Antonio Damasio est professeur de neurosciences, de neurologie et de psychologie et dirige l'Institut du cerveau et de la créativité à l'Université de Californie du Sud. Il vient de publier L'autre-moi-même – les nouvelles cartes du cerveau de la conscience et des émotions. Le dos de son livre explique
Non, la conscience et le soi ne sont pas une "chose", une "substance", une "entité" en nous, comme on l'a longtemps postulé. Bien au contraire, ils forment un ensemble dynamique de processus nés petit à petit au fil de l'évolution biologique.De nombreuses traditions spirituelles s'appuient sur l'idée d'une opposition entre l'esprit et la matière en rendant compte de différentes façons comment les deux s'allient pour créer des consciences et des organismes individuels. L'esprit peut être antérieur à la matière, il peut mouvoir et organiser la matière, s'incarner dans la matière… La matière peut apparaître de la procession graduelle ("descente") ou émanation de l'esprit comme dans le sāṃkhya ou chez les néoplatoniciens et le chemin spirituel ("de l'esprit") consiste alors à remonter à la source : l'Esprit.
Quand on lit les dernières théories ("cadres") de Antonio Damasio, on comprend que les neurosciences ont une vue presque totalement opposée et de plusieurs points de vue. C'est le cerveau qui forme l'esprit par l'organisation de l'activité des petits circuits neuronaux en grands reseaux, formant ainsi des structures temporaires, qui représentent "les choses et les événements extérieurs au cerveau, dans le corps ou dans le monde extérieur"[1]. Ce n'est pas tout, quand un esprit n'a pas de soi, il n'est pas conscient. C'est le cas du sommeil sans rêve, d'une anesthésie ou des affections cérébrales. Ce soi n'est pas une chose, mais un processus, s'appuyant sur d'autres processus et qui opère sur plusieurs registres (sentir la présence d'un autre organisme, comprendre la personnalité et l'identité du propriétaire de l'esprit)[2].
A la limite, on peut toujours parler d'une procession, mais cette fois-ci dans l'autre sens, de la "matière" à l'esprit, au proto-soi, au soi-noyau, au soi et à la conscience. Un processus de resorption comme le yoga devient nettement moins attirant ou a lieu automatiquement au moment de la mort physique et par conséquent de l'esprit tel que défini par Damasio, qui met ainsi un nirvāṇa sans effort à la portée de tous...
Ceux qui prennent donc les approches religieuses et spirituelles et leurs croyances au premier degré comme des descriptions de la réalité ne trouveront pas beaucoup de soutien dans les théories de neuroscientifiques comme Damasio. Leur dernier espoir est peut-être une idée de "matière" qui n'est pas inerte, mais qui serait comme une substance informée ou comme une essence de l'univers. Le "rasa" de l'ayurveda et des siddhas, voire certaines interprétations de la "Māyā". Le "logos" des stoiciens etc.
Tous les effets de la création divine, tous les êtres ou phénomènes qui pourront paraître au cours des âges, existent en puissance dans la texture des éléments « Comme les femelles sont grosses de leur portée, le monde lui aussi est gros des causes des êtres qui doivent naître. » Depuis les stoïciens, on appelait ces causes cachées les « raisons séminales ». Séminales, car il s'agit des semences des êtres. Raisons, parce que ces semences se déploient et se déroulent de manière rationnelle, méthodique et programmée. Elles contiennent, dans un état d'involution et de virtualité, les différents organes qui seront amenés à leur plein développement dans le futur être vivant. La Nature devient ainsi un immense réservoir qui contient, cachée en elle, la totalité des raisons séminales."[3]Quoi qu'il en soit, il semblerait qu'il y aura peut-être des ajustements à faire, d'approche, de méthode, de croyance, puisque tout ceci doit s'inscrire dans un cadre plus ou moins cohérent.
MàJ : 270213 Série de clips vidéo sur son dernier livre "Self comes to mind" (Le soi vient à l'esprit)
***
En cliquent sur le se site de la Cité des sciences, vous pouvez regarder une conférence avec le professeur Damasio sur son dernier livre.
[1] L'autre moi-même, p. 26
[2] L'autre moi-même, p. 15
[3] Le voile d'Isis, Pierre Hadot, p. 121
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire