mercredi 23 janvier 2013

Attitude critique, dénigrement, blasphème ?


J'avais commencé une réponse à Philippe, mais qui était devenu trop longue (4096 caractères maxi apparemment) pour la poster dans les réactions.

Le dénigrement est contraire au principe bouddhiste de base, ahimsa (non-violence). Cela étant posé, une nouvelle école de pensée, pour se définir, a sans doute besoin dans un premier temps, de le faire par rapport à une autre. C'est une définition par la négative. Cela se passe rarement sans une forme de dénigrement, voire pire. L'histoire des religions en a de très nombreux exemples. P.e. le Bouddha n'a pas hésité à ridiculisé les brahmanes, inaugurant ainsi une longue tradition bouddhiste. Idéalement une nouvelle école de pensée arriverait directement avec son projet défini positivement ou en indépendance des autres écoles. Mais la vie est ainsi faite que les écoles de pensée et les individus (adolescence) doivent se définir par rapport à d'autres, déjà bien établis, pour se faire une place. Cela peut durer un certain temps, le temps de trouver sa propre voie et sa propre définition.  Il est toujours difficile et compliqué de se libérer d'une pensée établie. Surtout si c'est une pensée par laquelle on a appris à penser. Donc ça se comprend, enfin je le comprends ainsi.

Le Dalai Lama et Thich Nhat Hanh sont des figures publiques et médiatiques. Les médias occidentaux leur donnent le traitement de chefs d'église, comme le pape, et leur projettent des images qui vont avec ce statut. Le public suit. L'image qu'ils ont, et qui est enfouie sous les projections des uns et des autres, n'est pas sous leur contrôle et exposée à une "guignollisation", comme c'est le cas pour toutes les figures publiques. On peut s'attaquer à leur image médiatique ou à leur traitement médiatique par défaut, qui est continu, identique et de toute façon une caricature, qu'elle soit positive ou négative.

Les souffrances du peuple tibétain sont un drame de tous les points de vue. Il est en quelque sorte piégé dans sa propre culture telle qu'elle était à l'époque de l'exil, et qu'il considère comme son identité. Préserver sa patrie se réduit alors à préserver sa culture fidèlement. Et il préserve sa culture entre autres en la transmettant le plus fidèlement possible. Un des réceptionnaires de sa culture, très imprégnée de bouddhisme (tibétain) et vice versa, est l'occident. L'occident n'a pas forcément intérêt à prendre le package dans son intégralité, et pourtant c'est ainsi qu'est conçu et compris la transmission. Ce n'est pas non plus nécessairement une question de moderniser l'emballage ou la forme et de l'adapter aux goûts du jour.

Qu'est-ce qui y est essentiel (bouddhisme, voire dharma) et qu'est-ce qui ne l'est pas? Dans l'ancienne culture tibétaine (où l'état, la culture et la religion n'étaient pas séparés), les décisionnaires étaient les grands tulkous. L'époque a changé et l'occident a développé une attitude plus critique que l'on ne peut pas simplement mettre de côté. La phase critique est selon moi une phase nécessaire, quelque puisse être la sympathie qu'on a pour le peuple tibétain et sa culture. Ce ne serait d'ailleurs pas équitable d'attendre des tibétains qu'ils continuent à vivre comme dans un musée, pendant que le reste du monde continue ses changements profonds à vitesse grand V.

Certains grands et moins grands maîtres tibétains tentent de suivre ce mouvement en essayant de préserver le plus possible ce qui peut l'être. Avec cette attitude, le bouddhisme (tibétain) ou le dharma aura toujours un train, ou plusieurs, de retard. Peut-être vaut-il mieux se concentrer sur les fondamentaux du bouddhisme, ou au moins ne pas empêcher d'autres de les faire, en qualifiant les fondamentaux d'inférieur.

On ne peut pas nier qu'il y existe des points de friction et une divergence des points de vue dans la réception du bouddhisme en occident, par transmission ou par d'autres façons. Il n'y a pas encore de véritable dialogue à ce sujet entre les traditionalistes plutôt conservateurs et les autres. Les premiers n'y participent simplement pas, tant qu'ils n'y sont pas forcés. La provocation est alors un des recours. C'est aussi un moyen pour attirer l'attention. C'est de bonne guerre.

Je ferais d'ailleurs une différence entre un dénigrement personnel et individuel, et un "dénigrement" (de type blasphème etc.) qui entre simplement dans le cadre d'un débat d'idées, même musclé (humour, dérision...). Ce serait un consensus (selon moi nécessaire) entre la parole juste du Bouddha et la liberté d'expression. Je suis d'accord avec Sangharakshita (D.P.E. Lingwood, Buddhism and Blasphemy) qu'il n'y a pas de place pour le blasphème dans le bouddhisme, et encore moins dans un bouddhisme occidental...

Un exemple. On trouve sur le site Speculative non buddhism un article de Shyam Dodge intitulé "L'âme imaginaire de Thich Nhat Hanh" (Thich Nhat Hanh’s Imaginary Soul), suivi d'une discussion décapante où Thich Nhat Hanh n'est peut-être pas traité avec le respect habituel, mais confronté sur le terrain de la pensée. Ce n'est pas indolore, mais néanmoins intéressant et salutaire à mon avis.

1 commentaire:

  1. Merci pour cette réponse, très intéressante.

    J'avais effectivement lu "Thich Nhat Hanh’s Imaginary Soul" et, si le contenu de l'article m'a semblé juste et intéressant, il m'a toutefois semblé oublier une variable : le besoin qu'ont parfois les maîtres de simplifier ou vulgariser leur enseignement. On pourrait alors embrayer et disserter sur le maître prisonnier de ses disciples, et on aurait certainement, raison en partie. En partie car le bouddha lui-même adaptait ses enseignements à la personne qui venait les recevoir. Il faudrait alors peut-être penser à créer un entretien entre TNH et Shyam Dodge...

    Mais ce qui m'a choqué sur "Speculative Non Buddhism", c'est moins la remise en question des enseignements de TNH ou du DL que la forme, parfois agressive et hautaine. Or je ne conçois pas cette forme dans le bouddhisme, où la compassion et le respect de ceux qui suivent le dharma font partie des pratiques de base et, me semble-t-il, nécessaires.

    Je ne suis par contre pas d'accord avec ce que vous dites sur les médias : si le Dalaï Lama ou Thich Nhat Hanh passent pour des "papes" du bouddhisme, la raison me semble être l'ignorance des spectateurs plutôt qu'une quelconque volonté médiatique.

    C'est également l'ignorance qui pousse un grand nombre de personnes se définissant comme bouddhistes dans les bras de maîtres peu scrupuleux et finit quelquefois par ridiculiser ce que nous appelons la sangha.

    Au plaisir de vous lire...

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