dimanche 10 juillet 2016

Dampa en thérapeute


Cornac avec crochet sur un éléphant "dompté"

Est-ce que ces échanges entre Dampa et ses disciples rendent compte d’échanges réels ou est-ce qu’ils ont été écrits par quelqu’un inspiré par le personnage de Dampa, qui est plus vrai que nature. Il n’est pas certain que ces scènes aient eu lieu, mais il y souffle un petit vent de liberté et on peut y saisir des choses au vol, sans tout prendre au sérieux. Je suis de plus en plus convaincu que de nombreux sūtra (et tantras) sont des domaines où des bouddhistes s’amusaient avec la liberté en toute liberté. Le but étant d’ouvrir grand les fenêtres.

Encore une petite série immédiatement à la suite de l’échange où Dampa déshabille de force Kunga. Il continuera à malmener ses élèves. Ne faites pas ça chez vous. On y retrouve le thème de prédilection de Maitrīpa et des disciples et arrière-disciples : la spontanéité sans retour sur soi. Dampa agit véritablement à la façon d’un thérapeute et même d’un hypnothérapeute. Ce sera pour une autre fois.

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Lama Droumchoung demanda : « Est-ce que l'on peut déterminer sans faille le sens fondamental à travers l'étude ? »
Dampa répondit : « Même si l'on comprend le mode d'être de la vue, si elle n'est pas assimilée (tib. rgyud la nyams su ma myong ba), on ne tranchera pas les liens de l'illusion. C'est comme voir à travers les yeux humides ».

- Comment l'assimiler ?
Dampa répondit :
- Si l'on assimile la vue, le mental ordinaire s'élimine et même si on cherchait l'existence cyclique, on ne la trouverait pas. Mais quand notre vue est une aspiration mentale (tib. yid smon), la méditation est enchaînée aux limites volitionnelles (tib. blo mthas), et l'observance se borne à ce qu'il faut faire ou ne pas faire, le fruit s'éloignant de plus en plus.

- Dampa, pourrais-tu me donner une instruction pour assimiler la vue ?
Dampa répondit :
- Coupe la langue qui parle, arrache le coeur qui projette, ligote les jambes qui marchent, enlève les yeux qui voient. Un Dharma devenu réfléchi ne peut pas être rattrapé (tib. ram zlar spyan pa) par les correctifs. À partir de maintenant, ne tiens plus l'existence cyclique et la quiétude pour des réalités et laisse ton esprit au repos.[1]

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Maître Tri-eu demanda : « Y a-t-il des véhicules supérieurs ou inférieurs dans le sens ultime ? »
Dampa lui mit une balance dans la main droite et un miroir dans la main gauche. Puis il lui mit un mélange de déjections canines et de mélasse dans la bouche. « Qu'éprouves-tu (tib. myang pa) maintenant ? »
[Maître Tri-eu] ne sachant plus ce qu'il éprouva [au juste], Dampa lui dit : « Si tu confonds toutes les expériences, tu ne sauras pas distinguer entre ce qu'il faut faire et ne pas faire. Jette les poids de la balance par terre et lance le bois de la balance au chien ! [Sinon] progresse (tib. sbyangs) avec eux, en pesant tout ce qui vient sur ton chemin et plais-toi à te regarder dans le miroir en le faisant. »[2]

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Maître Tcheukyi sengé dit : « Si on maintient les expériences en les appréhendant avec l'attention, elles deviennent plus claires mais ne perdront pas la volition (tib. blo). Si on ne les appréhende pas avec l'attention, elles perdront la volition. On les percevra alors sans l'aspect de clarté, mais c'est très difficile. »
Dampa répondit :
- Merci beaucoup (tib. ‘or che), c'est la façon de poser une question de quelqu'un qui en a fait l'expérience. Certaines personnes, sans en avoir fait elles-mêmes l'expérience, posent des questions en voulant tirant l'autre par le nez.[3] Toutes sortes d'expériences sont présentées à l'ācārya[4]. A partir de maintenant, defais-toi des fers (tib. lcag sgrog) de l’apprehénsion spécifique (tib. tshad du ‘dzin pa). Laisse paître l'éléphant de la pensée à sa guise. En le saissisant avec le crochet de l'attention, écrase (tib. rdzis) l'éléphant de la saisie en l'empêchant de regarder au loin. S'il est en rut, séduis-le (tib. brid) par le goût du vin [139] et oublie le crochet. S'il refuse d'aller au front, met (tib. bskyon[5]) lui une épée à travers les lèvres et fais le courir librement (? tib. khrol du). Même en Inde, peu savent [bien] s'occuper d'un éléphant (tib. glang 'tsho).[6]

