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C’est par le biais d’une vidéo présentant le dernier livre en français de Jon Kabat-Zinn, L'Eveil de la société, La révolution de la méditation, que mon attention a été attirée sur ce livre. Je précise d’abord ne pas avoir lu le livre, uniquement la préface et l’avant-propos accessibles dans la partie “feuilletable” sur les sites marchands.
La vidéo d’une discussion entre l’auteur Jon Kabat-Zinn, Christophe André et Matthieu Ricard a été animée et publiée par l’éditeur, Les Arènes. La méthode Mindfulness ou Pleine conscience en français, au départ utilisé dans le domaine médicale, puis dans des domaines très variés, a connu un grand succès grâce à une couverture médiatique impressionnante, et à une série d’articles mettant en lumière ses nombreux bénéfices.
Il y a eu aussi, et de plusieurs bords, dès le départ, des échos plus critiques. Une des critiques les plus importantes, à mon avis, fut celle qui portait sur sa pratique qui, tout en focalisant sur l’attention, prônait une certaine passivité, absence de jugement requise, intériorisation, etc., qui pouvait en faire un instrument idéal de résistance au stress, de résignation, de résilience et d’acceptation. Autrement dit, une méthode qui se voulait et pensait totalement apolitique. Changer le monde commence par soi-même, dans son propre jardin intérieur. Il y eut également des articles faisant état d’effets moins bénéfiques, voire négatifs.
De la part du bouddhisme traditionnel, on entendait que cette méthode était trop nombriliste, trop “développement de soi”, et qu’elle manquait de compassion. En réaction, des méthodes de Pleine conscience avec des vrais morceaux de compassion dedans furent développées. La critique de son instrumentalisation par le Marché, et de sa reproduction de sujets passifs restait de vigueur. Ce livre-ci semble vouloir changer cela en proposant une “révolution de la méditation”...
Dans ces temps de crises multiples, le mot révolution semble d'ailleurs avoir le vent en poupe.
Révolution (essai non encore confirmé) |
Les intellectuels français Eric Zemmour et Michel Onfray parlent de la nécessité d’une “révolution réactionnaire” |
La révolution, telle qu’on la concevait plus ou moins, semble dépassée. Temps pour des vents “nouveaux” et un “nouveau monde”. On nous explique d'ailleurs régulièrement que le mot ré-volution signifie “action de revenir en arrière, de recommencer”. La Pleine conscience surfe sur la même vague, en montrant en quoi sa méthode millénaire est réellement révolutionnaire, et capable de transformer l’humanité et la planète, en commençant “au-dedans”.
Nos trois amis sont bien conscients de toutes les critiques ci-dessus, et les mentionnent, sans trop y répondre. C’est vrai que Matthieu Ricard se rend régulièrement à Davos, en influenceur, nous rappelle Christophe André (32:29), et qu’il est en contact avec la fondation Bill et Melinda Gates. La formation des managers et des employés des GAFAM[1] à la méthode de Pleine conscience s’inscrit aussi dans ce travail d’influence et de diffusion de la méthode dans toutes les strates de la société, à partir du plus jeune âge, puis encore quand le sujet entre dans le monde du travail, et qu’il y fait carrière.
La diffusion de la Pleine conscience fut “top-down” (descendante), et avait commencé sa phase de généralisation avec les employés des GAFAM. Matthieu Ricard avait aidé à promouvoir la méthode de Chade-Meng Tan chez Google. Le monde entrepreneurial international l’avait rapidement adoptée pour rendre leurs cadres HR et employés plus efficaces, résistants au stress et plus résilients. Hormis le personnel soignant des hôpitaux, des militaires et policiers furent placés sur un coussin pour apprendre à devenir plus efficaces, et pour mener leurs actions “sans jugement”, voire avec compassion.
Ce qui semble avoir donné le déclic du livre à Jon Kabat Zinn (JKZ) est sa lecture des livres de l’historien Yuval Noah Harari, puis d’un article de Bill Gates dans le New York Times (9 septembre 2018).
