Ceux qui dans le bouddhisme tibétain font la pratique de l’effigie d’eau (chu gtor) et qui, à la fin de leur repas, laissent un peu de nourriture dans leur assiette en la dédicaçant aux pretas connaissent sans doute l’histoire de l’ogresse et de ses 500 enfants. Cette ogresse était une yakṣī du nom de Hārītī. Cette déesse d’origine Indo-iranienne était une saisisseuse d’enfants, qui dévora les enfants des autres. Quand le bouddhisme est arrivé dans la région de Gandhāra, le culte de la yakṣī fut intégré dans le bouddhisme.
Évidemment, cela passe par une petite histoire. Des mères viennent voir le Bouddha pour lui demander de les aider à protéger leurs enfants contre la yakṣī Hārītī. Celui-ci enlève Aiji, le fils cadet de Hārītī et le cache sous son bol d’aumônes. Hārītī est désépérée et cherche partout son fils aimé. En désespoir de cause elle vient voir Śākyamuni. Celui-ci lui dit qu’elle souffre parce qu’elle a perdu un de ses 500 enfants. Il lui demande d’imaginer la souffrance des parents qui ont perdu leur enfant unique, et il fait le vœu de les protéger. Après s'être repentie et convertie au bouddhisme, elle nourrissait ses enfants uniquement avec des grenades, en substitution de la chair d’enfant. Dans le Gandhāra, on s’adressait désormais à elle, pour avoir une naissance facile et pour la protection des enfants. Les représentations de Hārītī que l'on trouve dans les caves d'Ajanta et ailleurs auraient leur origine en Gandhāra.
La tradition tibétaine explique qu’en échange de la conversion de Hārītī et pour la dédommager de la protection qu’elle accorde, le Bouddha aurait recommandé à ses moines de réserver un peu de leur nourriture à Hārītī. Pour l'origine des tormas il y a une anecdote similaire.
La pratique de l’effigie d’eau (T. chu gtor) est une offrande d’eau avec de la nourriture (boulettes de farine et sucre) versée dans sept récipients, destinée aux quatre types d’invités : les trois Joyaux et Racines, les dieux de richesses (des yakṣa), les êtres des six destinées, et les preta en particulier. Le mot « gtor » dans « chu gtor » est l’abréviation de « torma » (T. gtor ma S. « balingta » selon les tibétains, bali).
Il existe différents types de tormas[1]. Les torma-support (rten gtor) qui servent de support à la divinité et des tormas d’offrande de différentes sortes, qui peuvent avoir diverses fonctions : (entre autres) une offrande (destinée aux divinités), le « salaire contractuel » dû aux anciens yakṣa reconvertis, voire une rançon (glud gtor) dans le cas spécifique où un dieu démon subordonné de l’entourage des yakṣa aurait saisi un enfant que l’on voudrait récupérer. Les prêtres des empereurs tibétains avaient d'autres rituels de rançon (T. glud, byol) pour le rachat de l'âme du défunt. Le phénomène de saisie/possession et les rituels de rachat existaient également en France.
Dans le cas d'un enfant "saisi", il existe aussi des rituels qui servent à tromper (bslu) les démons en question, et où l’on utilise un « rta gtor », un « torma-cheval ». Les démons sont éloignés des enfants par des effigies qui sont des leurres. Une fois que les démons sont attrapés dans ces tormas, ceux-ci leur servent de "cheval" pour les emporter loin de l’enfant « saisi » ou « possédé ». Dans d’autres rituels, un effigie de l’enfant (chung glud) peut être offert. Tout se négocie, aussi dans le monde surnaturel. Même les bouddha n’y échappent pas.
Intégré dans le bouddhisme dans le Gandhāra, Hārītī, d'origine iranienne, a fait par la suite l'objet d'un culte dans quasiment tous les pays bouddhistes, par des adeptes souhaitant avoir des héritiers, puis par coutume et par tradition.
Hārītī (T. 'phrog ma) fait aussi partie du maṇḍala du Kālacakra Tantra.
Pour d'autres formes de protection, revoir De l'usage d'une armure dans le bouddhisme.
[1] « torma; expl. of various types: About shrine torma, perpetual torma, captured torma, daily torma, occasional torma, and so forth, the Notes for the Development Stage by Künkhyen Tenpey Nyima mention: The shrine torma (rten gtor) is visualized as the deity and kept for as long as it lasts as an object of offering. The perpetual torma (rtag gtor) which is kept for special durations, months and years, in the manner of shrine offering, can be of two types. The first is the sadhana torma (sgrub gtor), also called offering torma (mchod gtor), which is presented to the deities at the time of making offerings. The other is the mending torma (skang gtor) which is given in the manner of manifold sense-pleasures. The session torma (thun gtor), also called daily torma (rgyun gtor), is given occasionally as a present at the end of enjoining certain activities. The captured torma (gta' gtor) is kept until the activity is accomplished after which it is given so the activity is accomplished swiftly and with no delay. [EPK] »
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Illustration : relief représentant Hariti à Mathura, 2ème siècle
[1] « torma; expl. of various types: About shrine torma, perpetual torma, captured torma, daily torma, occasional torma, and so forth, the Notes for the Development Stage by Künkhyen Tenpey Nyima mention: The shrine torma (rten gtor) is visualized as the deity and kept for as long as it lasts as an object of offering. The perpetual torma (rtag gtor) which is kept for special durations, months and years, in the manner of shrine offering, can be of two types. The first is the sadhana torma (sgrub gtor), also called offering torma (mchod gtor), which is presented to the deities at the time of making offerings. The other is the mending torma (skang gtor) which is given in the manner of manifold sense-pleasures. The session torma (thun gtor), also called daily torma (rgyun gtor), is given occasionally as a present at the end of enjoining certain activities. The captured torma (gta' gtor) is kept until the activity is accomplished after which it is given so the activity is accomplished swiftly and with no delay. [EPK] »
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