L’été 1984, nous avions la visite surprise de Nyoshul khenpo au centre bouddhiste de Kagyu-Ling en Bourgogne. Il résida à l’époque à la Sonnerie (Chanteloube) en Dordogne, mais y était harcelé par une rang byung mkha’ ‘gro ma à tel point qu’il devait s’enfuir et fut invité à Kagyu-Ling avec son assistant.
Nous l’avions déjà reçu à plusieurs reprises à Kagyu-Ling. Une fois, en 1982, nous mangions avec lui sous le grand pin de Kagyu Ling, lama Orgyen et moi, son traducteur fraîchement nommé. Lama Orgyen me présenta en faisant allusion à mon passé monastique un peu compliqué : « Il est hollandais. Il prend les vœux de moine et dès qu’il voit une femme, il rend les vœux et lui court derrière comme un chien. Et puis, il revient pour faire la retraite... » Le khenpo souriait et dit « On fait ce que l’on peut » (gang thub thub). Sa douceur était remarquable.
Mais l'été 1984, il y avait un peu plus d’agitation. La prétendante avait eu vent de sa destination de fuite et venait d’arriver à Kagyu Ling. Un jour, en rentrant dans sa suite au château, le khenpo la trouva étalée nue en prenant un bain de soleil sur le balcon. Que faire ? Il fut décidé d’organiser un faux départ de Nyoshul khenpo pour la Dordogne, en espérant que la prétendante s’en aille aussi. Il y eut une belle cérémonie, avec remise de khatags, « bon voyage », « revenez vite » « ga le bzhugs »… Je conduisais la voiture du khenpo et de son assistant pour finir quelques kilomètres plus loin chez le peintre Jean-Claude Bligny. Nous y passions un après-midi agréable en attendant un coup de fil de Kagyu-Ling. En fin d’après-midi, le coup de fil arriva enfin « Elle est partie, vous pouvez revenir ! ». Nous retournâmes discrètement et sans cérémonie...
Pendant son séjour, je traduisais les entrevues privées avec le khenpo. Je me souviens d’une entrevue d’une disciple qui le considéra comme son lama et qui demanda comment faire pour rester en contact avec lui, quand il n’était pas là. Le khenpo lui expliqua que si elle restait dans le dharmakāya, et lui aussi, ils seraient ensembles par ce moyen.
Puis, le khenpo devait rentrer en Dordogne pour de vrai. On me demanda de l’y conduire. Un pique-nique était préparé et nous partîmes le matin avec nouvelle remise de khatags etc. La route entre la Bourgogne et la Dordogne en passant par le Massif central état vraiment très belle ! Le khenpo choisit un très bel endroit pour pique-niquer avec une vue dégagée. Et après avoir mangé, nous nous délassâmes dans l’herbe. J’étais comme grisé.
L’accueil la Sonnerie fut chaleureuse. Le khenpo monta dans sa chambre avec son assistant. Décontenancé par cette fin abrupte de l’après-midi, je montais l’escalier pour tomber sur le khenpo en slip et les bras en l’air qui se faisait habiller sur le palier par son assistant. Il n’était même pas venu à l’idée de m’excuser... Après s’être habillé, nous allâmes voir Lama Guendun. Plus tard, nous sommes encore passés voir Pao Rinpoché aux Tranchats. Désolé pour ce name dropping éhonté ! C’était très agréable d’être dans leur compagnie. La nuit je dormais comme un loir dans la chambre de Dilgo Khyentsé Rinpoché. C’était pour moi un lieu plus propice à la détente qu’à l’ascèse.
Comme j’allais entrer en retraite cette année, le khenpo m’avait dit que je pouvais lui demander des questions par courrier. Il m’a toujours répondu et il prenait le temps de bien répondre, et même d’écrire en dbu can (c’est-à-dire non en écriture cursive). Gentillesse et disponibilité totale. Le temps passé auprès de lui était réellement comme un rêve, dont la route de retour fut encore la continuation.
Pendant la retraite, Lama Tenpa Gyatso m’avait passé une petite anthologie de chants de Patrul Rinpoché, que j’aimais beaucoup. Parmi ces chants les Conseils à Kunzang Tcheugyel (kun bzang chos rgyal la gdams pa). Un vers me posait problème, notamment à cause d’une faute d’orthographe : skyabs pa (refuge) au lieu de skyag(s) pa (merde). Les paroles de pratiquants en apparence c'est de la merde de fosse commune (chos gzugs pa'i kha grong tsho dgu yi skyags pa lags so). Le khenpo m’avait tout expliqué en détail et m’avait même fait un petit dessin ! Une image vaut mille mots…
S’il est entraîné avec la bodhicitta
Même sans accomplir une seule vertu avec le corps ou la parole
On fera le bien de nous-même et celui d’autrui spontanément et sans le moindre effort.
Les paroles du faux pratiquant qui, tout en projetant des années de méditation sur les phases
De création et d’achèvement et de récitation de mantras
Sans avoir pratiqué une seule session de cette chose essentielle qu’est la bodhicitta
Jetez-les à la fosse commune du village !
Alors ami, si vous avez l’intention de pratiquer un Dharma authentique
Entraînez l’esprit, entraînez l’esprit, entraînez-le en la compassion et la bodhicitta
Réfléchissez à cette chose essentielle si souvent répétée
Et domptez votre esprit à l’aide du Dharma ; voilà l’essentiel. »
(Traduction Le Joyau du Coeur)
Les mots en gras sont ceux illustrés par le petit dessin ci-dessous (cliquez pour agrandir).
Les mots en gras sont ceux illustrés par le petit dessin ci-dessous (cliquez pour agrandir).
Texte tibétain en Wylie
byang chub sems kyis rang gi blo sbyang na//
lus ngag dge ba sna gcig ma ‘grub kyang*//
rang gzhan don gnyis ma ‘bad shugs kyis ‘grub//
Gal chen byang chub sems la thun gcig kyang*//
nyams len mi byed bskyed rdzogs sgom lo dang*//
bzlas brjod byed lo chos pa’i gzugs brnyan ‘di’i//
kha de grong tsho dgu yi skyag pas chod//
Grogs khyed yang dag chos shig sgrub dgongs na//
blo sbyongs blo sbyongs snying rje byang sems sbyongs//
gal chen lan dgu bzlas ‘di dgongs mdzad nas//
rang sems chos kyis thul dang gnad de lags//
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