mercredi 21 octobre 2020

De la corne d’abondance à une mangouste…


Perséphone et Hadès, vase 500-400 av. J.C., British Museum

La corne d’abondance serait d'abord apparue au Ve s. av. J.-C. comme un attribut du dieu Hadès ou dans le contexte de ce dieu. On la voit représentée quand Perséphone est avec Hadès dans le royaume souterrain pendant six mois. Il s’agit peut-être d’un attribut temporaire, emprunté pendant six mois... Le nom latin de Hadès est Pluto(n), ce qui signifie “le riche”. 


Hadès fertilise la terre avec la corne,
Perséphone tient un caducée et une charrue


C’est un dieu qui stocke ses richesses cachées sous la terre (humus). Perséphone et Hadès font des banquets, quand ils sont ensemble. Perséphone lui sert à boire, et Hadès vide sa corne d’abondance devant elle. 

Almathée nourrissant Zeus avec la corne

Selon la tradition la plus populaire, la corne d'abondance ornait le front de la chèvre Amalthée, qui nourrit Zeus dans son enfance (Wiki). Il arrive donc que l’on voit Zeus avec la corne d’abondance. 

Le jeune Ploutos en compagnie de Déméter

Il y a encore un troisième dieu qui arbore cet attribut. Il s’agit de Plutus/Ploutos le dieu de la richesse. La généalogie (et les noms) de Plutus varient, mais il est généralement présenté comme le fils de Déméter et de Jason. Plutus est souvent représenté comme un jeune enfant, en présence de la corne d’abondance, et de la déesse Tyché. 


Déméter sous les traits de Tyché et son fils Ploutos

A partir du IVème siècle, on commence à voir changer la corne d’abondance de main iconographiquement. C’est la déesse Tychè (en latin Fortuna) qui l’arbore. La notion de “fortune” s’individualise progressivement, et on voit cette déesse apparaître sous divers noms, lorsqu’elle est rattachée à des villes spécifiques.
Tyché devient la « Fortune de la cité », en grec ancien, Τύχη τῆς πόλεως, divinité féminine porteuse de la corne d'abondance, le front ceint d'une couronne murale.” (Wikipédia

La Tyché d'Antioche, dont l’original est d’Eutychides date du IIIème siècle av. J.-C., est intéressante du fait que son pied droit écrase un jeune homme[1], qui est la personnification du fleuve Oronte, qui prend sa source au centre du Liban. 

Ardoksho/Tyché & Pharro/Pañcika, Gandhara I-IIème s.

Une sculpture de la déesse Ardoksho locale au Gandhara à l’époque Kouchan, serait à la fois l’équivalent de la déesse grecque Tyché, la déesse perse Anahita, la déesse indienne Śrī, et la déesse Hārītī au Gandhara. Ardoksho/Tyché est ici en compagnie du dieu local Pharro, dans une situation de banquet. C’est Ardoksho, qui tient la corne d’abondance. C'est le nom Hārītī (une yakṣī), qui est le plus souvent utilisé dans cette région pour la déesse ambivalente Tyché/Déméter. Compagne et mère à la fois. On pourrait deviner que le petit enfant touchant son genou est l'équivalent de Ploutos. Cherche-t-il a récupérer la corne ? Quelques variantes du "même" couple. Pañcika/Kubera est le commandant en chef de l'armée de yakṣa de Vaiśravaṇa, ainsi que de 27 autres généraux yakṣa. On représente souvent Pañcika (équivalent de Kubera) tenant une lance et un sac de joyaux (wiki).

Pañcika & Hārītī, couple yakṣa, Gandhara I-IIème s.
 
Pañcika & Hārītī, l'enfant a disparu. Pañcika a
un bâton (de  maréchal/daṇḍa) posée contre sa jambe droite

Hārītī une grappe de raisins à la main,
entourée d'enfants (photo Elisa Iori), Barikot, Pakistan, Swat Valley

Nana (Ishtar), déesse Kouchane

Pour l'anecdote, et pour montrer le caractère non-exhaustif des variantes. Un autre nom de la déesse kouchane Ardoksho est Nana (V-VIème, période hephtalite ou turque), un aspect tenant le même attribut que Tyché d’Antioche, des épis de blé, ou une “palmette” en forme de corne d’abondance, selon le commentaire du Metropolitan Museum, assise sur un lion. 


