« La figure, c'est ce qui manifeste le sens. Les mots, c'est ce qui explique la figure. Pour aller jusqu'au fond du sens, rien ne vaut la figure; pour aller jusqu'au fond de la figure, rien ne vaut les mots. La parole naît de la figure, aussi peut-on scruter les mots pour considérer la figure. La figure naît de l'idée, aussi peut-on scruter la figure pour considérer le sens. C'est la figure qui permet d'aller au fond du sens, ce sont les mots qui permettent d'éclairer la figure. Ainsi donc, les mots sont faits pour expliquer la figure, mais une fois qu'on a saisi la figure, on peut oublier les mots. La figure est faite pour fixer le sens, mais une fois qu'on a saisi le sens, on peut oublier la figure. C'est comme le piège dont la raison d'être est dans le lièvre : une fois le lièvre capturé, on oublie le piège. Ou comme la nasse dont la raison d'être est dans le poisson : une fois le poisson attrapé, on oublie la nasse. Or donc, les mots sont le piège qui capture la figure ; la figure est la nasse qui attrape l'idée.
Voilà pourquoi celui qui s'en tient aux mots n'arrivera jamais à la figure ; et celui qui s'en tient à la figure n'arrivera jamais au sens. La figure naît du sens, mais si l'on s'en tient à la figure, ce à quoi on tient n'est pas vraiment la figure. Les mots naissent de la figure, mais si l'on s'en tient aux mots, ce à quoi on tient ne sont pas vraiment les mots. Aussi, c'est en oubliant la figure que l'on arrive au sens ; et c'est en oubliant les mots que l'on arrive à la figure. L'appréhension du sens est dans l'oubli de la figure, et l'appréhension de la figure est dans l'oubli des mots. »
- Wang Bi (226-249), d’après Zhuangzi 26, dans Remarques générales sur le Livre des Mutations (Zhou Yi Lüeli). Traduction d’Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, pp. 334-335. Wang Bi est à l'origine de l'école du Mystère (C. xuanxue).
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Illustration : La Pêche chinoise de François Boucher, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, Besançon
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