dimanche 29 janvier 2012

Par Jupiter !


Naissance d'Athéna

La théorie des forces (immortelles et non engendrées) unifiante et séparatrice de l’Un fournit la base d’une forme d’émanationisme que l’on retrouve dans la pensée (religieuse) grecque, dans la pensée indienne (sāṃkhya…), dans le scolastique bouddhiste, dans le tantrisme bouddhiste et donc aussi dans le bouddhisme tibétain. La Haine est responsable de la génération de toutes les choses engendrées et l’Amour de la sortie des engendrés hors du monde.[1] L’équilibre des deux est le repos. On peut évidemment personnaliser cette puissance.
« Tous les noms lui conviennent. Tu veux l’appeler le Destin ? Tu en as le droit, car il est celui auquel toutes choses sons suspendues, la cause des causes. La Providence ? Tu en as le droit, car c’est lui par le conseil duquel il est pourvu aux besoins de ce monde, afin qu’il arrive à terme sans rencontrer d’obstacle et qu’il déploie tous ses mouvements. La Nature ? Tu ne feras pas d’erreur, car c’est lui dont naissent toutes choses grâce au souffle duquel nous vivons. Le Monde ? Tu ne te tromperas pas, car c’est lui qui est tout ce que tu vois, présent à l’intérieur de toutes ses parties et se conservant lui-même et ses parties. » Sénèque, Questions naturelles, I, Préf. 3[2] 
« Pour les stoïciens, les figures des autres dieux [que Zeus-Jupiter] correspondaient allégoriquement à des événéments constitutuant le monde et représentant des phases du mouvement général de l’univers : Héra, par exemple, correspondait à l’air. Epictète (III, 13, 4-8) met en scène mythiquement Zeus, c’est-à-dire la Raison ou la Nature, au moment où, après une phase d’expansion, de diastole, puis de concentration, de systole, l’univers, dans l’embrasement général, est ramené à son état séminal, c’est-à-dire au moment où la Raison est seule avec elle-même. Zeus va-t-il dire : ‘Malheureux que je suis ! Je n’ai ni Héra, ni Athéna, ni Apollon…’ ? ‘Non, dit Epictète, Zeus vit alors pour lui-même, se repose en (S. viśrānti L. quies) lui-même… s’entretient de pensées dignes de lui. »[3]

Comparez ceci avec le Cœur Divin dans le shivaïsme du Cachemire (votre indulgence pour des signes diacritiques manquants ou de trop...) 

« Le Cœur spirituel est la Réalité ultime (anuttara) qui est aussi bien transcendante (viśvotirna), qu’immanente (viśvamaya) dans toutes les choses créées. Il est l’essence ultime (sāra). Le Cœur spirituel incarne le paradoxe de la nature qui ne peut pas être définie de Shiva et pour cette raison il est une source infinie d’enchantement (camatkāra), définie comme un pur étonnement (vismaya) et un ineffable mystère. Le Cœur est la plénitude et le caractère illimité de Śiva (pūrṇatva), le trop plein de l’existence qui se déverse sans arrêt dans la manifestation. En même temps, il est d’une vacuité inconcevable (śūnyatiśūnya). Le Cœur spirituel est le Soi Universel et illimité (pūrṇahanta). 
Le Cœur de Śiva n’est pourtant pas une réalité absolument statique ou inerte. En fait, la tradition du shivaïsme cachemirien, non-dualiste considère le Cœur comme étant dans un état de mouvement perpétuel, en état de vibration (spanda), où a lieu une continue contraction et expansion (saṃkoca- vikāsa[4]), une permanente ouverture et fermeture (unmeṣa-nimeṣa), un frisson (ullasita[5]), un frémissement (sphurata[6]), une continue pulsation, un ondoiement et un déversement (ucchalata[7]) du Souffle Divin. L’intensité et la vitesse de ce mouvement sont si grandes que, paradoxalement, il peut être simultanément regardé comme une parfaite immobilité dynamique. »
La Raison (logos) ou la Nature comme le Cœur spirituel, qui est le Cœur de Śiva où a lieu le mouvement continu de contraction et d’expansion (G. systole-diastole S. saṃkoca- vikāsa[8]) du monde, aussi appelées phase de création (T. bskyed rim) et d’achèvement (T. rdzogs rim), dont le dépassement est la grande complétude qui contient aussi bien le repos que l’action.
Le porteur de foudre, Zeus-Jupiter, qui n’est pas sans rappeler Vajrapāṇi ou Vajradhara, est celui qui donne l’impulsion originelle unique, le foudre qui met le feu au poudre. Et laquelle impulsion originelle, sa volonté, sa Pensée (T. dgongs pa) est présente dans les quatorze niveaus de l’univers.
« La foudre n’est pas lancée par Jupiter, mais toutes choses ont été disposées par lui de telle sorte que même celles qui ne sont pas faites par lui ne sont pas faites sans la raison qui est celle de Jupiter. Même si Jupiter ne fait pas lui-même actuellement ces choses, Jupiter a fait qu’elles soient faites. » (Sénèque, Questions naturelles, II, 46)[9]