Vishnu & Lakṣmī, Hoysaleswara Temple à Halebidu, Karnataka

En Inde, l’équivalent de Tyche est Śrī, ou Śrī Lakṣmī, en tibétain “dpal lha mo”, l’aspect paisible. 

dPal Lha mo (détail), entourée de troupiers yakṣa HA9177

Pel lhamo tient une flèche (le caducée de Demeter ?) de la main gauche, et un panier de joyaux et de cornes dans la main gauche, mais les attributs peuvent varier. On voit parfois en plus du panier de joyaux, ou au lieu du panier de joyaux une mangouste qui crache des joyaux (tib. ne ‘u le skt. nakula). On a l’impression que la déesse paisible Phal Lha mo[2] est assez récente, également à en juger par ses représentations.

dPal Lha mo/Hārītī avec mangouste et enfant HA2196

On retrouve la même mangouste cracheur de joyaux sur les icônes de Kubera/Jambhala/Vaiśravaṇa, nettement plus anciennes, dont certaines représentations pourraient suggérer un lien iconographique directe avec notre corne d’abondance. Les trois dieux mentionnés sont des aspects du dieu de richesses à l’instar de Plutus. Ils ont souvent une apparence yakṣa, et peuvent avoir pour monture un lion, ou un makara. Les icônes tibétains représentent le plus souvent Jambhala et Vaiśravaṇa. Kubera est le dieu de richesses bouddhiste non-tantrique indien (Jeff Watt).

Kubera tenant un sac d'argent,
main droite faisant le geste de protection, Ier s.,
Mathura, photo de Biswarup Ganguly


Kubera, tenant un sac long, une peau de mangouste ?
Madhya Pradesh, Xème s. Norton Simon Museum

 
Jambhala noir, mangouste crachant HA65174

Jambhala jaune, assis sur une conque,
tenant le fruit bījapūraka et mangouste HA90718

Jambhala blanc, assis sur un makara,
entourée des 4 dakini HA81650


Jambhala blanc chinois,
assis sur un makara HA3314900

Jambhala jaune avec parèdre,
fruit bījapūraka et mangouste HA65330


Quel est ce fruit bījapūraka, ou mātuluṅga (Citrus medica) que tient dans la main Jambhala, jaune comme la mort ? C'est un cédrat, utilisé pour combattre la fièvre. J'aurais aimé que ce soit une pomme grenade, "abondant en grains", car bījapūraka signifie "plein de pépins".
"Hadès avait appris qu'on voulait venir lui reprendre Perséphone, qui était devenue sa femme. Or, personne ne pouvait quitter les Enfers s'il y avait fait au moins un repas. Hadès offrit donc une grenade à son épouse. Quand Hermès vint la chercher, Perséphone avait déjà mangé six pépins, et ne pouvait donc plus quitter les Enfers." (Vikidia)
Et que penser de Budai ou Hotei avec son sac de bonheur, et accompagné d'un enfant, ou parfois six enfants ?


Ceux qui souhaitent obtenir les siddhi ont l'embarras du choix.
 
Dévot de Vaiśravaṇa recueillant les siddhi aux pieds de son dieu HA24467

Lire aussi Les pérégrinations d'un sage populaire du 30 janvier 2017 et Enchanter, sur "le petit garçon doré" (Shan Cai Tong Zi) du 26 janvier 2016.



***

[1] Héraclès arracha la corne d’abondance à Achéloos (alors qu'il était transformé en taureau) lors de sa victoire sur le dieu fleuve (wiki).

[2] Sa contrepartie courroucé étant la déesse dpal ldan lha mo dud gsol ma ou Kālī, avec son sac à maladies et autres attributs.







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