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Dame Tcheusel (ma jo chos gsal) demanda : « Dampa, on dit que tous les phénomènes sont vides. Mais comment la vacuité peut-elle à la fois être la cause de l'illusion et de la libération ? »
Dampa répondit :

« Guendunekyi (Dge ‘dun skyid[7]), lève ta pierre à briquet. Elle te sert à produire du feu, et aussitôt le feu s’éteint. De même, le feu des mauvais signes (tib. ltas ngan) est produit par les circonstances, puis disparaît par les circonstances. La raison est que l'on n'arrive pas à l'éliminer (tib. rjes gcod pa) tout à fait, ce qui est étonnant. Cette pierre à briquet froide fait du feu même au milieu de la nuit. Personne chez nous en Inde ne pose des questions comme toi ! »
En comprenant le sens symbolique [de la réponse], elle réussit à détruire son erreur.

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La maîtresse Dyangchoubgué (Ston ma byang chub dge) demanda : « Dampa, si l'on comprend le défaut de l'existence cyclique, doit-on néanmoins l'abandonner spécifiquement ? Est-ce correct ou non ? »
Dampa répondit : « Comprendre le défaut de l'existence cyclique, est la quiétude. Il n'y a pas d'autre endroit spécifique où aller. »
- Tout le monde espère avoir cette compréhension, mais néanmoins des concepts récalcitrants et de fortes passions naissent. N'est-ce pas un problème ?
Dampa déterra une herbe médicinale, secoua les racines et la posa sur une pierre [en disant] : « Maitresse, je n'ai rien coupé de cette herbe médicinale, et pourtant elle ne pourra plus pousser, puisqu'elle est séparée de la terre. Séparée de la terre elle est amoindrie. Mais si on ne la sépare pas de la terre, on peut la tailler et elle reprendra. »

Extrait du phyag rgya chen po brda'i skor gsum (réf. TBRC W23993)


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[1] Ce passage me rappelle une phrase entendue dans ce documentaire : Seule avec le seul, une ermite en solitude. "Quand on sait que l'on prie, la prière n'est plus là".

[2] Un Dampa très malicieux dans cet échange. Visiblement, il n’apprécie pas le chemin graduel en ce qu’il invite l’individu à porter attention à combien et comment il progresse et à mesurer son progrès.

[3] Question orientée, dirions-nous ?

[4] Dampa en se référant à lui-même dit « l’ācārya », si ce n’est l’auteur…

[5] « put astride, impale ». Difficile à traduire ce passage sans connaître le contexte de l’emploi des éléphants dans les batailles. S’agit-il peut-être d’un éléphant qui refuse d’aller au combat et que l’on équipe d’une épée en le fixant à travers ses lèvres pour le rendre furieux et le laisser ainsi foncer sur le camps ennemi ? L’art de s’occuper d’un éléphant revient aussi dans le commentaire des Distiques de Saraha.

[6] ཁྲལ་ཁྲོལ་དུ་སོང་བ་ become completely perforated

ba glang 'tsho mkhan = cowboy>. Lien avec la quête du buffle ? 


Texte en tibétain Wylie

Bla ma brum chung na re/ thos pai’ [137] sgo nas gshis kyi don phyin ci ma log par gtan la phebs na/ des chog gam mi chog zer bas/
dam pa’i zhal nas/
des lta ba’i yin lugs ngo shes pa yin kyang*/ rgyud la nyams su ma myong bas ‘khrul pa’i sgrog mi chod/ chu mig gis mthong ba lta bu yin gsungs/
‘o na nyams su myong pa de ji ‘dra mchi zer bas/
dam pa’i zhal nas/
lta ba nyams su myong na/ tha mal gyi yid subs nas ‘khor ba btsal kyang mi rnyed de/ rang cag gi lta ba yid smon du song*/ sgom pa blo mthas bcings/ spyod pa la spang blang zhugs/ da rung ‘bras bu dang thag ring po ring po yod gsungs/
dam pa lags, lta ba rgyud la skye ba’i gdams ngag gcig zhu dang zer bas/ dam pa’i zhal nas/
khyod rang smra ba’i lce chod/ sems pa snying phyung*/ ‘gro ba’i rkang pa khyigs/ lta ba’i mig chor/ chos rtog par song bas gnyen po’i ram zlas ma thub/ da ‘og sa ‘khor ‘das kyi bden ‘dzin zhig la sems ngal so ru chug gsungs/

