lundi 27 décembre 2010

Approche graduelle de l'inconditionné



On ne peut pas souligner assez l'importance capitale des "Cinq traités de Maitreya" sur l'approche de la Mahāmudrā de Maitrīpa. Le maître Asaṅga (4ème siècle) qui est à l'origine de l'école Vijñānavāda (Yogācāra) était un adepte de Maitreya et/ou un disciple de Maitreya-nātha[1]. C'est à Maitreya que sont attribués des traités au nombre de cinq que l'on appelle communément " Les cinq traités de Maitreya (lien pour télécharger la version tibétaine) "[2] :
1. L'ornement de l'intuition directe (S. Abhisamayalaṅkara T. mngon par rtogs pa'i rgyan)
2. L'ornement des sūtra du Grand véhicule (S. Mahāyāna-sūtralaṅkara T. theg pa chen po mdo sde'i rgyan)
3. La discrimination entre le Milieu et les extrêmes (S. Madhyānta-vibhaṅga T. dbus dang mtha' rnam par 'byed pa)
4. La discrimination entre les attributs et la substance des attributs (S. Dharma-dharmatā-vibhaṅga T. chos dang chos nyid rnam par 'byed pa)
5. Le traité mahāyāna de la continuité insurpassable (S. Mahāyanottaratantra-śastra ou encore Ratnagotravibhāga T. theg pa chen po rgyud bla ma'i bsten chos)
Les deux derniers traités, qui étaient perdus ou tombés en désuétude en Inde pendant une assez longue période[3], avaient été rédecouverts par Maitrīpa (978-1053) dans un stūpa "d’où émanait de la lumière à travers une crevasse"[4]. Après leur découverte, Maitreya est apparu à Maitrīpa et lui a enseigné les deux textes. Cette redecouverte heureuse serait la raison même pour le fait qu’Advayavajra aurait été appelé "Maitrī-pa".

Un des cinq traités et un des deux retrouvés par Maitrīpa enseigne quatre pratiques (T. sbyor ba S. prayoga ?) qui donnent graduellement accès à l'intuition (S. jñāna) de l'inconditionné. Le traité en question est la Discrimination entre les attributs et la substance des attributs (S. Dharma-dharmatā-vibhaṅga). La progression y est enseignée de la façon suivante :
1. Pratique en s'appuyant sur un objet
2. Pratique sans s'appuyer sur un objet
3. Pratique sans s'appuyer sur un sujet
4. Pratique s'appuyant sur l'absence d'appui[5].
Cette progression en quatre étapes est précisée dans La discrimination entre le Milieu et les extrêmes (S. Madhyānta-vibhaṅga) dans un passage que cite le troisième Karmapa dans ses Instructions sur l'union Mahāmudrā/Sahaja yoga[6]
"C'est en s'appuyant sur un objet (S. ālambana[7])
Que l'absence d'appui se développe le mieux[8].
En s'appuyant sur l'absence d'appui
L'absence d'appui se développe le mieux
De ce fait, c'est l'absence d'appui qui accomplit l'essentiel.
Ainsi, il faut savoir que l'appui et
L'absence d'appui sont identiques par nature.
"

C'est ce qui est écrit dans le Madhyānta Vibhanga. Ainsi, afin de contrôler la conscience, [59] on la recueille sur, par exemple, la forme d'un objet et quand les six consciences (5 sensorielles plus la mentale) convergent sur un seul objet, la pensée qui se porte sur d'autres objets, s'apaise entièrement (S. upaśama). De cette manière, [l'objet] est en relation avec l'inconditionné. Ce support d'attention (T. dmigs pa) que constituent les six objets [sensoriels et mental] est naturellement lucide et vide, si on le contemple passivement (T. yid la mi byed par S. amaniskāra). Et sans produire des caractéristiques de dissentiment ou d'antidotes, ni produire quelque concept que ce soit, on fixe l'espace en face de nous de nos deux yeux. Sans bouger le corps, le souffle va et vient et l'on reste à l'aise et détendu. On ne dit mot."
Une telle progression n'était pas totalement inconnue en occident. Prenons par exemple la méthode "cogitationis" et "meditationis" de Hugues de Saint-Victor : "Tout d'abord envisager avec une attention résolue un objet précis de pensée : puis, l'esprit se libère de ce sujet en le dépassant ; là-dessus, s'élève chez Hugues la "contemplation" dans laquelle survient l'Esprit lui-même, qui enseigne ce qu'on ne pense plus, qu'on n'invente plus, auquel on ne réfléchit plus soi-même mais qui est pensé en nous."[9]

