mercredi 16 juin 2021

Ils vivent, nous dormons

They live, We sleep, film de John Carpenter (en ce moment sur Arte-tv)

Le discours sur la chose n’est pas la chose, le symbole indiquant la chose n’est pas la chose, le doigt pointant vers la lune n’est pas la lune. Presque tout le monde le comprend.

L’informatique/la cybernautique nous aide à créer un monde “virtuel”. Au service du management (Menschenführung), l’objectif final semble être de doubler chaque chose, personne et action dans le monde virtuel, pour contrôler toutes les choses dans le monde réel à partir d’un monde virtuel. A terme, ce qui n’existe pas dans ce monde virtuel n’existera pas, point barre. Il ne sera pas “reconnu” et n’aura pas accès. C’est comme s’il n’existait pas. Vivent “réellement” seuls ceux qui sont présents dans le monde virtuel et participent à la vie véritable” (le discours).

They live, We sleep : les messages sous-jacents des lumières de la ville 

L’informatique opère un basculement à travers le monde virtuel qu’il crée : le pouvoir est transféré au monde virtuel. On peut désormais faire tout “en ligne” et bientôt on doit sans doute faire tout “en ligne”. Chaque chose, identité et acte doit à tout moment être identifiable et traçable.

Ce monde virtuel n’est pas nouveau, des mondes symboliques ont toujours existé, mais cette fois-ci, le monde virtuel a su se doter de moyens puissants quasiment divins. Il n’est pas certain qu’un retour en arrière sera possible, sauf si des mondes symboliques se rebellent ou que le monde réel se rebiffe. Un monde symbolique pourrait prendre la place des Menschenführer du monde virtuel, et rien ne changerait vraiment. Le monde réel pourra en revanche signer l’arrêt de mort définitif du virtuel. On n’a jamais accès au monde réel, à travers le monde virtuel. La fosse ne peut pas être comblée. Passons maintenant à autre chose.

La conscience et l’éveil ne sont pas des choses. Elles ne sont accessibles qu’à travers des discours et des symboles qui ne sont pas “la conscience et l’éveil”. Une personne dite “éveillée” n’a rien à voir avec l’éveil. Si c’est “l’éveil” que l’on souhaite, pourquoi parler d’une personne, de ses faits et gestes, de sa vie, de son apparence physique ? Pourquoi publier des photographies de son corps physique ? Qu’a-t-il à voir avec “l’éveil” ?

Si une telle personne serait - conformément au discours - arrivé à “l’éveil” à travers une certaine série d’événements, pensées, paroles et actes (“la méditation”), qu’est ce qui dit qu’une autre personne en reproduisant la même série de pensées, paroles et actes arriverait au même “éveil”, ou que “l’éveil” se laisserait enfermer dans une telle série, autrement dit dans “une méditation”. “L’éveil” dépend-il d'une sorte de checklist ? Pas selon les prajñāpāramitā-sūtra ou le madhyamaka.

Personne éveillée (John Nada) grâce à un gadget (They live)
Voir aussi l'interprétation de Slavoj Zizek

Avec des discours et des symboles, le bouddhisme a construit des “personnes éveillées”, détenant “l’éveil” où y ayant accès, et qui seraient capables de guider d’autres personnes vers “l’éveil”. La pratique qui les y conduirait est appelée de divers noms, la plus populaire de nos jours étant “la méditation”. “La méditation” pourrait conduire tous ceux qui la pratiquent à “l’éveil”, ou sinon leur procurer toute une série de bienfaits, dont les scienti-spiritualistes et les spirito-scientifiques ont su prouver la réalité par le principe de la reproductibilité. “L’éveil” et “la méditation” sont désormais en voie de “scientification”. C’est important dans un monde de matérialistes et de mécréants, et cela sert à donner plus de corps à “l’éveil” et “la méditation” par le biais de “la science”. On pouvait pratiquer “la méditation” pour pleins de raison, mais bientôt aussi, si Dieu le veut, par nécessité scientifique. Elle pourrait dans ce cas peut-être être prescrite par un Conseil scientifique. Les essais scientifiques en matière de “la bienveillance” et de “l’altruisme” sont encore en cours.