Illustration : Naissance de Pallas Athena de Zeus
[1] Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, VII, 29)
[2] (Hadot, 1992), p. 175
[3] (Hadot, 1992), p. 175
[4] saṃkoca [saṃkuc] m. contraction, rétrécissement, réduction, restriction; rétraction | phil. [trika] phase ascendante de réalisation spirituelle où le disciple se purifie en effectuant la rétraction du monde phénoménal; elle est suivie d'une phase d'expansion [vikāsa].
[5] ullasita [pp. ullas] a. m. n. f. ullasitā brillant; manifeste; tirée (épée).
[6] sphur v. [6] pr. (sphurati) pp. (sphurita) pf. (nis, vi) trembler, vibrer, frémir, palpiter (œil, lèvre) | étinceler, scintiller; se révéler, apparaître subitement | sauter, bondir.
[7] ucchal [ut-śal] v. [1] pr. (ucchalati) pp. (ucchalita) sauter, jaillir; déborder; s'envoler.
[8] saṃkoca [saṃkuc] m. contraction, rétrécissement, réduction, restriction; rétraction | phil. [trika] phase ascendante de réalisation spirituelle où le disciple se purifie en effectuant la rétraction du monde phénoménal; elle est suivie d'une phase d'expansion [vikāsa].
[9] (Hadot, 1992), p. 175

5 commentaires:

  1. Dear J.,

    I'm fascinated by the subject, and co-incidentally (or would that be synchronicitously?) I was just finishing reading a nice study of Hercules & Gandharan representations of Vajrapani:

    F.B. Flood, Herakles and the ‘Perpetual Acolyte’ of the Buddha: Some Observations on the Iconography of Vajrapāṇi in Gandhāran Art, South Asian Studies, vol. 5 (1989), pp. 17-28.

    There are Jovian as well as Heraklean aspects absorbed into the iconography of Vajrapani, it seems very clear. Shame on me, I should be writing in French, but malhereusement...

    I also recommend R.H. Smith, Near Eastern Forerunners of the Striding Zeus, Archaeology, vol. 15 (1962), pp. 176-183, if you can find it, since Indo-Tibetanists are bound to be surprised at what they will find there.

    And it teaches us (in case we forgot) that at least some of what we habitually think of as Greek came to her from the direction of the sunrise.

    I do very much enjoy reading your blog even as a non-native reader. It isn't entirely Greek to me, so to speak.

    Yours,
    D

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  2. Dear Dan,

    Fascinating subject indeed. Thank you for all the references. Care to publish anything on your blog about your findings so far? Everywhere I seem to go lately I find your marks, articles, fires still smoldering, seats still warm. If I weren't myself I would like to be Dan Martin :-)

    Yours,

    Joy

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  3. Suite :
    F.B. Flood, Herakles and the ‘Perpetual Acolyte’ of the Buddha: Some Observations on the Iconography of Vajrapāṇi in Gandhāran Art, South Asian Studies, vol. 5 (1989), pp. 17-28.
    Un des articles auxquels Dan fait référence dans sa réponse est téléchargeable au lien ci-dessous

    http://www.nyu.edu/gsas/dept/fineart/faculty/flood_PDFs/Herakles.pdf

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  4. By Jove! Let's do it! Let's exchange. I've always wanted to be joy. Totally. And live where you do, speak your languages and write your blogs. I've been so unmotivated lately and feel myself in need of rest and recreation. How far do you live from the beach?

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  5. Not only are you one of the greatest living "tibétobouddhologues", your practice of gtong len is triggered as soon as you notice a sentient being deserving compassion and pity. I can see a bit of sea from my office window, and every now and then one can spot a flock of water dragons approaching the shore. Happy losar dear Dan!

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