“Selon Harari, que devrions-nous faire face à tout cela [les grands défis auxquels nous sommes confrontés en tant qu’espèce] ? Ici et là apparaissent quelques conseils pratiques, dont une stratégie en trois points pour lutter contre le terrorisme et quelques conseils pour gérer les Fake News. Mais sa grande idée tient en un mot : méditer. Évidemment, il ne suggère pas que les problèmes du monde disparaîtront dès lors que nous serons suffisamment nombreux à nous asseoir en lotus et à psalmodier Om. Mais il insiste sur le fait que la vie au XXIe siècle a besoin de pleine conscience - apprendre à mieux nous connaître et voir de quelle façon nous contribuons à la souffrance dans notre propre vie. On peut en rire, mais moi qui ai pris des cours de pleine conscience et de méditation, j’ai trouvé cela convaincant.[2]” Traduction française d’Olivier Colette.“Cette déclaration est plutôt remarquable, surtout de la part de Bill Gates, qui semble comprendre le pouvoir de la pleine conscience de l’intérieur.", ajoute Jon Kabat Zinn dans son livre.
Pendant l’entrevue, JKZ parle de l’influence des GAFAM et des réseaux sociaux sur notre vie, et de la collecte de données par des algorithmes puissants. Au bout de dix ans, “les algorithmes“ et leur pouvoir prédictif nous connaîtrons mieux que nous nous connaissons nous-mêmes… JKZ a également vu le documentaire "The Social Dilemma" ("Derrière nos écrans de fumée", Netflix) et il est très conscient de la menace sur les générations futures et la planète. Pour combattre ces effets négatifs, ou plutôt pour nous en protéger "au dedans", notre trio recommande la pratique de la méditation, tout comme Bill Gates. Les choses doivent changer, mais pas par des actions violentes, impulsives ou sous l'emprise de la colère (46:47), mais avec une bienveillance et une sagesse qui sont le fruit de la méditation. Est-ce que cela implique une désapprobation des divers activismes de nos jours ? Ces activistes devraient-ils changer leur fusil d’épaule, et se mettre en tailleur chez eux, guidé par une coach via Zoom ? A travers la pleine conscience, on peut inspirer “le corps politique” explique JKZ. Nous sommes plus que notre personne (“I, me, mine”). Ensemble avec notre monde, nous formons un corps, dont toutes les veines doivent être irriguées pareillement, pour être en bonne santé. Pas de parties privilégiées.
Depuis le début de l’essor du capitalisme avec la découverte des Amériques en 1492, les parties privilégiées se sont irriguées davantage à chaque nouveau siècle. Actuellement, 42 personnes détiennent à elles seules autant de richesses que la moitié de la population mondiale. Les multinationales, et notamment les GAFAM, ont bientôt plus de pouvoir que les états, si ce n'est pas déjà le cas. On ne peut pas dire qu’il y ait des signes précurseurs pointant vers une intention de commencer à irriguer de façon plus égale les ressources vitales, ou d’arrêter la destruction de la planète. Ni même les premiers signes de ruissellement...
Que peut faire la méditation Pleine conscience face à ce refus ? Est-ce que les visites de Matthieu Ricard à Davos finiront par avoir de l’effet ? Quand ? Les écoliers et lycéens devraient-ils pratiquer la Pleine conscience, au lieu de faire des manifestations Extinction Rebellion ? Ou les deux ? Que faire quand à l'occasion d'une manifestation on reçoit une charge de gaz lacrymogène ou pire dans le visage ? Ce ne sont évidemment que des détails pratiques. A défaut de toute impulsion, ou emprise des émotions (peut-être suite à un sentiment d’impuissance, de ressentiment), filtré par un non-jugement efficace, qu’est-ce qui nous fera lever de nos coussins pour concrètement “participer au mouvement politique de pleine conscience politique de sorte à transformer la société vers le meilleur” au lieu d' "inspirer le corps politique" par des voies mystérieuses ? Existe-t-il des exemples de réussite de transformation pour le meilleur du “corps politique” dans l’histoire millénaire de la pratique de la méditation ?
