samedi 28 décembre 2013

Battements d'ailes microcosmiques et orages macrocosmiques


 
Un blog est un endroit, où l’on peut ouvrir mille chantiers en même temps. Tantôt on travaille un peu sur l’un (de façon très incomplète et imparfaite), puis on passe à un autre. On peut établir des liens entre les uns et les autres. Ce sont toujours des travaux en cours. Tout y est provisoire et brouillon. Ce qui a été construit la veille peut être démoli le lendemain. C’est aussi un lieu idéal pour toutes sortes d’expériences. Vous êtes prévenus.

La création est souvent raconté comme un processus de « démembrement » d’un dieu primordial ou unique. Le dieu perd son essence (active) qui se répand dans l’univers et qui l’organise et le forme. Toutes les parties de l’univers où l’essence est répandue forment ensemble le corps du dieu, qui est ainsi l’étendue de ce dieu. La source et le coeur de ce cosmos est évidemment le dieu lui-même. Plus on s’éloigne du centre et plus l’essence se raréfie. Il peut donc y avoir une hiérarchie des parties divines, proportionnellement à l’intensité ou la pureté de l’essence divine.
Ce rapport de forces peut être schématiquement représenté en un organigramme du cosmos, un cosmogramme. Les cosmogrammes les plus connus dans le bouddhisme tibétain sont les cosmogrammes en deux dimensions, appelés maṇḍala, dkyil ‘khor en tibétain. Le mot « dkyil » signifie centre, mais un centre moyeu. On trouve aussi le mot ‘khyil ‘khor qui signifie rotation. La différence entre les deux formes dkyil et ‘khyil est que le premier est actif (moteur) et que le deuxième est passif/réflexif (est mu). ‘khyil ‘khor signifie rotation, c’est-à-dire la rotation des « cercles » en orbite autour d’un moyeu. Comme les planètes tournent autour du soleil par exemple.



Comme la plupart des maṇḍala sont deux-dimensionnels, ils sont des cosmogrammes présentant une vue de dessus du cosmos. Étroits aux centre et larges aux bord, ils représentent en fait des formes coniques ou pyramidales, comme les organigrammes de nos jours. Au centre, on trouve le véritable moteur et plus on s’éloigne du centre la force motrice (puissance de l’essence divine) fait défaut. Tout comme lorsqu’on s’éloigne d’une source de lumière et de chaleur, plus il fera sombre et froid.

Le véritable maṇḍala trois-dimensionnel est donc de type conique ou primordial comme la montagne cosmique, ou comme l’Homme cosmique (lokapuruṣa). Ce qui y est en haut meut ce qui se trouve en dessous, et ce qui se trouve en bas est mu par ce qui se trouve au dessus. Il en va ainsi dans le cosmos avec le soleil, les planètes, les maisons zodiacales, les quatre saisons ou les quatre éléments. Il en va de même dans la société, où chacun a sa place, conformément au cosmos, conformément à la Nature. Et comme Michel Hulin a dit que le véritable sens des upaniṣad est de montrer les correspondances secrètes entre le microcosme et le macrocosme, il en va de même au niveau individuel. Les initiés savent que le corps microcosmique et le corps macrocosmique sont de même nature, Tu es Cela.

Le maṇḍala est alors l’organigramme du cosmos extérieur, intérieur et secret, qui montre ce qui est en haut et ce qui est en bas, ou ce qui devrait l’être le cas échéant. Quand c’est le cas, les choses, le cosmos est en harmonie. Mais l’harmonie n’est pas possible, quand les choses sont sens dessus dessous... A cause des correspondances entres les différents niveaux, un petit déséquilibre par-ci peut causer un grand déséquilibre par-là. Un simple battement d'ailes d'un papillon microcosmique peut déclencher une tornade macrocosmique. P.e. quand les corps célestes sont déréglés, cherchez la cause dans la société ou en vous-mêmes. Réparez les erreurs et les fautes, rétablissez l’ordre et l’harmonie Naturelle. Demandez aux sages comment procéder. Le cosmogramme peut indiquer à quel niveau le cosmos est déréglé et à quoi correspond ce dérèglement au niveau sociétal ou individuel. Il convient alors de rassurer et d’indemniser le dieu offensé, pour restaurer l’ordre et l’harmonie. Quoique puissent proposer d'autre [1] les maṇḍala, ils nous proposent aussi un modèle de monde et de société. 

Article de John Hopkins qui m'a inspiré pour ce billet.

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[1] Voir Mandala Cosmogony: Human Body Good Thought and the Revelation of the Secret ... Par Dan Martin
 "A recent work by Bruce Lincoln[2] has investigated linkages between a certain type of cosmogony common in Indo-European societies and their social orders as well as their preferred systems of classification. These cosmogonies, which are of the ’dismemberment' type, bear certain similarities to the mandala cosmogonies of Tibet, most obviously in the sense that these Tibetan cosmogonies introduce classificatory (or typological) systems that likewise work through a complex system of homologies (correspondences). Still, there are certain interesting differences. Although mandalas can at times be seen to convey a particular kind of 'body politic', the specific bodily metaphors ('the head is the ruler, the warriors arc the arms,' etc.) are absent. This is one of the aspects that would suggest that the mandala and cosmogonies employing them ought to be approached on their own terms, explored within their own contexts, until they yield a sense of their own internal logic. We should not work from the assumption that mandala cosmogonies work in the same way as Lincoln's dismemberment cosmogonies. Rather, if we are to make this conclusion, it should be a result of thorough consideration and reconsideration of mandalas themselves. Insights into mandala cosmogonies might just as well lead us to different frameworks for understanding dismemberment cosmogonies, as the vice versa."
[2] Bruce Lincoln, Death, War, and Sacrifice: Studies in Ideology and Practice (University of Chicago Press, 1991) ?

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