vendredi 9 septembre 2011

De l'usage d'une armure dans le bouddhisme


L’existence étant fragile et l’être humain dominé par les peurs et l’insécurité, chaque religion propose des protections pour atténuer ces peurs. Il en va de même dans le bouddhisme theravāda, mahāyāna et vajrayāna. L’invocation du simple nom d’un saint suffit alors à le rendre présent et aide à surmonter ses peurs. Mais les peurs sont tenaces et quelquefois le simple nom du Bouddha ne suffit pas. Petit à petit la liste de bouddhas et saints invoqués s’allonge de plus en plus et devient une véritable litanie. Ainsi, le theravāda propose une protection (P. paritta) par l’invocation des noms des 28 bouddhas avec leurs qualités respectives, les 24 bouddhas ayant précédé Gautama, Gautama lui-même ainsi que trois autres.

Ce genre de pratique s’inscrit dans le cadre des récollections ou remémorations (S. anusmṛti T. rjes su dran pa), dont la fonction est de toujours garder à l’esprit les fondements de la pratique. Cette liste peut varier selon les écoles. Généralement, on garde présent à l’esprit le Bouddha (S. buddhānusmṛti), sa doctrine (S. dharmānusmṛti), sa communauté (S. saṅghānusmṛti), l’éthique (S. śīlānusmṛti), la générosité (S. tyāgānusmṛti) et les dieux (S. devatānusmṛti). L’école Kadampa au Tibet avait sa propre liste de cinq récollections (S. pañca anusmṛtayaḥ T. rjes dran lnga) : le lama en tant qu’objet de refuge, la nature divine du corps, la nature de mantra de la parole, la reconnaissance de tous les êtres comme ses mères ainsi que la nature vide de son esprit. En gardant ces éléments constamment à l’esprit, on se « protège » par la même occasion, une pensée en chassant une autre.

Mais les peurs et le sentiment d’insécurité sont tenaces et en demandent toujours davantage, d’autant plus que l’esprit est instable. Il faut alors étendre son arsenal et renforcer la forteresse. Le theravāda propose « La forteresse des conquérants » (P. Jinapañjaram). Tous les bouddhas, grands disciples du Bouddha, arhats et anciens (P. mahātherā) sont placés à différents endroits du corps de l’auditeur (S. śravaka) afin de lui constituer une véritable armure.
« Ainsi pour être toujours bien protégés contre tous les dangers
Conquis par le pouvoir du conquérant,
Avec la multitude d’ennemis détruits par le pouvoir du Bouddha
Puisse-tu être protégé par le pouvoir du Bon Dhamma
. »[1]
Dans le vajrayāna, qui est le véhicule où l’on prend le fruit (l’état de bouddha) comme le chemin et sur le chemin, on est soi-même la divinité/Bouddha. Et ce corps divin est rempli par des cercles (S. cakra) de bouddhas, bodhisattvas et dieux et déesses de tout genre. Ce n’est pas pour autant que l’on se débarrasse des protections. La divinité que nous sommes se trouve sous une tente vajra, est équipée d’une armure vajra et entourée de protecteurs de tout genre dans toutes les directions. Aucune brèche ne sera ouverte dans le maṇḍala !

A une époque où les combats magiques foisonnaient, de telles protections n’étaient pas un luxe. Mais toutes les protections du maṇḍala sont surtout symboliques et ce symbolisme se développait dans une autre direction avec les pratiques de l’entrainement spirituel (T. blo sbyong) qu’Atiśa introduit au Tibet. Un des maîtres d’Atiśa, le yogi Dharmarakṣita (T. gser gling pa), composa un texte intitulé "La roue aux lames acérées" (T. blo sbyong mtshon cha 'khor lo ) « pour frapper l’ennemi au cœur avec efficacité ». Seulement, inutile de se barricader, puisque le véritable ennemi est à l’intérieur. Dans un autre texte intitulé « Le paon qui neutralise le poison dans la jungle » (T. blo sbyong rma bya dug ‘joms), Dharmarakṣita écrit qu’il portera une armure puissante en devenant son propre médecin et aide-soignante, et qu’il portera l’armure des héros en retournant de la bienveillance en échange de toute malveillance dirigée envers lui. La jungle dans laquelle se trouve le paon est le monde. En préparant Atiśa pour aller enseigner dans la jungle, c'est-à-dire le Tibet, Dharmarakṣita lui donna des instructions spécifiques en disant : "Fils, il te faut ces instructions pour convertir les pays barbares." Il s’agit de "L'exercice spirituel pour niveler les concepts" (T. blo sbyong rtog pa 'bur 'joms).

Gampopa aussi utilisera l’image d’une double armure dans « Les instructions de la double armure de la Mahāmudrā » (T. phyag chen go cha gnyis kyi man ngag). La première armure est la vue destinée aux phénomènes externes et qui consiste en ne pas interrompre le courant des vertus tout en évitant même les plus infimes actions nuisibles. Et la deuxième armure est la conscience.
« Quand on regarde sa propre conscience, il ne faudra pas considérer la transe agréable du calme, si elle se produit, comme une qualité [454] et ne pas voir comme un défaut si elle ne se produit pas. »
Dans le même texte :
« Le précieux maître m'a dit : "Pas besoin d'espérer de trouver l'éveil, puisque les trois corps sont déjà naturellement présents. Pas besoin de craindre l'état temporel : il n'y a rien à abandonner et tout est le combustible de la connaissance. »
Les plus âgés parmi vous et qui ont reçu une éducation catholique se souviendront peut-être d’une prière du soir pour les enfants, invitant quatorze anges gardiens pour les protéger durant la nuit. Cette prière se trouve dans l’opéra romantique Hänsel und Gretel d’Engelbert Humperdinck, d’après le livret d’Adelheid Wette (1893).

« Le soir, quand je vais me coucher,
Quatorze anges sont à mes côtés :
Deux à ma tête,
Deux à mes pieds,
Deux à ma droite,
Deux à ma gauche,
Deux qui me bordent,
Deux qui m’éveillent
Deux qui me montrent
Le chemin du paradis du ciel ! »

Ames sensibles s'abstenir !



***

[1] Récitations en pali du matin et du soir
[2] Especially for our English speaking friends :

"When at night I go to sleep,
Fourteen angels watch do keep:
Two my head are guarding,
Two my feet are guiding,
Two are on my right hand,
Two are on my left hand,
Two who warmly cover,
Two who over me hover,
Two to whom it is given to guide my steps to heaven."



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