vendredi 27 janvier 2017

Entre-temps en Chine...


Mount Lu par Zhang Daqian
Fotudeng (env. 232–348) fut un moine bouddhiste originaire de Kucha dans le bassin du Tarim dans le Turkestan oriental (région autonome de Xinjiang). Il avait fait des études et arriva à Luoyang en 310, où il a contribué à la diffusion du bouddhisme en Chine.[1]
« Les Kouchans s'introduisent dans le bassin de Tarim au Ier et IIème siècles et établissent un royaume à Kachgar. Ils concurrencent les forces chinoises et les nomades pour le contrôle de la région. […] Au IVème siècle, les invasions forcent les Chinois à quitter le bassin du Tarim. Une civilisation originale s'y développe alors, mêlant les influences iraniennes et indiennes. Le bouddhisme est la religion majoritaire, mais le manichéisme et le nestorianisme sont également présents. » (Wikipédia, Bassin du Tarim)

En arrivant à Luoyang vers 310, au milieu des troubles agitant la Chine du Nord, Fotudeng propose au fondateur des Zhao postérieurs (319-352) son expertise et sa magie, qu’il utilise notamment pour attirer la pluie.[2] Il y enseigne la « pleine conscience », c’est-à-dire l’attention au souffle (ānāpānasmṛti), qui devient très populaire. À la mort du général Shi Le des Zhao postérieurs en 333, Shi Hu (石虎) devient son successeur qui fera de Fotudeng un haut-fonctionnaire, lui permettant de construire de nombreux monastères bouddhistes. Un des premiers mandarins sans doute...

Un des disciples de Fotudeng, Dao ‘an (312-385) « incarna »[3] la combinaison des cultures chinoise[4] et bouddhique. Il étudia avec Fotudeng à la fois les textes de prajñā et de dhyāna, « sur lesquels il écrit des commentaires d’abord fortement marqués par la méthode de geyi (閣記)[5], rejetée plus tard au nom de l’exigence d’un bouddhisme plus authentique ».[6] Il fut considéré comme un expert en prajñāpāramitā, avait inauguré un culte à Maitreya et avait constitué une équipe de traducteurs autour de moines cachemiriens Sanghabhuti et Sanghadeva), qui prépara le terrain au grand Kumārajīva (344-413 ?), autre moine de Kucha.

Son disciple le plus connu fut Huiyuan (334-416), qui s’installa vers la cinquantaine (env. 384) sur le Mont Lu[7], où il instaura un culte au Bouddha Amitābha. Il est considéré par le mouvement amidiste comme son patriarche fondateur. Le traducteur Sanghadeva de l’équipe de Dao’ an s’installa avec un autre traducteur indien, le « transfuge » Buddhabhadra, sur le Mont Lu avec Huiyuan. Buddhabhadra est le traducteur de l’Avataṃsaka Sūtra et du Yogācārabhūmi Sūtra ou Dharmatrātadhyāna Sūtra (Taishō Tripiṭaka 618), texte important pour l’école Ch’an. « Huiyuan écrit les préfaces ; il écrira aussi celle du Soutra du Lotus. »

Entre-temps, Dao’an, qui dirigeait à Chang'an la traduction de soutras, aurait recommandé Kumārajīva au souverain des Qin antérieurs Fu Jian. C’est donc Kumārajīva, qui reprit la charge de l’équipe de traduction de Dao ‘an, mort en 385. Mais deux des traducteurs, Sangadheva et Buddhabhadra le « transfuge » avaient rejoint Huiyuan sur le Mont Lu. On note un clivage entre des traducteurs de tendance Madhyamaka et de tendance Yogācāra. Dao’ An et Kumārajīva sont les autorités du Madhyamaka et Huiyuan guide les Yogācārins chinois.

Un nouvel arrivé en 397 au Mont Lu, Daosheng (env. 360-434) se place sous la tutelle de Sanghadeva, avant de partir travailler quelques années avec l’équipe de traducteurs de Kumārajīva. Il retourne avec le traité de Sengzhao « Prajñā n’est pas connaissance », qui intéresse Huiyan. Ce dernier commence une correspondance avec Kumārajīva (vers 405).

En s’appuyant sur le Sūtra du Nirvāṇa (Mahāparinirvāṇa sūtra), dont il produira la traduction, Daosheng développera une théorie de la nature de Bouddha, dans laquelle il réunit la vacuité des prajñāpāramitā et la nature de Bouddha. Le Sūtra du Nirvāṇa, qui serait le dernier propos du Bouddha (les Yogācārins aiment avoir le dernier mot ou tour de la roue…), n’aurait pas été du goût de Kumārajīva, à cause de la définition trop positive du nirvāṇa comme un « état de pure joie ».[8]

Sengzhao (374-414), l’auteur du traité, était le premier disciple du grand traducteur Kumārajīva et important représentant de l'école des Trois traités[9]. Les écrits de Sengzhao sont réunis sous le titre des Traités de Sengzhao (Zhàolùn)[10]et comportent trois essais principaux intitulés L'immutabilité des choses, La vacuité de l'irréel, Prajñā n'est pas connaissance.[11]


Mount Lu in misty rain; the river Che at high tide;
When I had not been there, no rest from the pain and longing.
I went there and returned … it was nothing special–
Mount Lu in misty rain; the river Che at high tide

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MàJ documentaire sur kuqa

[1] Buswell, Robert. Lopez, Donald. The Princeton Dictionary of Buddhism. 2013. p. 304.

[2] Arthur F. Wright, « Fo-t’u-teng », Harvard Journal of Asiatic Studies, 11 (1948), p. 322-370.

[3] Terme d’Anne Cheng dans Histoire de la pensée chinoise, Seuil (1997), p.366.

[4] Spécialiste en « l’étude du mystère », c’est-à-dire l’étude des trois mystères : Laozi, Zhuangzi et le Livre des Mutations. Anne Cheng, p. 327

[5] Aucune idée de ce dont il s’agit, Anne Cheng ne donnant pas d’explication.

[6] Anne Cheng, p. 366

[7] Montagne de Chine située à 36 km au sud de la ville de Jiujiang (九江) dans le Jiangxi, entre le Chang Jiang et le lac Poyang.

[8] Anne Cheng, p. 367

[9] Le Shatika śāstra (百論), le Madhyamika shastra (中論) et le Dvadashamukha shastra (十二門論). Les traités de Nāgārjuna et Āryadeva de manière générale.

[10] Traduit en anglais par Walter Liebenthal sous le titre Chao Lun The Treatises of Seng-chao.

[11] Le titre est sans doute base sur des citations, comme par exemple celle du Daśashasrikā prajñāpāramitā sūtra (Tao-hsing, Taishô 224 VIII) : « La prajñā ne connaît rien, elle ne voit rien ».

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