lundi 2 novembre 2020

La magie toujours et encore pour ré-enchanter le monde ?


Moine Thai proposant à la vente un masque avec des incantations (Nakhon Pathom Province)

Notre monde évolue sans cesse. Les connaissances d’antan sont les superstitions d’aujourd’hui. De découverte en découverte, les connaissances de l’humanité évoluent avec des effets dans tous les domaines. Cette évolution avait conduit, en Europe et vers la fin du Moyen-Âge, à une hostilité ecclésisatique envers les sciences occultes de tout genre. Le monde était déjà en pleine phase de “désenchantement”. Où finit la religion et commence la superstition, ou bien, où commence la religion et finit la superstition ? La bulle Super illius specula (1326) du pape Jean XXII n’empêchera pas le commerce des indulgences, qui fut la goutte faisant déborder le vase des “protestants”, qui ne s’arrêtèrent pas là pour désenchanter leur religion, soutenu en cela d'ailleurs par l’évolution générale du monde. Les temps changent. Faut-il considérer ce “désenchantement” comme une perte ? Malgré les protestants, le commerce des indulgences ne fut réformé (pas aboli) qu’en 1967 par le pape Paul VI[1].

L’occident se félicite des religions en son sein qui ont subi l’influence des Lumières, et qui sont désormais considérées comme des “religions des Lumières”, à quelques exceptions et dérives sectaires près. En Chine, l’Administration d’État pour les affaires religieuses (Aear) resserre le contrôle des cinq communautés religieuses et leurs institutions. En France, le Ministère de l’Intérieur, qui régit les cultes, appelle de ses voeux un “Islam de France”. Dans le cadre des séparatismes potentiels, les différents bouddhismes nationaux, devraient-ils laisser la place à un “bouddhisme de France” ? “Bouddhisme tibétain de France” ? “Vajrayāna de France” ? Tout cela afin de « renforcer la sécurité nationale », de sanctionner les communautés qui organisent « des événements non-autorisés », qui reçoivent « des dons provenant de l’étranger », pour « contrer les infiltrations » et « faire barrage à l’extrémisme » (citations de l’article La Chine durcit son contrôle sur les religions).

Voire pour libérer le bouddhisme tibétain en France des influences étrangères et mettre fin au système des lamas détachés ? (mutatis mutandis, discours du président Macron du 2 octobre 2020). Cela en plus du dispositif juridique français contre les dérives sectaires[2] déjà en place.


"Wealth Vase" (tib. bum bzang),
une "mini corne d'abondance" avec 5 divinités Jambala

Existe-t-il encore de l’espace pour “ré-enchanter” le monde dans le cadre de la loi ? Par de la magie “religieuse” licite ? De la magie blanche s’entend. Celle qui combat les tremblements de terre, les tsunamis, les sécheresses, la pauvreté (les “boumzang” à placer sous son lit pour attirer les richesses), les épidémies, les pandémies, les cauchemars, les terreurs du bardo, etc. par des yantras, des mantras, des amulettes de santé etc. 

"Libération à la vue du mantra bouddhiste
Tagdrol Masque"


A chaque catastrophe, les réseaux sociaux bouddhistes fourmillent de solutions recommandées par des grands maîtres bouddhistes. Le Bouddha doit être fier. Il fut un peu réticent au début pour enseigner sa doctrine subtile, et avait peur d’être mal compris, voire pas du tout compris, mais s’il pouvait voir les amulettes, les masques à maṇḍala, yantra et mantra, et entendre toutes les prières et mantras accumulés et comptabilisés, il aurait été ré-enchanté, rassuré et fier, quoi qu’en disent des rejetons pisse-vinaigre des Lumières.

Sur les "boumzangs"

Boumzang de Kalacakra (avec mantra)

Non seulement Padmasambhava aurait introduit au Tibet le bouddhisme en 786, il y aurait également introduit le "vase de fortune" porte-bonheur, en donnant les instructions de leur fabrication, consécration etc. Si vous souhaitez enchanter votre vie et "en même temps" attirer de bonnes choses, vous trouverez cet objet magique en ligne pour un prix pouvant varier entre $99 et $999, en fonction de leur contenu etc. On peut aussi fabriquer son propre vase, pour faire entrer la magie dans sa vie pendant le confinement. Le vase Kalacakra ci-dessus est préparé par des moines à Taiwan, puis béni par H.H. Taklung Tsetrul Rinpoche. Entrez pour le dzogchen, sortez avec un "vase de fortune" à la main.


J'ai déjà écrit sur les mantras spécifiques recommandés "contre le Covid" par des maîtres bouddhistes dans mon billet Le rêve d’un anthropologue ? La dernière tendance est celle des amulettes.

Amulettes à toutes fins utiles en ligne
(le site présente de nombreuses familles de produits)


L'abbé de Tengboché (Népal), Nawang Tenzin Zangbu, est décédé le 10 octobre dernier. S'inquiétant pour la santé de ses fidèles dans le cadre du Covid19, son dernier voeu était de les protéger contre le covid en faisant distribuer des "amulettes buti".

Photo d'une amulette "buti" distribuée

Le service des prières à la demande à Shechen (tarifs 2013, tarifs 2017) est actuellement fermé à cause du Covid. Les commandes payées en avance peuvent être remboursées ou exécutées après la crise. Il faudrait donc temporairement se débrouiller autrement.


La "magie" est une affaire de "spécialistes" intermédiaires, et donc de services rendus et vendus. Est-ce qu'elle invite au rêve, à la créativité, à la poésie ? Depuis toujours ou depuis longtemps, elle est une marchandise, un produit de consommation, de première nécessité ou non, essentiel ou non-essentiel, je vous laisse juge.   
 
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[1] Celui-ci “déclare dans Constitution apostolique Indulgentiarum doctrina : “« des abus se sont introduits dans la pratique des indulgences, soit parce que « par des indulgences immodérées et superflues » on dépréciait les clefs de l’Église et on affaiblissait la satisfaction pénitentielle, soit parce que le nom des indulgences était blasphémé à cause de « profits condamnables »” Wikipédia

[2] - la déstabilisation mentale
- le caractère exorbitant des exigences financières,
- la rupture avec l’environnement d’origine,
- l’existence d’atteintes à l’intégrité physique,
- l’embrigadement des enfants,
- le discours antisocial,
- les troubles à l’ordre public
- l’importance des démêlés judiciaires,
- l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels,
- les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

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