Billet basé sur l'article de Kurtis Schaeffer “The Attainment of Immortality: From Nathas in India to Buddhists in Tibet." Journal of Indian Philosophy 30/6 (2003). pp. 515-533.
A partir du douzième siècle, une série de pratiques de l’immortalité (S. amṛtasiddhi T. ‘chi med grub pa/bdud rtsi grub) font leur apparition dans les milieux des nāth et des bouddhistes avec des échanges transhimalayens intenses. Les voyages de yogi nāth au Tibet ont déjà fait l’objet de plusieurs publications.[1] On a découvert un manuscrit bilingue (préservé dans les Archives nationales du Népal), intitulé « Réalisation de l’immortalité » (Amṛtasiddhi), attribué à Avadhūtacandra, alias Madhavacandra. La partie en sanscrit est en caractères Newāri. Il existent d’autres œuvres d’Avadhūtacandra également sur la pratique de l’immortalité qui remonteraient à un certain Virūpākṣanātha, Virūpanātha, ou encore Virūpa. Ces œuvres utilisent principalement la terminologie usuelle du haṭhayoga des siddhas nāth, bien que les versions tibétaines les présentent comme des instructions d’origine bouddhiste. On retrouve d’ailleurs plus d’une douzaine de vers de ce texte citées dans le commentaire Jyotsnā du Haṭhayogapradipikā.
Au sujet de l'origine nātha, Tāranātha (1575-1634), détenteur des lignées Jonang et Shangpa, écrit :
« Les douze branches (S. nikāya = bārah panth ?) de yogis [nāth] racontent que Mīnapa/Matsyendra suivait Maheśvara (Śiva) et qu’il atteint les pouvoirs mystiques (siddhi) ordinaires. Gorakṣa/Goraknāth reçut de lui les instructions sur les énergies (S. praṇa), les metta en pratique suite à quoi la gnose de la Mahāmudrā naquit naturellement en lui. »[2]L’idée centrale de l’Amṛtasiddhi d’Avadhūtacandra est celle du libéré vivant (S. jīvanmukti T. srog thar), état réalisé par la transformation du yogi en l’ādinātha, le Seigneur primordial des yogi nāth, alias Śiva. L’ādinātha est l’équivalent ādibuddha (Kālacakratantra) chez les yogi bouddhistes.
La partie tibétaine du manuscrit a été traduite par un certain « Bya bande Pad ma ‘od zer », qui déclare avoir traduit toutes les œuvres du cycle. Si ce Pad ma ‘od zer est le même que ‘Phrom Lo tsā ba Pad ma ‘od zer, le document daterait du début du douzième siècle. Ce dernier faisait partie de l’équipe de Gyi jo Lo tsā ba Zla ba’i ‘od zer, qui traduisit le Kālacakratantra en tibétain. Schaeffer donne plusieurs arguments pour montrer le rattachement de Virūpākṣanātha à la tradition haṭhayoga des yogi nāth et au cycle de l’immortalité (Amṛtasiddhi), qui a continué d’exister en Inde pendant plusieurs siècles, comme en témoignent des textes du seizième et du dix-neuvième siècle, comportant des citations du cycle d’Avadhūtacandra. De ce dernier, nous ne connaissons pas grand-chose, hormis le fait qu’il se présentait comme un « instructeur impartial de yoga tantrique ».
Selon Schaeffer, des instructions du cycle de l’immortalité ont été introduites au Tibet à au moins cinq occasions entre le 12ème et le 16ème siècle. Elles reprennent les instructions habituelles dans ce domaine dans une terminologie très proche de celle du Śiva Samhitā, et sont centrées sur la maîtrise des énergies du corps subtil (micromacrocosmique) à travers des exercices physiques et mentaux. Le corps humain est centré autour de l’axe qu’est le Mont Meru, les sept continents, le soleil, la lune etc. L’état du libéré vivant est atteint :
« Quand le noeud de Rudra est tranchéQuand le yogi maîtrise le mouvement du souffle subtil (vāyu ou prāṇa), ou la force vitale, dans tout le corps, et lorsque les trois derniers nœuds, empêchant la force vitale de monter à travers le canal central, sont tranchés à l’aide des techniques du haṭhayoga, le yogi atteint l’état du libéré vivant et le corps de Śiva. L’immortalité est celle de la goutte séminale (T. bdud rtsi thig le), de la force vitale et de la libération[4].
Le souffle va dans tous les lieux
L’esprit, dont la nature est lumière,
Est alors instantanément paré des [qualités] du fruit. »[3]
« Ce yogi est fait de tout,
Il est composé de tous les éléments
Toujours évoluant dans l’Omniscient (sarvajñāna)
Il est vénéré de tous. »[5]
Schaeffer donne pour l’exemple de l’efficacité de cette pratique le témoignage de Khyentse Wangchuk (gas gsar 'jam dbyangs mkhyen brtse'i dbang phyug 1524 – 1568), qui reçut cette pratique d’un maître indien nommé Jahābir. Au bout de six mois de pratique, Jahābir avait atteint l’immortalité. Khyentse Wangchuk raconte qu’au bout de sept jours de pratique, lui-même avait déjà des signes étonnants qui se produisirent, ce qui lui donna confiance en la pratique.
L'immortalité peut aussi se réaliser par la pratique de la porte inférieure. Ou encore en aspirant de l'hélium...
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[1] Situation récensée par Schaeffer en 2003. Ehrhard (1994), pp. 25, 32, nn. 6–9; Templeman (1997); van der Kuijp (forthcoming), Walter (1992), and Walter (1996). On N¯athas more generally see Briggs (1938), Dasgupta (1969), pp. 191–255, and most recently White (1996).
[2] The Seven Instruction Lineages (Paperback) by Jonang Taranatha, traduit par David Templeman, Library of Tibetan Works & Archives, p. 75. Réf. TBRC W22276-2306-7-163. 117. grub chen gau ra+kSha’i man ngag rnams kyi bka’ babs yin te/ de yang sde tshan bcu gnyis kyi dzo gi rnams na re/ mA Ni pas lha dbang phyug chen po la brten te/ thun mong kyi dngos grub thob/ de la gau ra+kShas rlung gi gdams ngag zhus te bsgoms pas/ phyag rgya chen po’i ye shes rang byung du skyes pa yin zhes zer ba sogs khungs med kyi gtam sna tshogs yod kyang*/ re zhig bzhag go/
[3] AAS ch. 30 v. 1: rudragranthin tadā bhitvā pavanah. Sarvapīṭhagaḥ / prabhāsvaramayaṁ cittaṁ vipākakṣaṇabhūṣitaṁ // T. drag po’i mdud pa cher? bas // ji srid gnas ni kun tu ‘gro // ‘od gsal ba’i rang bzhin sems // rnam par smin pa’i skad cig brgyan //.
[4] AAS, f. 37a.3: sukrasyāmṛtaṁ vācyaṁ mokṣasya jīvitasyaca / trayāṇāṁ kathitāsiddhir amṛtasiddhir ihocyate // T. bdud rtsi thig le nyid kyi ngag / thar pa’i srog ldan de nyid kyis // dngos grub gsum du gang gsungs pa // ‘chi med grub pa ‘di smras so //.
[5] AAS ch. 30, v. 9: tasmād sarvamayo yogī sarvabhūtamayo pi saḥ / sarvajñānāśrayo nityaṁ sarvalokaprapū jitah. T. ‘byung po kun kyang bdag nyid kyang // rnal ‘byor pa de lta kun bdag // rtag tu thams cad mkhyen par gnas // ‘jig rten thams cad rnam˙ par ?ngs //.
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