Dieu et César, le siddhi ultime (T. mchog gi dngos grub) et les siddhi ordinaires (T. thun mong gi dngos grub), les derniers traditionnellement au nombre de huit, comme les huit préoccupations mondaines[1]. Le mot siddhi signifie accomplissement, réussite. Les siddhi ordinaires sont les signes d’une vie (sociale) réussie. La réussite est attirante et attire. La victoire est belle et embellie. Une fois la pompe (la « pompe à puṇya ») de la réussite amorcée, elle tournera quasiment toute seule.
L’attitude du bouddhisme vis-à-vis de la réussite a toujours été ambiguë Etre un renonçant dans le monde n’a jamais été facile. Il faut bien permettre aux gens d’accumuler du mérite par leur générosité ou d’exprimer leur gratitude pour l’atténuation de leur culpabilité. Renoncer semble créer un vide qui ne demande qu’à être rempli.
On ne se débarrasse pas si facilement de l’impact des signes de réussite. En confondant siddhi ultime et ordinaire, même la réussite spirituelle peut être mesurée en terme de fortune et de biens immobiliers amassés, d’édifications de bâtisse religieuses, de la quantité d’or sur les toitures et sur les statues, du nombre de disciples, d’œuvres de charité... Un moteur tournant au siddhi ordinaire est difficile à distinguer d’un système ordinaire alimenté par les huit préoccupations mondaines. Si difficile que c’est peut-être même peine perdue.
Dans notre monde de brutes, des personnes souffrant de culpabilité et des personnes décomplexées se rendent mutuellement service. Le monde de la spiritualité n’en est que le reflet. Des personnes décomplexées (ex-disciples de tel swami, sadhu, yogi, lama ou autre sage himalayen suivi pendant les vacances d’été ou une année sabbatique), proposent à des personnes complexées de leur vendre un peu de décomplexitude. Ils organisent des stages où l’on apprend à injecter un peu de « sens de la vie » et « d’attention consciente » dans les actes ordinaires de la vie. Au bout d’un stage d’une semaine ou deux, de quelques sessions en ligne, de quelques visionnages de clips vidéo, de satsangs privés, des bénédictions sous forme de comprimés etc., les personnes fraîchement décomplexifiées pourront reprendre leur vie en travaillant, baisant et gagnant du pognon (work, sex, money) à volonté, tout en y injectant du « dharma » par le biais de l’attention consciente. Si le gourou est assez charismatique, une structure de type vente pyramidale garantira la pérennité du système.
L’argent que l’on donne au Décomplexificateur en échange d’un service ou d’un objet symbolique rendu (un enseignement, une technique, un mantra, une bénédiction, sa considération…) sert à nous racheter et à atténuer notre culpabilité. Il symbolisera le sens de la vie que nous n’avons pas instauré dans notre vie, et nous permettra de continuer à vivre tout en « travaillant, baisant et gagnant du pognon » et en consommant à volonté, jusqu’à ce qu’un nouveau sentiment de manque de sens de la vie nous pousse vers un autre stage ou un autre Décomplexificateur, chez qui nous achèterons un autre produit spirituel. Ce métier n'est d'ailleurs pas sans risque et ne préserve pas de la culpabilité. Voir aussi le personnage la Gloïre dans l'Arrache-coeur de Boris Vian et Nakintchanamoûrti dans la Grande beuverie de René Daumal.
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MàJ The Business-bodhisattva, The spiritual entrepreneur
[1] L’espoir et la crainte des quatre paires : plaisir et déplaisir, gain et perte, louange et blâme, renommée et disgrâce.
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