mardi 15 mars 2011

L'importance du Sutra du Coeur



Dans The Heart Sūtra Explained, Donald S. Lopez présente une étude de sept commentaires traduits en Tibétain du sūtra du Cœur, qui selon Edward Conze avait été composé autour de l'an 350. Le commentaire le plus ancien est probablement, selon Lopez, celui de Kamalaśīla (c. 740-795) et le dernier celui de Mahājana (11ème s.). Les autres commentaires sont de la main de Vimalamitra, Jñāna(śrī)mitra, Atiśa, Vajrapāṇi et Prasastrasena. Sur le site Tibetan Buddhist Resource Centrum, on trouve un texte qui regroupe ces commentaires ainsi qu'un commentaire de la main du traducteur tibétain rngog legs pa'i shes rab, sous le titre shes rab snying po'i rgya 'grel.

Les commentaires susceptibles de nous renseigner sur l'interprétation d'Advayavajra, qui n'a pas rédigé de commentaire du Sūtra du Cœur, sont celui de Jñānamitra (T. shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i snying po'i rnam par bshad pa S. Prajñāpāramitāhṛdayavyakhya), un de ses derniers maîtres et celui de Vajrapāṇi (T. bcom ldan 'das ma shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i snying po'i 'grel pa don gyi sgron ma S. bhagavatiprajñāpāramitāhṛdayavyakhyatikarthapradipa), un de ses disciples majeurs.

Le mot Cœur (S. hṛdaya) signifie aussi bien cœur qu'essence. Le sūtra du Cœur est dit être le cœur des trois sūtra-mère. Il s'agit des trois sūtra sur la perfection de la lucidité considérés comme les principaux : la version en 100.000 versets (S. Śatasāsrikā-), la version de 25.000 versets (S. Pañcaviṃśatisāhasrikā-) et celle de 8.000 versets (Aṣṭasāhasrikā-).

Le sūtra expose l'octuple profondeur (T. zab mo bgryad)
"Sariputra, ainsi tous les dharma sont vides, sans caractéristiques, non-produits, non-détruits, immaculés (T. dri ma med pa), non-immaculés (T. dri ma dang bral ba med pa), sans diminuer et sans se remplir."[1]
Dans son commentaire, Jñānamitra, explique qu'impureté (T. dri ma) signifie "l'action de la perception qui perçoit des objets" (T. dri ma zhes bya ba ni rnam par shes pa rnams kyis gzung 'dzin du spyod pa'o DG p. 566:5). Puisque cette action ne peut pas être déterminée comme une réalité, la perfection de la lucidité est dite être "immaculée", sans impureté.

Le commentaire de Vajrapāṇi est un trésor de renseignements. Officiellement, les Prajñāpāramitā-sūtra sont classés parmi les sūtra, mais le commentaire de Vajrapāṇi contient beaucoup d'éléments tantriques. On y trouve des exemples que l'on retrouvera dans certains recueils de distiques (le lait de la lionne DG p. 582:6, le rêve d'une vierge DG p. 582:5…). Vajrapāṇi explique que ceux qui ne reconnaissent pas la perfection de la lucidité la comprendront à travers les exemples et les significations enseignés par un ami spirituel qui posséde aussi bien les expédients que la lucidité[2].