“L’éveil”, “la méditation”, “la bienveillance” ne sont pas si éloignés d’un mot comme “la philosophie”, mais les philosophes ne semblent pas avoir eu l’idée de prouver “scientifiquement” les bienfaits de la philosophie, ou d’examiner si “la philosophie” fait baisser la tension artérielle etc.

L'apothéose de "Francisco Varela"

Pour “la méditation” c’est chose faite. Non seulement, les premiers adeptes de “la méditation” (les “méditationistes”) avaient déjà leurs héros qu’ils appelaient “des éveillés”. Désormais, des scientifiques spirituels, tel que Francisco Varela, commencent à rejoindre leurs rangs. Les acolytes” (followers) des nouveaux héros aiment parler d’eux, de leur vie, de leurs faits et gestes, plutôt que de leur “science”. Comme dans le bouddhisme, on préfère parler des éveillés et de leurs pouvoirs plutôt que de “l’éveil” de façon plus concrète. Dans les cercles scienti-spirituels, la science et léveil, ça sert surtout à être célébrés. Ne soyez pas trop étonnés si sur les futurs thangkas du quatorzième Dalaï-Lama des scientifiques figureront au premier plan aux pieds du Dalaï-Lama.

Ce sont les formes fétiches de “l’éveil” et de “la science” qui se prêtent plus particulièrement à la marchandisation et au merchandising. On y évolue dans des mondes symboliques qui ne donneront jamais accès ni au monde réel ni à “l’éveil”. Les bienfaits que produiraient “l’éveil”, “la méditation”, etc., ainsi que le charisme et les pouvoirs des “éveillés” appartiennent au domaine symbolique. Y a-t-il véritablement un monde réel et un éveil, et un accès direct est-il possible ? C’est une autre question. Est-ce que cet accès aurait une quelconque utilité ? Voilà encore une autre. En absence de lunes, vers quoi pointent les doigts ?

They live, librairie

Chögyam Trungpa avait expliqué sans fard à Allen Ginsberg que "tout l'enseignement se réduit finalement à la vacuité et la docilité".  
[Chögyam Trungpa] dit, eh bien le problème avec Merwin — c'était il y a quelques jours — il dit, le problème de Merwin était la vanité. Il dit, je voulais me charger de lui en m'ouvrant totalement à lui, en mettant de côté toutes les barrières. “C'était un pari.” dit-il. Alors je demandais était-ce un erreur ? Il répondit “Non.” Alors je dis que si c'était un pari et que cela n'avait pas marché, pourquoi ne serait-ce pas une erreur? Eh bien, parce que maintenant tous les étudiants doivent y réfléchir, cela servira d'exemple, et leur fera peur. Alors je rétorquai “Et si tout le monde en parle à l'extérieur, cela ne causerait pas un scandale énorme?” Et Trungpa de répondre, “Eh bien, ne sois pas étonné de découvrir que tout l'enseignement se réduit finalement à la vacuité et la docilité.”

" [Chogyam Trungpa] said, well, the problem with Merwin — this was several years ago — he said, Merwin’s problem was vanity. He said, I wanted to deal with him by opening myself up to him completely, by putting aside all barriers. “It was a gamble.” he said. So I said, was it a mistake? He said, “Nope.” So then I thought, if it was a gamble that didn’t work, why wasn’t it a mistake? Well, now all the students have to think about it —so it serves as an example, and a terror. But then I said, “What if the outside world hears about this, won’t there be a big scandal?” And Trungpa said, “Well, don’t be amazed to find that actually the whole teaching is simply emptiness and meekness.” 
When the Party’s Over, interview avec Allen Ginsberg dans Boulder Monthlymars 1979
They live

 

"Le vainqueur a dit que tous les phénomènes sont semblables à des illusions 
Mais aujourd'hui il y a même des “hyper-illusions” 
Des illusionnistes combinent des illusions trompeuses 
Redoute les illusions de cet âge dégénéré."

chos kun sgyu ma lta bur rgyal bas gsungs//
da ni sgyu ma las kyang sgyu chen te//
g.yo sgyu’i sgyu ma shom pa’i mig ‘phrul mkhan//
snyigs spyod sgyu ma ‘di la ‘jigs par mdzod//

Extrait de : Le Joyau du Coeur (thog mtha’ bar gsum du dge ba’i gtam lta sgom spyod gsum nyams len dam pa’i snying nor), Patrul Rinpoche





























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