Dzongsar Khyentsé Rinpoche offrant la statue de Jowo d'or |
Les propos prennent la forme d’un hommage au Bouddha, qui commence par la question rhétorique « Comment pourrions-nous vous remercier ? » (nga tshos ji ltar byas nas khyed kyi drin lan 'jal dgos sam). Implicitement cela veut dire qu’il est impossible de le remercier. Littéralement de lui rendre la pareille (lan ‘jal) en bonté (drin). Quelle fut la bonté sans prix du Bouddha ? Celle d’avoir enseigné que chacun est son propre maître (mgon)[1]. Qui d’autre pourrait être notre maître ? Celle d’avoir enseigné que, tout comme nous ne voulons pas que les autres nous fassent du mal, nous ne devrons ne pas faire mal à autrui. Que tout ce que nous percevons par le biais des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps et du mental est sans essence (ma grub)[2]. Que nous ne devrions jamais accepter les propos du maître sur parole mais en vérifier la véracité par nous-mêmes.[3] Tous ces propos sont des joyaux qui n’ont pas de prix (rin thang gzhal med kyi nor bu). Il n’y a pas d’autre façon de rendre la pareille au Bouddha que d’être comme lui (khyed kyi ngo bor ma gyur bar), d’être un Bouddha.
Néanmoins, poursuit DKR, en tant qu’être humain méprisable (tha shal ba) sous le sort très puissant de l’attrait irrésistible de l’or et de l’argent (gser dngul rtsa chen du brtsi ba'i nor 'khrul shugs che ba'i mi), je vous offre continuellement de l’or.
Pourquoi la gratitude (grâce) ne suffirait-elle pas ? Pourquoi faudrait-il rendre la pareille et à celui même dont on a reçu la bonté ? Pardonnez-moi mon vocabulaire féodal, mais quand un puissant seigneur vous faisait une faveur, on pouvait le remercier, faire ses louanges, lui rendre la pareille en dons etc. en espérant que ses faveurs dureront. Seulement, dans ce cas comme cela nous vient d’être rappelé, il n’y a pas de seigneur (mgon), chacun est son propre seigneur (mgon), chacun est un Bouddha, il n’y a rien à espérer (Sūtra du Cœur).
C’est comme si, après avoir résumé la bonté et la sagesse du Bouddha, on arrive à la conclusion « tout cela est bien beau, mais être méprisable que je suis, j’en suis incapable » et on rejoint les rangs des autres incapables en essayant de rendre la pareille au Bouddha en offrant de l’or. Au Bouddha ? Cette statue est vraiment le Bouddha ? Est-ce elle qui avait été si bon ? À force de lui offrir de l’or etc. « continuellement » (mu mthud), arrivera-t-on un jour à atteindre le Bouddha ? Quelle est la véritable portée des actes symboliques ?
Le Bouddha n’est pas le seul guide qui a été bon pour l’humanité. Faudrait-il leur rendre la pareille de la même façon à tous les autres guides ? En en faisant des effigies en or et en les recouvrant d’or ? Et, étant un guide soi-même, est-ce donner un bon exemple en recouvrant des effigies d’autres guides avec de l’or ? N’est-ce pas troquer une hallucination (l’attrait d’or) contre une autre (l’idolâtrie) ?
Je vois bien l’ironie et l’humour de ce texte. Mais j’y vois aussi quelque chose de pervers, comme un double langage. Les vérités du Bouddha sont belles et il n’y a pas d’autre Bouddha qu’en nous (j’insiste sur le pluriel). Une fois cela rappelé, on retourne à « la pratique » qui consiste à continuellement offrir de l’or au Bouddha (da dung mu mthud ngas gser gyi mchod pa 'di khyed la 'bul), ou plutôt à ses représentations ou à ses représentants… Un exemple à suivre ?
Comment rendre la bonté ? Celle très évidente de mes parents par exemple. Je pourrais leur construire un mausolée en or, y tenir des cérémonies de remémoration etc. Étant parent moi-même, je ne voudrais pas que ce soit ainsi que mes enfants me rendent la pareille. En fait, ce n’est pas à celui dont on a reçu la bonté qu’il faudrait la rendre, ce qui n’empêche évidemment pas de ressentir de la gratitude. Mais c’est à leurs enfants que les enfants peuvent rendre la bonté. C’est même la seule façon. Rendre la bonté aux parents en étant un (bon) parent. Rendre la bonté en étant bon (dmigs med su). Rendre la bonté au Bouddha en étant un Bouddha. Comment être un Bouddha ? Le texte ci-dessus contient déjà quelques bon tuyaux.
***
[1] « Soyez votre propre lampe, votre île, votre refuge. Ne voyez pas de refuge hors de vous-même. »
[2] Sūtra du Coeur
[3] Kalama sutta
Texte en tibétain Wylie
rdzong sar mkhyen brtse/[ (]rdza tshe ring bkra shis kyis bsgyur/[)]
nga tshos ji ltar byas nas khyed kyi drin lan 'jal dgos sam/
nye char skyabs rje rdzong sar mkhyen brtse rin po che lha ldan du phebs te jo bo yid bzhin nor bur gser zhal sgron zin rjes khong gis sger gyi dra ngos shig tu spel gnang ba/rdza tshe ring bkra shis kyis rgya yig las bsgyur ba dang /rtsom yig gi kha byang sgyur ba pos btags pa yin/
nga tshos ji ltar byas nas khyed kyi drin lan 'jal dgos sam/lo ngo nyis stong lnga brgya'i yar sngon der/khyed kyis/bdag nyid bdag gi mgon yin te//zhes gsal por bstan/da dung khyed kyis/bdag nyid 'ba' zhig las gzhan su zhig rang nyid kyi byed pa po byed thub ces dris/
de bzhin khyed kyis/nga tsho la mi gzhan gyis gnod pa byas na mi 'dod pa nang bzhin/nga tshos kyang mi gzhan la gnod pa byed pa ni 'os 'tshams shig ma red ces gsungs/
da dung mu mthud nas khyed kyis/mig rna sna lce lus nas yid kyi bar gyi shes tshor yod tshad/don la de ltar ma grub gsungs/
ma gzhi ltar yin na yang /khyed kyis yang bskyar nga tshor/nga'i bshad pa 'di dag la rtog dpyod byed khom med par yid ches byas rkyang ma byed par/blo rtse gcig sgrim gyis zhib brtag byas te/gzhi nas thag gcod byed dgos pa'i bslab bya gnang /
bka' mol 'di dag dang /da dung de las mang pa'i bka' slob dag de dagtshig 'bru re re bzhin/'di ltar rin thang gzhal med kyi nor bu kho na lags/
byas na/khyed kyi ngo bor ma gyur bar/ji ltar byas nas khyed kyi bka' drin gzhal/
don dngos de ltar yin na yang /gser dngul rtsa chen du brtsi ba'i nor 'khrul shugs che ba'i mi tha shal ba zhig gi ngos nas/da dung mu mthud ngas gser gyi mchod pa 'di khyed la 'bul/
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