dimanche 10 février 2013

La pensée lumineuse et pure



« Lumineuse est cette pensée, mais parfois elle est souillée par les passions adventices ; parfois elle est libérée des passions adventices. »[1] La pensée est originellement lumineuse (cittaṃ prabhāsvaram), mais peut être dénaturée (kliṣṭa) par les passions (kleśa), ou libérée (vipramukta) des passions, qui sont adventices (āguantuka).[2]

En quoi la nature de la pensée (cittaprakṛt) est-elle lumineuse (prabhāsvara) ou pure (vi-mala) ? Selon le Traité mahāyāna de la continuité insurpassable (Ratnagotravibhāga), en ce qu’elle partage les mêmes qualités que le soleil. Les qualités solaires et de la pensée lumineuse sont au nombre de quatre.

1. L’intellect ultime, supramondaine et non-représentationnelle (lokottara nirvikalpāyāḥ paramajñeya). Telle la lumière du soleil, elle déchire l’obscurité qui empêche de voir l’essence de tout ce qui peut se connaître (prajñāyā)[3].

2. L’intuition de tous les connaissables (sarvajñajñānasya) qui vient à la suite (pṛṣṭhalabdhasya) de celui-ci. Il pénètre toutes les représentations (sarvākāra) de tous les connaissables et ressemble à la diffusion (spharaṇa) du filet (jāla) des rayons de lumière (raśmi).[4]

3. La dissociation (vimukta) de la nature de la pensée (cittaprakṛti), qui est le support des deux [précédents], ressemble par son absence de souillure et par sa luminosité au disque du soleil parfaitement pur (arkamaṇḍalaviśuddhi).[5]

4. Par la nature (svabhāvata) indissociable (saṃbheda) de l’élément des qualités (dharmadhātva) de ces trois, il ressemblent à l’indissociabilité des trois qualités [du soleil].[6]

Les trois qualités du soleil et inhérentes à lui, à savoir la lumière, son rayonnement et sa pureté sont indivisibles. Et cette indivisibilité est alors une quatrième qualité. On y retrouve les trois/quatre qualités du triple/quadruple corps (trikāya). Selon Gampopa :
« La conscience-en-soi naturelle (sahaja) est le véritable corp spirituel (S. dharmakāya)
Les apparences naturelles sont la lumière du corps spirituel
Les représentations naturelles sont le rayonnement du corps spirituel
Leur indissociabilité naturelle est le sens du corps spirituel. »[7] 
La lumière, le rayonnement, la pureté et l’indivisibilité de ces qualités du soleil sont des analogies pour la pensée et ses qualités. Les analogies ne doivent pas être prises à la lettre. Ce n’est sans doute pas un hasard que cette imagerie du soleil et de la lumière soit utilisée dans un traité attribué à Maitreya, le bouddha solaire.

Au niveau de l'évolution du nombre des corps de bouddha et des "intuitions", nous semblons être à trois corps et à "deux" "intuitions". Dans ce texte cependant, le terme "intuition" (T. ye shes) semble réservé à ce qui est relatif à la connaissance de ce qui est manifeste, "du monde", et fonctionnel. La connaissance supramondaine et non-représentationnelle est elle appelée prajñā (T. shes rab). Ces deux types de connaissance correspondent aussi au couple intuition du recueillement (T. mnyam bzhag ye shes S. samāhita-jñāna) et intuition fonctionnelle post recueillement (Litt. rjes thob ye shes S. pṛṣṭha-labdha).

Dans ces deux types de connaissance la première, supramondaine et non-représentationnelle, est primaire et la deuxième, l'intuition (T. ye shes), secondaire. Elle est le rayonnement de la première. La pratique gravite encore principalement autour de l'accès à la première connaissance qui est non-représentationnelle.

Plus tard, avec l'introduction du yoga de l'immortalité et son système pneumatico-hydraulico-énergétique psychique, et l'importance des pratiques visionnaires, l'intuition monte en grade et devient quelqu'un.     

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[1] Aṅguttara, « pabhassaram idaṃ bhikkhave cittaṃ tañ ca kho āgantukehi upakkilesehi upakkiliṭṭhaṃ … tañ ca kho āgantukehi upakkilesehi vippamuttaṃ. »

[2] Etienne Lamotte, L’Enseignement de Vimalakīrti, p. 53

[3] ’jig rten las ’das pa rnam par mi rtog pa’i shes rab ni shes bya’i de kho na nyid dam pa’i mun pa sel ba nye bar gnas pa’i phyir//’od gsal ba dang chos mtshungs so/

[4] de’i rjes la thob pa’i shes bya thams cad kyi ye shes ni shes bya’i dngos po ma lus pa’i rnam pa thams cad la ’jug pas na/’od zer gyi dra ba ’phro ba dang chos mtshungs so/

[5] sems kyi rang bshin rnam par grol ba ni shin tu dri ma med cing ’od gsal ba nyid kyis nyi ma’i dkyil ’khor rnam par dag pa dang chos mtshungs so/

[6] gsum ka yang chos kyi dbyings dang dbyer med pa’i raṅ bzhin nyid kyis gsum po de rnam par dbye ba med pa dang chos mtshungs so/

[7] rang sems lhan cig skyes pa chos sku dngos//
snang ba lhan cig skyes pa chos sku'i 'od//
rnam rtog lhan cig skyes pa chos sku'i rlabs//
dbyer med lhan cig skyes pa chos sku'i don//
Extrait de : chos rje dwags po lha rje'i gsung*/ snying po don gyi gdams pa phyag rgya chen po'i 'bum tig bzhugs so/

2 commentaires:

  1. Bonjour et merci pour vos textes si intéressants. Le texte que vous traduisez est il antérieur à l'apparition de Vairochana dans les écritures?

    Par avance merci.

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  2. Merci ! Oui, il est sans doute antérieur au Mahavairocanâbhisambodhi tantra (MVT) ou sutra (http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C5%ABtra_Maha_Vairocana). Le RGV aurait été traduit au 6ème siècle (508), tandis que le MVT serait arrivé en Chine au 7ème siècle et traduit au 8ème (724-725).

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