Il explique aussi que le Cœur de la perfection de la lucidité regroupe l'action, la vue, la méditation et le fruit, les quatre facteurs qui résument la méthode de la Mahāmudrā dans les écrits ultérieurs de la lignée Kagyupa. Cette série de quatre est ici sans doute au début de sa propagation. Elle n'est pas donnée dans l'ordre qui sera la sienne dans les explications ultérieures : action, culture, vue et fruit au lieu de vue, culture, action et fruit… Ce qui peut avoir des implications dogmatiques.
"Par conséquent, les individus excellents qui s'appuient sur les instructions de la vérité essentielle (snying po'i don) de la perfection de la lucidité, réuniront ainsi les objectifs de l'action, de la culture, de la vue et du fruit. Ainsi en contemplant sans cesse la vérité essentielle, qui est l'enseignement infaillible du Bouddha, et en familiarisant l'esprit avec, les images remémorées (dran pa'i rnam pa) se mélangent de façon indissociable avec la vacuité, voilà le but de l'action. Supérieur à cela, est de reveler directement comment rester dans le courant (T. rgyun du gnas pa) de la vacuité sans investir le mental, voilà le but de la culture. Puis sans considérer les attributs affligés et les attributs harmonieux comme authentiques, on en libère le continuum (svatantra)[3], [rejoignannt] la non-production et la non-cessation, voilà le sens de la vue. On aboutit ainsi au fruit que l'on ne peut ni obtenir ni perdre, puisqu'il n'y a plus d'intuition de la non-discursivité, comme il n'y a plus rien qui puisse être cultivé par les boudhas ni des impuretés des connaissables etc. qui peuvent être pris pour objet intelligible par les êtres. Cette vérité essentielle de la perfection de la lucidité, qui est entourée/encerclée par ces [quatre] facteurs, mérite d'être traité avec soin."[4]
On trouve une autre information intéressante dans le commentaire de Jñānamitra (Lopez p110), où celui-ci explique que le mantra enseigné dans le Sūtra du cœur est[5] "le mantra qui apaise totalement toutes les souffrances (sarva duḥkha praśamanaḥ), car réciter la perfection de la lucidité, bien en impregner l'esprit et l'expliquer à d'autres a pour effet de détruire toutes les maladies et d'invoquer la protection des Buddha, des divinités et des nāga et la pratique de la perfection de la lucidité sape les destinées malheureuses et l'océan du devenir". Cette façon de voir le Sūtra du cœur, son mantra et ses effets du maître d'Advayavajra semble être aussi celle de Pha Dampa sangyé, disciple d'Advayavajra et fondateur de l'école Zhi byed, qui tire justement son nom de l'effet du sūtra et du mantra.

En bon disciple d'Advayavajra, Vajrapāṇi met sur le même plan l'efficacité des tantra et de la pratique du sūtra du Cœur.
"De nombreux tantra ont été enseignés et destinés aux personnes aux capacités aigues qui s'intéressent au mahāyāna ésotérique. Le système de mantra extérieur enseigne la pacification, la prospérité etc. [les quatre types d'activités] et le système de mantra intérieur enseigne la félicité physique et psychique par la maîtrise des canaux, des souffles etc. Quand on a appris, à l'aide du système de mantra ésotérique, de maintenir l'absorption (samādhi) pendant longtemps, l'état de Buddha est atteint dans l'espace d'une existence, dans l'état intermédiaire (T. bar do) ou au bout de septs existences. Certains peuvent hésiter à classer cette instruction sur le sens du Cœur (T. snying po'i don S. hṛdayartha) de la perfection de la lucidité dans ou bien le système des sūtra (T. S. lakṣanayāna) ou des mantra. Bien qu'elle puisse paraître différemment aux différentes personnes, la réalité foncière n'est pas différente. C'est pour cette raison que ce mantra de la perfection de la lucidité est le cœur du sens de tous les mantra ésotériques." [6]
Lopez (p. 112) conclue : "Le mantra de la perfection de la lucidité n'est pas un mantra pour développer la paix, la prospérité, le pouvoir ou la déstruction. Qu'est-il alors ? En comprenant le sens de ce mantra, l'esprit est affranchi."

ॐ गते गते पारगते पारसंगते बोधि स्वाहा

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Illustration : première page de l'Aṣṭasahasrika en tibétain