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ston pa khri ‘od na re/ mthar thug gi don la theg pa la mthon dman bdog gam mi bdog zer bas/
damp pas kho’i lag pa gyas par srang cig gtad/ [138] gyon par me long cig gtad/ khar khyi lud dang bu ram sres nas bcug ste/ ci bro bar gdug gsungs/
De khos myang pas ci pro ma shes pas/ dam pa’i zhal nas/ bro ba gcig tu ‘dres pas/ spang blang mi btub par gda’/ srang rdo sa la bor la srang shing khyi la rgyob/ ‘dis ‘jal ‘jal nas sbyangs/ de bas me long bltas pa dga’ gsungs/

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Ston pa chos kyi seng ge na re/ nyams myong ‘di dran pas bzung gin bskyangs na gsal bar gda’ ste/ blo dang mi ‘bral par gda’/ dran pas ma bzung na/ blo dang ‘bral bar gda’ ste/ gsal cha med par mtshor bar yongs su ‘gro bar gda’/ shin tu dka’ bar gda’ zer bas/
dam pa’i zhal nas/
‘or che nyams len byas pa’i ‘dri lugs yin/ gang zag kha cig rang gis nyams su ma blangs/ rgyud la ma skyes par gzhan gyi sna yud ‘then na dri ba byed de/
a tsa ra la nyams drod skyel ba mang po byung*/ khyod rang da ‘og tshad du ‘dzin pa’i lcags sgrog khrol la/ sems kyi glang po gar bder thong*/ dran pa’i lcags kyus zung la/ ‘dzin pa’i glang rdzis mig rgyangs chod par gyis/ snyo bar gyur na rgun chang gi ro la brid la [139] lcags kyu thong*/ gyul ngo bzlog na/ mchu la ral gri bskyon la khrol du rgyug/ glang ‘tsho shes pa rgya gar na yang ‘ga’ las med gsungs/

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ma jo chos gsal na re/ dam pa lags chos thams cad stong pa nyid yin skad na/ stong pa nyid la ‘khrul rgyu dang*/ stong pa nyid la grol rgyu ‘ong ba tsug lag zer bas/
dam pa’i zhal nas/
Dge ‘dun skyid/ khyod kyi me lcags khyog dang gsung nas/ de la me bton chung zad gsos te shir btsug nas/ ltas ngan me ‘di rkyen las byung nas rkyen gyis shi/ ‘di’i rgyu mtshan la rjes gcad du ma btub pa ngo mtshar che/ me lcags grang mo ‘di me tshan mo’i rgyu yin khongs la bcug/ nga cag gi rgya gar na ‘di ‘dra ba med gsungs/ mos brda’ de’i don go nas ‘khrul pa zhig go/

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Ston ma byang chub dge na re/ dam pa ‘khor ba’i mtshang rtogs na ched du spang mi ‘tshal skad pa/ de ltar lags sam zhus pas/
dam pa’i zhal nas/
‘khor ba’i mtshang rtogs na mya ngan las ‘das pa yin/ de las logs cig tu bkar nas ‘gro sa med gsungs/

‘o na rtogs ldan du re ba kun la yang*/ rtog pa drag po dang nyon mongs pa [140] drag po skye yin gda’ ba/ ‘dis gnod mi skyel ba lags sam zer bas/
dam pas phur mong cig brkos te/ rtsa ba’i spu sprugs te/ rdo’i steng du bhag nas/ ston ma phur mo ‘di la gcad gtubs gang yang ma byas te/ rtsa ba sa dang phrel bas skye mi nus par gda’ ste/ sa dang phrel ba nyung gsung/ rtsa ba ‘di sa dang ma phrel na lan cig bregs kyang skye bar gda’ gsungs/

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