dimanche 29 mai 2016

Les Bharo de Kathmandou dans les hagiographies tibétaines

Sakyamuni teaching the Bodhisattva Avadana (devant la famille Bharo Kansankara), Népal (1648)The Cleveland Muséum of Art


Je voulais revenir sur le système newar et le clan Bharo au Népal. Quelques citations pour commencer.
« Les rois de la dynastie Licchavi (fin du IVe siècle ou Ve siècle - fin du VIIIe siècle ou du IXe siècle) dominèrent la vallée de Katmandou (Népal) et les vallées voisines entre la période Kirata et la période Newari. » (wikipedia)
La dynastie Licchavi était succédée par celle des Thakuri (869–1200), suivie à son tour par la dynastie newar des Malla sur et autour de la vallée de Katmandou, de 1201 à 1769.
« La société newar est régie par un système de castes qui, tout en étant distinct de celui des Pahari (Indo-Népalais des collines), en épouse quand même les grandes compartimentations. Selon Gérard Toffin (2000), la structure sociale newar présente une double hiérarchie : de hautes castes hindoues coexistent avec de hautes castes bouddhistes. Cette distinction s’atténue toutefois au sein des castes moins élevées, « où il devient difficile de distinguer ce qui est proprement bouddhiste de ce qui est hindou, tant les cultes et les concepts sont imbriqués ». On pourrait donc dire que les Newar pratiquent un amalgame des deux religions qui se sont fortement imbriquées pour constituer un ensemble religieux unique en Asie. »[1]
« Les [Bouddhistes] Néwars étaient tous membres des castes bouddhistes, prêtres Shakya, Vajracharya, marchands et artisans Tuladhar, Kansakar, Tamrakar. Installés au Tibet, ils avaient le sentiment d’appartenir à une même communauté culturelle malgré la différence des habitudes alimentaires et du mode de vie des Tibétains. En effet, la société néware est composée de castes endogames, dont les critères de commensalité sont très stricts au Népal. Aussi, les Néwars qui se rendaient au Tibet perdaient leur caste dès qu’ils quittaient la vallée. En franchissant la ligne de crête au col du Lagacho, au-dessus de Shanku, par un geste symbolique on réunissait les restes du repas pris séparément par les personnes des différentes castes et ces restes allaient constituer le premier repas pris en commun. Mais à leur retour au Népal, les Néwars reprenaient leur place dans la caste d’origine après une purification et un "rachat" de la caste confirmé par le paiement d’une taxe. »[2]
Le deuxième groupe le plus important du système de castes Newar est appelé Srēṣṭa ou Shrēṣṭha, qui signifie selon les diverses interprétations « nobles » ou « les meilleurs » et qui représente 25% de la population Newar, soit 1,2% de la population du Népal. Ce groupe se divise en subgroupes, notamment le Chatharīya, l’aristocratie Newar. Un des clans appartenant à l’aristocratie newar est le Bharo (tib. bha ro).

Quand les Malla arrivèrent au pouvoir, les quelques riches Licchavi qui restèrent devinrent les « Bharos », de riches marchands puissants.[3] C’est à ce clan qu’appartenait la famille dont le grand-père d’Asu le newar fut le prêtre domestique (tib. mchod gnas). C’était sans doute une famille de bienfaiteurs religieux, comme par exemple Jayarama Bharo Kansakara (XIVe s.), qui fit restaurer le stūpa de Svayambhu (Svayambhu Mahachaitya) après l’invasion musulmane sous la direction de Shams al-Din Ilyas Sultan en 1349. C’est aussi au clan de Bharo qu’appartenait le maître Bharo le manchot (tib. bha ro phyag rdum), ou Bharo paṇḍīta, que le yogi Cornu (tib. rwa ru can) mentionne à Kor Nirūpa. C’est d’ailleurs de ce maître que Ralo (Rwa lo tsā ba rdo rje grags, né en 1016 et décédé après 1076) avait reçu les initiations et les instructions du cycle Vajrabhairava. Dans sa Chronique de maîtres indiens, le sakyapa Drakpa Gyaltsen (grags pa rgyal mtshan 1147–1216) mentionne un maître du nom de Bhāro Haṃ thung alias Śāntabhadra, auprès de qui Drokmi (992-1072/1074), le fondateur de la lignée Sakya, aurait été initié en le mantranaya.[4]

Le clan Bharo faisait aussi de la prospection d’or au Tibet. Au XIIIe siècle, Bharo gTsugs ‘dzin, né à Yam bu ba (ou Yam bu, Kantipur ou Kathmandou) au Népal, se rendait au Tibet pour chercher de l’or. Il y rencontra Guru Chos dbang ou Chos kyi dbang phyug (1212- 1269/1270), un des cinq rois révélateurs (tib. gTer ston rgyal po), qui devint son gourou. La vie de Kor Nirūpa racontée par Geu lotsāva contient un élément intéressant à cet égard. Vers l’âge de 9 ans, Kor étudie la grammaire pendant un an avec le maître népalais Anutāpagupta (tib. ‘gyod pa gsang ba)[5] en lui promettant trois onces (tib. srang) d’or. À l’âge de 10 ans, il travaille comme gardien pour des chercheurs d’or à gSer khung sgang. Quand ses propres possessions furent volées par un voleur, il le retrouva en pratiquant la magie. Il récupéra beaucoup d’or et l’offrit au népalais comme promis.

Et comme nous savions déjà, le grand-père d’Asu le newar, son père et lui-même avaient travaillé pour les Bharo.

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[1] Source Zone Himalaya

[2] Article de Corneille Jest, Directeur Honoraire de Recherche CNRS, paru dans la revue Actualités Tibétaines n° 19-20 de 2001, pages 36-38 et 43-44.

[3] « When the Mallas came into power, they made the few rich Lichhavis into “Bharos”, powerful, rich merchants. Unlike Chatharia whose primary occupation was as courtiers and rulers and who were barred from anything related to business or trade, these Shresthas were the primary carriers of business and trade, Vaishya equivalents. Those who made a ton of money also climbed up the social ladder and got their sons and daughters to marry with Chatharia families, thus raising their caste status altogether. » (source On the Roots of the “Shrestha” Clan par raunakms / April 18, 2014 )

[4] Tibetan Renaissance, Ronald M. Davidson, p. 166

[5] Blue Annals, p. 849. Erberto Lo Bue, (1999). “The Role of Newar Scholars in Transmitting the Indian Buddhist Heritage to Tibet (c. 750-c. 1200).” In S. Karmay and P. Sagam, eds., Les habitants du toit du monde, 629-658. p. 651







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