dimanche 17 février 2013

Le pourquoi des rites selon Confucius



Pour Confucius, les rites sont essentiels pour l'harmonie entre l'homme et l'ordre général du monde. Elle dépend des devoirs des hommes entre eux mais aussi des devoirs envers les divinités et les ancêtres. La raison de ce dévouement au culte des divinités et ancêtres tient sans doute à l'histoire personnelle de Confucius. C'est tout à fait pas hasard que ces parents s'étaient rencontrés (« union sauvage » le mariage des gandharva chez les indiens) en s'abritant pendant un orage. Sa mère Tcheng-tsai tomba enceinte et son père Chou-leang Ho, ancien gouverneur de Tseou, n'ayant pas encore de fils qui pouvait le succéder comme chef de culte, lui promettait de l'épouser si elle lui donna un fils. La mère va prier le dieu local, le dieu-roi-des-grenouilles, et lui promet de lui vouer un culte s'il lui donne un fils. Un fils, Confucius, naîtra, mais son père ne peut honorer sa promesse et meurt le lendemain de la naissance de Confucius. Quand Confucius a dix-neuf ans, sa mère meurt. Il lui fait une tombe provisoire et s'enquit du lieu où reposait son père. Il trouve l'endroit et obtient que sa mère soit enterrée avec son père.[1] Les parents de son père, sans successeur officiel, le désignèrent comme le successeur de Chou-leang-ho, qui aura le devoir de perpétuer le sacrifice aux aïeux. Par l’accomplissement des rites, il répare les vœux de sa mère, de son père et de la famille de ce dernier et gagne du même coup un père, un lignage et une mission. Les rites lui permettent de reconstituer une famille qui n’avait jamais existé. Tous les ingrédients de la quête de Confucius sont là, même si sa biographie est légendaire[2].

Vivant dans une époque troublée, il tenta de restaurer l’harmonie en s’inspirant de l’exemple des anciens rois et politiques. Il chercha toute sa vie en vain un maître à servir qui voudrait bien appliquer ses idées. « Dirige le peuple comme si tu participes à un grand sacrifice. »[3] « Je transmets ; je n’innove pas. J’ai foi en l’antiquité et je la chéris. »[4] La restauration de l’harmonie au présent passe par la réappropriation du passé, dont Confucius prétend être le continuateur à travers une tradition ininterrompue... Mais sans pouvoir apporter les preuves.[5] La légende raconte alors que Confucius se déplaçait d’une principauté à l’autre « afin de s’instruire des cérémonies qui avaient cours dans les temps les plus reculés. »[6]

Il tente de reconnecter le présent avec un âge d’or passé (imaginaire ?) à travers les rites. Son système est double : « se dominer soi-même et faire retour au rite. »[7] On retourne au rite, « parce que le rite est lui-même retour. Il est réappropriation. Il jette un pont entre présent et passé et établit une continuité entre les âges. »[8] Au fond, qu’importe si ce passé harmonieux n’ait jamais vraiment existé, si le rite permet de rétablir la connexion et d’apporter de l’harmonie au présent ?

