Le mot bhāva vient de la racine bhū, qui signifie « faire se manifester; produire, créer, causer, devenir ». Le mot bhāva signifie « existence, présence; mode d'être; état, condition ». Il s’agit d’une présence manifeste, visible aux cinq sens et au sens interne. Le préfixe a- étant un privatif, le mot abhāva désigne l’absence de manifestation, de réalité visible, mais qui n’est pas le néant. Le mot bhāva peut se traduire en tibétain par « dngos po » (chose, manifeste, réel –au sens de visible) et par « srid pa » (devenir, exister).
Le mot bhāva peut aussi être précédée de sva-, un pronom réfléchi qu’on traduit par sa, son, propre, personnel. L’ensemble, svabhāva, signifie « disposition naturelle, nature innée ou spontanée », ou encore « nature propre », ce qu’une chose est en propre. Quand, comme Nāgārjuna, on pense que les choses n’ont pas de nature propre et qu’elles sont le produit de causes et de conditions, ont dit qu’elles n’ont pas de nature propre (S. niḥsvabhāvā).
Pour les bouddhistes, bhāva c’est l’existence dans son ensemble, une succession de naissances et de disparitions, et des états (produits de causes et de conditions) entre les deux. Fixer les états (bhāva) entre la naissance et la disparition est perdre de vue leur nature, qui est de naître et de disparaître. Leur véritable nature est de ne pas avoir de nature, c’est-à-dire quelque chose qui existe par elle-même (sva-bhāva).
Dans les systèmes théistes, la véritable nature est divine. Toute chose participe du Divin et dérive de lui son existence. Les choses ont donc une nature (svabhāva) et elles existent par la grâce de celle-ci. Quand un système non-théiste comme le bouddhisme pré-tantrique parle de nature propre (svabhāva), il s’agit en fait de la coproduction conditionnée, aussi appelée vacuité, et par là d’une absence de nature propre (S. niḥsvabhāvā). Quand un système théiste parle de nature propre, elle veut parler de la nature divine d’une chose.
Il faut encore distinguer entre des systèmes proprement théistes et des systèmes non-théistes mais prenant la forme d’un système théiste pour diverses raisons. Dans les systèmes théistes Dieu ou le Divin a donc une nature qu’il partage avec le monde. Une particularité de Ramanuja (1017–1137) est que la nature divine a un aspect intérieur, c’est-à-dire des attributs qui lui appartiennent en propre (svarūpa), et un aspect extérieur qu’il partage avec tout. Il est à la fois transcendant (paratva) et immanent (saulabhya). Les qualités ou les attributs qu’il a en propre (svarūpa) sont évidemment au nombre de cinq.
1. satya : être ;
2. jñāna : conscience illimitée ou « connaissance » (T. mkhyen pa) ;
3. anantatva : (l'Illimité ou partition) infinie, libre de toute limitation de lieu, de temps ou d’une nature spécifique ;
4. ānanda : joie ou extase, la multiplication infinie de l'extase de l’âme finie, purifiée de toute souffrance ;
5. amalatva : absence de souillure ou pureté, libre d’effets (karma) et de matérialité (bhāva).
Ensemble, ces cinq attributs montrent que la nature divine est une conscience-en-soi (svacitta), infinie et joyeuse, avec une réalité extérieure immaculée. Tous les autres qualités/attributs divins constituent sa nature (svabhāva) partagée par rapport aux autre entités. Y compris sa relation au cosmos en tant que la base, le gouverneur, et le propriétaire. Son rôle d’agent en tant que créateur, mainteneur et destructeur de la création. Cela comprend aussi sa qualité de « trésorerie », d’océan de qualités auspicieuses et de sa présence dans le cosmos, sous forme d’émanation cosmique (vyuha), incarnation occassionnelle (avatara) et contrôleur interne (antaryamin) de chaque âme individuel. Parfois Ramanuja parle du royaume éternel (nitya-vibhūti, plérôme) des partenaires divins et des anges missionaires, et même du royaume terrestre des âmes sujets au karma, comme le royaume du Jeu du Seigneur (līlāvibhūti). Vibhūti signifie « manifestation de force, déploiement d'énergie, puissance » et le verbe vibhūṣ « orner, décorer », les Parures (T. rgyan) et le Jeu (T. rol pa) que l’on retrouve dans le Dzogchen.