[1] shaa ri'i bu de lta bas na chos thams cad stong pa nyid de/mtshan ma med pa/ ma skyes-pa/ ma 'gags pa/ dri ma dang bral pa med pa/bri ba med pa/ gang ba med pa'o//
[2] Lopez, p. 106
[3] Lopez : " and fruition. Repeatedly viewing the meaning of the unmistaken heart of the Buddha's word and being mindful by mixing the mind with that [heart of his word], without being separated from emptiness, is the meaning of the action. The actual teaching of abiding in emptiness, supreme and inconceivable, is the meaning of the meditation. Nonproduction and non-cessation, upon freeing oneself by not seeing thoroughly afflicted phenomena and completely pure phenomena as real is the meaning of the view. Because Buddhas have no object of meditation and sentient beings have no object of awareness, the stains of objects of knowledge do not exist and the non-conceptual wisdom does not exist. Therefore, there is nothing to attain and nothing to be lost. This is the meaning of the fruition."
[4] de bas na rnam pa thams cad nas thams cad du shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i snying po'i don gyi gdams nga la brten pa'i skyes bu dam pa rnams kyis spyod pa dang bsgom pa dang lta ba dang 'bras bu'i don bzhi la bsdu bar bya'o/ / de yang sangs rgyas kyi bka' ma nor ba snying po'i don la yang dang yang du lta zhing de la sems 'dris par byas pas dran pa'i rnam pa stong pa nyid dang dbyer med pa ni spyod pa'i don yin no/ / de bas kyang khyad par du 'phags shing yid la mi byed pa'i stong nyid rgyun du gnas pa dngos bstan pa ni bsgom pa'i don yin no/ / de yang kun nas nyon mongs pa'i chos rnams dang rnam par byang ba'i chos rnam [584] par byang ba'i chos rnams la yang dag par mi mthong bas rang rgyud las grol nas skyes ba med cing 'gag pa med pa ni lta ba'i don yin no/ / de yang sangs rgyas rnams kyis kyang bsgom bya ma yin la sems can kyis blos yul du ma gyur pas shes byai' dri ma la sogs pa'i med cing rnam par mi rtog pa'i ye shes med pas thob shor med pa ni 'bras bu'i don yin no/ / de dag gis yongs su bskor ba'i shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i snying po'i don 'di ni shin tu gces par bya bar 'os pa yin no/ / de'i yon tan gyis mya ngan las 'das pa'i mthar phyin to/
[5] (DG p. 570:7) shes rab kyi pha rol tu phyin pa ni 'jig rten pa dang*/ nyan thos dang*/ rang sangs rgyas kyi spyod pa dang mi mnyam zhing*/ sangs rgyas [571] thams cad kyi ye shes dang mnyam par byed pas na mi mnyam dang mnyam pa'i sngas so/ sdug bsngal thams cad rab tu zhi bar byed pa'i sngags su shes par bya ste zhes bya ba ni shes rab kyi pha rol tu phyin pa 'chang*/ klog/ kha ton byed pa dang*/ tshul bzhin du yid la byed cing*/ gzhan la 'chad pa ni mig nad la sogs pa nad thams cad med par 'gyur zhing*/ phyogs bcu'i sangs rgyas dang*/ lha klu la sogs pas skyob par byed/ shes rab kyi pha rol tu phyin pas ngan 'gro dang 'khor ba'i rgya mthso thams cad zlog par byed pas na sdug bsngal thams cad rab tu zhi bar byed pa'i sngags so/
[6] [DG 584:7] 'o na dbang po rnon po sngags kyi theg pa chen po la mos pa rnams kyi don du rgyud du ma la brten pa phyi'i sngags kyis ni zhi ba dang rgyas pa la sogs pa bstan pa dang*/ nang gi sngags kyis rtsa dang rlung la sogs pa la brten nas lus dang sems bde ba bstan pa dang*/ gsang ba'i [585] sngags kyis ting nge 'dzin yun ring du gnas par bya ba bstan nas skad cig gis sam skye ba gcig gis sam/ bar ma do na'am/ skye ba bdun pa'i bar nas sangs rgyas pa yod de/ shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i snying po'i don gyi gdams ngag mtshan nyid kyi theg pa yin nam sngag kyi theg pa yin zhes the tshom za na/ sems can rnams kyi blo'i snang ba la tha dad du snang mod kyi zab mo'i chos nyid la tha dad med de/ de lta bas na shes rab kyi pha rol tu phyin pa'i sngags 'di ni gsang sngags rnams kyi don gyi snying po yin no/

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