***

Illustration : Maitreya, Asaṅga et Vasubandhu

[1] Maitreya ou Matreyanātha. Pseudonyme du maître (vers 270-350) d’Asanga qui aurait été le fondateur de l’école du Yogācāra. CDI p705 ou Ruegg p 36
[2] S. panca maitreyograntha T. byams chos sde lnga
[3] Ni le RGV ni le DhDhV ne figurent dans le lDan dkar ma, le catalogue des textes conservés au début du Ixème siècle au palais royal tibétain de sTong Thang ldan kar, alors que les autres 3 traités y sont. Ruegg p 39
[4] NAUDOU p176/ DT p422; AB p 347 Ruegg met en doute que ce soit le cas, et fait peser la présomption de partialité sur Gos lotsava Ruegg p. 36. Voir aussi pp. 38-39 sur l'absence effective des deux textes.
[5] 1. dmigs pa yi ni sbyor ba dang 2. mi dmigs pa yi sbyor ba dang 3. dmigs pa mi dmigs sbyor ba dang 4. mi dmigs dmigs pa'i sbyor ba'o. Jim Scott p. 146
[6] phyag rgya chen po lhan cig skyes sbyor gyi khrid yig. Karma rang byung rdo rje'i gsungs 'bum Vol. 11 pp. 53-72. Le Karmapa, dans son raisonnement, suit le commentaire de Vasubandhu, Trisvabhāva-nirdeśa.
[7] alambana = arammana = objet sensoriel, y compris mental, donc aussi référence
[8] sens incertain : dmigs pa la ni brten nas su//mi dmigs pa la rab tu skye//
[9] Rudolf Otto, Mystique d'Orient et mystique d'Occident p.250

Texte Tibétain Wylie (citation de Karmapa 3)

he badz+ra las kyang*/chags pas 'jig rten 'ching 'gyur na//'dod chags nyid kyis rnam grol 'gyur//zhes gsungs pas thabs mkhas pa yang de nyid yin la/
dmigs pa la ni brten nas su//
mi dmigs pa la rab tu skye//
mi dmigs pa la brten nas su//
mi dmigs pa ni rab tu skye//
de yi phyir na dmigs pa ni//
mi dmigs ngo bo nyid du grub//
de lta bas na dmigs pa dang*//
mi dmigs mnyam par shes par bya//
zhes dbus dang mtha' rnam par 'byed pa las gsungs pas/dang po sems 'dzin pa la/yul gzugs lta bu gcig la bsdus pas/tshogs drug gcig tu bsdu bar byed pas yul gzhan la dmigs pa'i sems nye bar zhi bar skye'o//de brten na chos 'dus ma byas pa dang 'brel ba/yul drug dmigs pa'i rten de yang yid la mi byed par rang lugs su snang ba dang stong pa dang*/spang bya dang*/gnyen po'i mtshan ma med par rnam par rtog par ci yang yid la mi bya bar mdun gyi nam mkha' la mig gnyis gtad de/lus ma 'gul ba/rlung 'gro ba dang 'ong ba/rang sor dal bar bzhag nas/ngag mi smra bar bzhag ste dpal tai lo pas/sems ni nam mkha' 'dra bar bzung bar bya zhes pa dang*/

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