elements of qigong were stripped to create a more scientific basis for the practice.” Extrait de Vibrational Energy Medicine, PediaPress
[4] “In 1956 the Beidaihe Medical Qigong hospital and training facility was established and many of the early patients included high ranking government officials.” Extrait de site web Neiyanggong USA
Voir aussi l’article en chinois 揭密夏都北 戴 河:看领 导 人如何度假? sur les vacances du Parti à Beidahe.
[5] “In the late 1970s, following the denial of the "Cultural Revolution", a large number of veteran cadres who had been impacted were rehabilitated, central and local sanatoriums were returned to various departments, and the past sanatorium system was gradually restored. Some senior central officials went to Beidaihe in the summer to recuperate and work, and some important domestic political activities and important decisions began to be related to Beidaihe.” traduction automatique Google de l’article 揭密夏都北 戴 河:看领 导 人如何度假?.
[6] "In the early 1980s, the Chinese scientific community attempted to verify the principles of qi through external measurements. Initially, they reported great success suggesting that qi can be measured as a form of electrical magnetic radiation. Other reports indicates that qi can induce external effects such as changing the properties of a liquid, clairvoyance, and telekinesis. Those reports created great excitement within the paranormal and para psychological research communities. (Wikipedia)
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