Dans la tradition bengalie qui fut une alliance du vishnouïsme et du sahajiyā, l’idée du Jeu du Seigneur se retrouve dans la relation entre Kṛṣṇa et Rādhā (sujet et objet de délectation), où la séparation apparente de Kṛṣṇa et Rādhā sert d'astuce à Kṛṣṇa pour avoir accès à lui-même, à se (svarūpa) reconnaître dans les formes (rūpa), à se reconnaître…
Dans ce système, Kṛṣṇa, le Seigneur, possède trois Puissances : la Puissance de sa nature propre (svarūpa-śakti), la Puissance qui produit les êtres (jīva-śakti) et la Puissance qui produit le monde (māyā-śakti). La Puissance de sa nature propre (svarūpa) consiste en trois attributs : l’être (sat), la conscience pure (cit) et l’extase[1] (ānanda). Cela fait de nouveau cinq attributs ou qualités. Trois attributs constituent la Puissance de sa nature propre, les deux autres concernent respectivement les êtres et le monde, l'Autre. Chaque forme (rūpa) ou chaque chose (bhāva), être ou chose, reflète la nature divine et a cette part divine triple : l’être (sat), la conscience pure (cit) et l'extase (ānanda).
Dans le bouddhisme « non-théiste », chaque propriété intelligible (dharma) ou chose (bhāva=ensemble de propriétés) n’a pas de triple nature divine, mais a néanmoins une triple « nature d'intelligible » (dharmatā), à savoir extatique[2] (sukha), lumineuse/manifeste (vyakta, spuṭha, avābhāsa[3]) et indifférencié (vikalpa). Avec un peu d’imagination on peut y reconnaître les attributs de la nature divine. Reconnaître le dharmatā en chaque dharma est comme retrouver le corps spirituel (dharmakāya) à chaque degré de manifestation (tattva).
Rappelons aussi que les trois caractéristiques de chaque propriété dans le bouddhisme ancien étaient insatisfaisant (P. dukkha), impermanent (P. anicca) et sans en-soi (P. anatta).
[1] État particulier dans lequel une personne, se trouvant comme transportée hors d'elle-même
[2] Qui a le caractère de l'extase; qui est hors de soi, extraverti, projeté à l'extérieur. En d’autres termes, libre, comme la liberté du Seigneur dans la Reconnaissance.
[3] ava pf. vers le bas; à l'écart de | péjoratif.
Source : Dasgupta, Shashi Bhushan, Obscure religious cults,K. L. Mukhopadhyay, Bengal, 1969
Il faut encore distinguer entre des systèmes proprement théistes et des systèmes non-théistes mais prenant la forme d’un système théiste pour diverses raisons. Dans les systèmes théistes Dieu ou le Divin a donc une nature qu’il partage avec le monde. Une particularité de Ramanuja (1017–1137) est que la nature divine a un aspect intérieur, c’est-à-dire des attributs qui lui appartiennent en propre (svarūpa), et un aspect extérieur qu’il partage avec tout. Il est à la fois transcendant (paratva) et immanent (saulabhya). Les qualités ou les attributs qu’il a en propre (svarūpa) sont évidemment au nombre de cinq.
1. satya : être ;
2. jñāna : conscience illimitée ou « connaissance » (T. mkhyen pa) ;
3. anantatva : (l'Illimité ou partition) infinie, libre de toute limitation de lieu, de temps ou d’une nature spécifique ;
4. ānanda : joie ou extase, la multiplication infinie de l'extase de l’âme finie, purifiée de toute souffrance ;
5. amalatva : absence de souillure ou pureté, libre d’effets (karma) et de matérialité (bhāva).
