samedi 8 octobre 2016

L'arrêt


Conversion d'Angulimāla, Gandhara
Étant petit, je me souviens de régulièrement faire des cauchemars, où un « méchant » me poursuivait. J’avais beau me cacher dans les meilleures cachettes, il venait toujours droit vers moi. Comme s’il savait exactement où j’étais. Et ce « méchant » le savait en effet, car il était celui même qui était en train de rêver. Le seul échappatoire était de se réveiller.

Dans un des discours du Bouddha en pāli il est raconté la conversion du bandit de grand chemin Angulimāla.[1]

« 4. Le bandit Angulimāla vit le Bouddha arriver de loin. Quand il le vit, il se dit : « C’est extraordinaire, c’est incroyable ! Des hommes ont parcouru cette route par groupes de dix, de vingt, de trente et même de quarante mais ils sont, à chaque fois, tombés entre mes mains. Et voilà que ce moine vient seul, sans escorte, comme s’il était guidé par le destin. Pourquoi ne prendrais-je pas la vie de ce moine ? » Angulimāla saisit alors son épée et son bouclier, fixa son arc et son carquois à sa ceinture, puis se mit à suivre le Bouddha de près.

5. A ce moment-là, le Bouddha utilisa ses pouvoirs surnaturels pour faire en sorte que le bandit Angulimāla, bien que marchant aussi vite qu’il le pouvait, ne puisse le rattraper alors que lui-même marchait à une allure normale.

Le bandit Angulimāla se dit alors : « C’est extraordinaire, c’est incroyable ! Autrefois je pouvais même rattraper un éléphant rapide et m’en saisir ; je pouvais même rattraper un cheval rapide et m’en saisir ; je pouvais même rattraper un chariot et m’en saisir ; je pouvais même rattraper un daim rapide et m’en saisir ; mais à cet instant, alors que je marche aussi vite que je le peux, je n’arrive pas à rattraper ce moine qui marche à une allure normale ! » Il s’arrêta et cria au Bouddha : « Arrête-toi, moine ! Arrête-toi, moine ! »

« Je me suis arrêté, Angulimāla. A présent, c’est à toi de t’arrêter aussi. »

On peut lire cette histoire en effet comme Angulimāla essayant de rattraper le Bouddha qui par ses pouvoirs surnaturels arriva à le garder à distance. On peut aussi l’aborder par une lecture plus intérieure, par exemple où le Bouddha est le potentiel d’éveil toujours présent et où « le mental » tente de le rattraper par tous les moyens possibles, sans y arriver. C’est justement « l’arrêt du mental »[2] qui ouvre à l’éveil. On perdrait néanmoins et le Bouddha, et Angulimāla et les pouvoirs surnaturels du Bouddha par cette interprétation, est-ce grave ?

Dans l’histoire tous les moyens que déploie Angulimāla sont contrés et neutralisés par les pouvoirs surnaturels (P. iddhipāda sct. ṛddhipāda) du Bouddha. Tout comme dans mes cauchemars toutes mes ruses furent contrées par les pouvoirs surnaturels du « méchant ». Je comprends maintenant la nature des ruses et des pouvoirs surnaturels de mes rêves. Celles des ruses d’Angulimāla et des pouvoirs surnaturels du Bouddha seraient-ils différents ?

Et toutes les méthodes bouddhistes pour trouver l’éveil, qu’en est-il ? Est-ce pour cela qu’on les appellerait « expédients » ?

***

[1] Angulimala Sutta (MN 86). Traduction française de Jeanne Schut

[2] Je mets ces termes entre guillemets, car ils ne fournissent pas de véritable explication. Il ne faut pas s’y arrêter et ils sont à creuser davantage. Une fois la flèche extirpée rien n’empêche de se livrer à son analyse. Cūla-Mālunkya-sutta (Majjhima Nikāya, I, 426-432).

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