La phrase la plus juste de l'entrevue est " Il ne faut pas idéaliser la méditation" (43:00), mais est-ce que ce conseil résistera au marketing puissant de la Pleine conscience : “Comment la méditation peut-elle guérir le corps politique, la société, la planète ?”
JKZ termine ainsi (par la traduction de MR) :
« Aussi être conscient de ce qui peut arriver lorsque ce sont des tendances qui s'enchaînent et s'enflamment dans notre esprit, et qui mènent à trouver des solutions dans la violence, dans la fragmentation de la société. Et donc il est possible d'introduire cette pleine conscience. Nous-mêmes, nous pouvons participer à cela, pour introduire dans le corps de la politique, et ainsi œuvrer au bien de la société. »C’est oublier que la violence est déjà présente dans les structures même de la société, y compris dans les institutions. Le néo-libéralisme continue son travail de sape. La fragmentation de la société, cela fait longtemps qu’elle existe, ce ne sont pas les GAFAM qui y changeront quelque chose, au contraire ! elles optimisent le travail de sape.
Voilà quelques questions que je me pose en regardant la vidéo, et en lisant l’avant-propos du livre. Tout cela me donne l’impression d’une opération de communication ("politique", "révolution", "reconstruction" … après quelle destruction ?) de la Pleine conscience (du "Mindfulness-washing"), qui veut se doter d’une couverture davantage "engagé politiquement" (JKZ fait allusion à Sartre : " ... votre éveil fait une différence. Il est inévitablement engagé, au sens où l’entend Jean-Paul Sartre"). Est-ce que cela peut réellement constituer une mission pour une méthode qui vise initialement à calmer le mental, pour voir plus clair en soi ? Le titre de la vidéo est “Comment la méditation peut changer le monde”, et l’entrevue débute avec la question “Comment la méditation peut-elle guérir le corps politique, la société, la planète ?” Guérir, comme s'il y avait un modèle de société (probablement libre de la lutte des classes) à l'état naturel, qui est malade, et qui faut restaurer dans son état naturel. La méditation à l'école peut d'ailleurs comporter des contenus plus traditionnels (voir Le réincarnationisme à l’école)
“Je nourris l’espoir que ce livre contribue de manière modeste mais non négligeable à un profond épanouissement de l’humanité à l’heure où nous soimnes tous confrontés à un véritable défi : nous éveiller au nom qui désigne notre espèce, Homo sapiens sapiens, l’espèce consciente et consciente d’être consciente, ou sombrer dans un état de plus en plus dystopique annonciateur de ténèbres alors que ce dont nous avons le plus besoin en tant que planète et espèce est l’illumination, l’intégrité et l’inclusivité - ce que permet précisément la pleine conscience, qui n’est en rien séparée de la compassion, de la sagesse ou de l’action au service de la transformation et de la guérison face à l’injustice institutionnalisée sous toutes ses formes.” (fin de l’avant-propos)Pour de bonnes définitions de l’injustice institutionnalisée et son histoire, ainsi que sur la très nécessaire séparation de l’état et de la sphère économique, je vous recommande la lecture de La fin de la mégamachine de Fabian Scheidler, plutôt que les livres de Yuval Noah Harari.
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Can Mindfulness Change The World? Bonny Brooks
[1] GAFAM est l'acronyme des géants du Web — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
[2] “What does Harari think we should do about all this? Sprinkled throughout is some practical advice, including a three-prong strategy for fighting terrorism and a few tips for dealing with fake news. But his big idea boils down to this: Meditate. Of course he isn’t suggesting that the world’s problems will vanish if enough of us start sitting in the lotus position and chanting om. But he does insist that life in the 21st century demands mindfulness — getting to know ourselves better and seeing how we contribute to suffering in our own lives. This is easy to mock, but as someone who’s taking a course on mindfulness and meditation, I found it compelling.” What Are the Biggest Problems Facing Us in the 21st Century? Bill gates NYT
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