Ensemble, ces cinq attributs montrent que la nature divine est une conscience-en-soi (svacitta), infinie et joyeuse, avec une réalité extérieure immaculée. Tous les autres qualités/attributs divins constituent sa nature (svabhāva) partagée par rapport aux autre entités. Y compris sa relation au cosmos en tant que la base, le gouverneur, et le propriétaire. Son rôle d’agent en tant que créateur, mainteneur et destructeur de la création. Cela comprend aussi sa qualité de « trésorerie », d’océan de qualités auspicieuses et de sa présence dans le cosmos, sous forme d’émanation cosmique (vyuha), incarnation occassionnelle (avatara) et contrôleur interne (antaryamin) de chaque âme individuel. Parfois Ramanuja parle du royaume éternel (nitya-vibhūti, plérôme) des partenaires divins et des anges missionaires, et même du royaume terrestre des âmes sujets au karma, comme le royaume du Jeu du Seigneur (līlāvibhūti). Vibhūti signifie « manifestation de force, déploiement d'énergie, puissance » et le verbe vibhūṣ « orner, décorer », les Parures (T. rgyan) et le Jeu (T. rol pa) que l’on retrouve dans le Dzogchen.
Dans la tradition bengalie qui fut une alliance du vishnouïsme et du sahajiyā, l’idée du Jeu du Seigneur se retrouve dans la relation entre Kṛṣṇa et Rādhā (sujet et objet de délectation), où la séparation apparente de Kṛṣṇa et Rādhā sert d'astuce à Kṛṣṇa pour avoir accès à lui-même, à se (svarūpa) reconnaître dans les formes (rūpa), à se reconnaître…
Dans ce système, Kṛṣṇa, le Seigneur, possède trois Puissances : la Puissance de sa nature propre (svarūpa-śakti), la Puissance qui produit les êtres (jīva-śakti) et la Puissance qui produit le monde (māyā-śakti). La Puissance de sa nature propre (svarūpa) consiste en trois attributs : l’être (sat), la conscience pure (cit) et l’extase[1] (ānanda). Cela fait de nouveau cinq attributs ou qualités. Trois attributs constituent la Puissance de sa nature propre, les deux autres concernent respectivement les êtres et le monde, l'Autre. Chaque forme (rūpa) ou chaque chose (bhāva), être ou chose, reflète la nature divine et a cette part divine triple : l’être (sat), la conscience pure (cit) et l'extase (ānanda).
Dans le bouddhisme « non-théiste », chaque propriété intelligible (dharma) ou chose (bhāva=ensemble de propriétés) n’a pas de triple nature divine, mais a néanmoins une triple « nature d'intelligible » (dharmatā), à savoir extatique[2] (sukha), lumineuse/manifeste (vyakta, spuṭha, avābhāsa[3]) et indifférencié (vikalpa). Avec un peu d’imagination on peut y reconnaître les attributs de la nature divine. Reconnaître le dharmatā en chaque dharma est comme retrouver le corps spirituel (dharmakāya) à chaque degré de manifestation (tattva).
Rappelons aussi que les trois caractéristiques de chaque propriété dans le bouddhisme ancien étaient insatisfaisant (P. dukkha), impermanent (P. anicca) et sans en-soi (P. anatta).
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[1] État particulier dans lequel une personne, se trouvant comme transportée hors d'elle-même
[2] Qui a le caractère de l'extase; qui est hors de soi, extraverti, projeté à l'extérieur. En d’autres termes, libre, comme la liberté du Seigneur dans la Reconnaissance.
[3] ava pf. vers le bas; à l'écart de | péjoratif.
Source : Dasgupta, Shashi Bhushan, Obscure religious cults,K. L. Mukhopadhyay, Bengal, 1969
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