Mais les mythes qui recouvrent la réalité sont gourmands et en demandent toujours davantage, pour ne pas laisser apparaître la moindre brèche  le moindre doute. Ils imposent un cadre rigoureux et laborieux. Si certaines coutumes primitives semblent cruelles et choquent, c’est qu’elles remontent aux commencements et qu’elles sont authentiques. Les enterrements pouvaient être prétextes à des sacrifices humains, des empereurs pouvaient se faire enterrer avec leurs serviteurs et concubines.[9] Les rites exigent obéissance/orthopraxie (pas de sentiments), foi en la présence des divinités, des esprits et des mânes[10], et en l’efficacité des rites.
« Le Louen-yu a cette formule significative : « Confucius faisait des sacrifices aux défunts comme s'ils étaient là ; il faisait des sacrifices aux dieux comme s'ils existaient réellement », étayée par les propres dires du Maître : « S'ils n'étaient pas avec moi, ce serait comme s'il n'y avait pas de sacrifice. »
« Tout est là : faire comme si les dieux et les esprits étaient présents, bien que l'on sache qu'ils n'ont pas d'existence réelle. Pour que le sacrifice ait un sens, pour qu'il garde sa dimension rituelle sans laquelle il ne saurait exister émotion et dévotion, il faut croire, au moment où l'on exécute avec gravité et respect les gestes consacrés, que les mânes ancestraux, que les divinités tutélaires sont présents, qu'ils assistent au banquet et qu'ils goûtent aux nourritures offertes par l'intermédiaire du « cadavre », le représentant du mort ou du dieu dans lequel ils descendent et qu'ils viennent habiter, bien que l'on sache qu'il s'agit d'une pure fiction. L'être des dieux est placé dans un lieu improbable, entre être et non-être, entre existence et non-existence, entre foi et scepticisme. Un espace indicible est creusé par l'exécution même du rituel, un espace qui, parce que, justement, il est impossible à situer, fait que les dieux sont divins. Mais l'une des premières conditions - outre le respect et le sérieux -pour faire «comme si» les dieux étaient là véritablement  comme si l'on pouvait sentir leur présence et leur souffle mystiques à ses côtés, est que le sacrifice soit effectif et la victime réelle. Il est indispensable que le sang soit versé et la bête immolée, que ce ne soit pas un simulacre, mais bel et bien un animal vivant, à la chair chaude et palpitante, répondant à la qualité du dieu auquel on voue le culte. Voilà pourquoi, lorsque son disciple Tse-kong, qui remplissait alors à la cour du Lou une fonction officielle, voulut supprimer l'immolation de la brebis lors de la commémoration de la nouvelle lune, Confucius protesta en disant : « Ah, Tse-kong, toi tu aimes le mouton, mais moi j'aime le sacrifice ' ! »

Il faut prendre au sens littéral et au sérieux la réplique adressée à Tse-kong : Confucius baigne dans un univers où toute activité humaine revêt encore une dimension sacrale. De nombreuses notations anciennes font allu­sion à l'activité religieuse de Confucius. Il n'y a aucune raison de douter de leur authenticité. Il faut un minimum de foi pour accomplir des sacrifices. Même si Confucius nourrit des doutes sur le caractère anthropomorphe du Ciel des Tcheou, il demeure persuadé de l'efficacité du rite, non pas seulement comme principe structurateur de l'ordre humain et social, mais de la totalité organique de l'univers. Le Tchong-yong prête à Confucius, lui qui en principe parlait le moins possible du divin, cette excla­mation : « Ah, quelle plénitude est celle des esprits et des dieux ! Les regardant on ne les voit pas ; tendant l'oreille on ne les entend pas ; et cependant ils forment la substance de tous les êtres sans qu'aucun d'eux puisse s'en passer. »

Les dieux sont présents partout dans la société des Tcheou. A commencer dans les hymnes solennels que l'on entonnait à l'occasion des grands sacrifices offerts aux premiers ancêtres royaux et dont les accents ravis­saient Confucius. Les dieux descendaient dans la salle du temple ancestral et les participants sentaient le souffle d'une présence sacrée les effleurer. Ainsi on chantait lors du sacrifice associant le Ciel et les mânes du roi Wen : « Je conduis, je mène en offrande. C'est une brebis que je conduis, c'est un bœuf que je mène en offrande. Le Ciel descendra, je l'espère, à leur droite. »[11]

***
Confucius et ses disciples (Tse-lou, Yen Houei et Tse-kong)

MàJ 17042018 L'importance des rites, France Culture

[1] Confucius, Jean Levi, p. 23

[2] Selon Marcel Granet, p. 28

[3] Louen-yu, XII, 2. Confucius, Jean Levi, p. 46

[4] Louen-yu, VI, 1. Confucius, Jean Levi, p. 38

[5] « Des rites des Hsia, je puis en parler, bien que [les cérémonies de] K’i ne puissent rien prouver ; des rites des Chang, je puis en parler, bien que là encore Song ne puisse rien prouver. Les documents font défaut ; s’ils étaient suffisant, j’aurais de quoi étayer mes dires. » Louen-yu, III, 9. Confucius, Jean Levi, p. 35

[6] Confucius, Jean Levi, p. 38

[7] Louen-yu, XII, 1. Confucius, Jean Levi, p. 37

[8] Confucius, Jean Levi, p. 37

[9] Confucius, Jean Levi, p. 41

[10] "Traiter les morts comme s'ils étaient des morts, ce serait manquer d'affection envers eux ; cela ne peut se faire." Confucius dans le Tan-kong. Levi, p. 43

[11] Levi, pp. 47-49

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