jeudi 8 septembre 2011

Khemaka Sutta et Soutra du Coeur



Dans le Grand discours sur les causes (Mahānidana sutta DN 15), le Bouddha classe les points de vue du soi (P. attavāda) en quatre grandes catégories. Le soi (P. atta) étant habituellement défini comme ce qui est permanent (T. rtag pa), bienheureux (T. bde ba), immanent (T. khyab pa) et unique (T. gcig pu).

1.      Le point de vue qui décrit le soi comme ayant une forme tout en étant fini
2.      Le point de vue qui décrit le soi comme ayant une forme tout en étant infini
3.      Le point de vue qui décrit le soi comme n’ayant pas de forme tout en étant fini
4.      Le point de vue qui décrit le soi comme n’ayant pas de forme tout en étant infini

Ce discours ne donne pas d’exemple de ces points de vue, mais Thanissaro Bhikkhu (Geoffrey DeGraff) les présente[1] comme correspondant respectivement à :

1.      Les théories qui réfutent l’existence d’une âme tout en identifiant le soi avec le corps
2.      Les théories identifiant le soi avec tous les êtres ou avec l’univers
3.      Les théories affirmant l’existence d’une âme individuelle (E. discrete soul) dans les êtres
4.      Les théories affirmant l’existence d’une âme unique ou d’une identité immanente en tous les êtres.

La théorie enseignée par le Bouddha affirme que le soi ne peut être identifié avec aucun des cinq agrégats ou groupes d’appropriation. Ni avec le corps (formes matérielles = rūpa), ni les sensations (P. vedanā), ni les perceptions (P. sañña), ni les composants volitionnels (P. saṅkhāra), ni les instants de conscience (P. viññāṇa). Habituellement, le soi est identifié à un, à plusieurs ou à tous les cinq agrégats. On peut dire aussi que le Bouddha décompose « le soi » (P. atta) en cinq groupes, qui sont appropriés et dits « miens » par un « moi » qui dit « je suis ». Il affirme que ce soi ne peut correspondre ni à aucun des agrégats, ni à l’ensemble des agrégats, ni à autre chose que les agrégats.

Tout comme quand on parle du parfum d’une fleur rouge, blanche ou bleue, on ne peut pas dire que c'est le parfum d’un pétale, le parfum d'une couleur, le parfum d’un filet de la fleur. Le parfum est celui de la fleur dans son ensemble, qui n’est alors pas unique (T. gcig pu).
« De la même façon, mes amis, je ne dis pas que ce « je suis » est la forme, ni que ce « je suis » est autre que la forme. Je ne dis pas que ce « je suis » est la sensation…la perception…les composants volitionnels…la conscience, ni qu’il est autre que la sensation…la perception…les composants volitionnels…la conscience. » (Khemaka Sutta SN 22)
L’adepte qui s’est débarassé des cinq liens inférieurs (P. saṅyoyana) par rapport aux cinq agrégats, mais pas de leur forme subtile, considère les phénomènes de l’origine et de la disparition des cinq agrégats : « Telle est la forme, telle est son origine, telle est sa disparition »[2] pour chacun des agrégats. Et de cette façon, la confusion résiduelle mineure du « je suis », le désir « je suis », l’obsession « je suis » par rapport à ces cinq agrégats disparaîtra.[3]

L’exercice est très semblable à celui qu’enseigne Avalokiteśvara dans le Soutra du Cœur (S. Bhagavatī-prajñāpāramitāhṛdaya). Les cinq agrégats y sont enseignés comme étant vides. Vides de quoi ? D’un soi. Au lieu de dire « Telle est la forme, telle est son origine, telle est sa disparition », Avalokiteśvara dira plutôt « Telle est la forme, telle est la vacuité ; telle est la vacuité, telle est la forme  », pour être exact : « La forme est vide, la vacuité est forme, la vacuité n’est autre que forme et la forme n’est autre que vacuité ». Et ainsi de suite pour les autres agrégats.
« Ainsi, Śāriputra, tous les phénomènes sont vacuité. Ils n’ont ni caractéristiques ni origine ni fin. Ils sont sans impureté, libres de toute impureté. Ils n’augmentent ni ne diminuent. Voilà pourquoi au sein de la vacuité il n’y a pas de matière, de sensations, de représentations, de formations mentales ni de consciences, il n’y a ni oeil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit; il n’y a ni forme, ni son, ni odeur, ni saveur, ni contact, ni phénomène mental. Il n’y a pas de domaine de l’oeil, etc., pas de domaine du mental, etc., pas de domaine de la conscience mentale. Il n’y a pas d’ignorance, pas de fin d’ignorance, etc., pas de vieillesse-et-mort ni de fin de la vieillesse-et-mort. De même il n’y a ni souffrance, ni origine de la souffrance, ni cessation de la souffrance, ni voie. Il n’y a ni sagesse, ni réalisation, ni non-réalisation. Ainsi, Śāriputra, puisque pour les bodhisattvas il n’y a rien à atteindre, ceux-ci s’appuient sur la Connaissance Transcendante et y demeurent. Leur esprit dénué de tout voile, ils sont impavides, ils transcendent toute vue erronée et sont définitivement passés au-delà de la souffrance. C’est en s’appuyant sur la Connaissance Transcendante que tous les Bouddhas du passé, du présent et du futur atteignent la Bouddhéité absolue, l’Eveil parfait et insurpassable. »[4]
Nāgārjuna nous ayant déclaré que la vacuité n’est autre que la coproduction conditionnée (S. pratītya-samutpāda), les exercices du Khemaka Sutta et du Soutra du Cœur semblent confirmer la même chose. A vérifier par la pratique…
***
Illustration : Avalokiteśvara, peinture de la dynastie coréenne Goryeo, 1310.

[1] The Mind like Fire Unbound
[2] Voir Les stances du milieu par excellence de Nāgārjuna, chapitre 21, Examen critique du fait d’apparaître et disparaître
[3] Thanissaro Bhikkhu p. 109
[4] Dalaï Lama NANTES 2008 TEXTES ET PRIÈRES  (p133-139)

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