samedi 13 août 2016

Questions existentielles du bodhisattva



Quand, comme Ārya Avalokiteśvara, on contemple les constituants psychosensoriels (sct. skandha)[1], et que l’on voit qu’ils sont vides par nature, que reste-t-il à faire ? Comment un bodhisattva passe-t-il le restant de son éveil ? Qu’est-ce qui peut encore le motiver dans un monde où les phénomènes et les individus sont vides d’essence ? Jouir sans entraves de son éveil ? L’éveil se consomme-t-il ? Qui y jouit de quoi exactement ? L’éveil est-il un monde/état parfait auquel on accède et auquel on peut faire accéder les autres ? Qui est « on » et y a-t-il encore les autres dans l’éveil ? S’il n’y a pas de vieillesse, de mort, ni de cessation de la vieillesse et de la mort, de quoi libérer les autres ? Une vie sans illusion est-elle possible ? A quoi sert l’éveil ? Peut-il casser des briques ?
« Un puissant sorcier, désireux de détruire un Royaume, versa une potion magique dans les puits ou buvaient tous ses habitants. Quiconque boirait de cette eau deviendrait fou.
Le lendemain matin, toute la population but, et tous devinrent fous, sauf le roi qui possédait un puits réservé à son usage personnel et à celui de sa famille, auquel le sorcier n'avait pu accéder. Inquiet, le monarque voulut faire contrôler la population et prit une série de mesures de sécurité et de santé publique.
Mais les policiers et les inspecteurs avaient eux aussi bu de l'eau empoisonnée et , trouvant absurdes les décisions du Roi, ils décidèrent de ne pas les respecter.
Quand les habitants de ce Royaume prirent connaissance des décrets, ils furent convaincus que le Roi était bel et bien devenu fou. A grands cris, ils se rendirent au palais et exigèrent qu'il abdique.
Désespère, le souverain se prépara à quitter le trône, mais la Reine l'en empêcha. «Allons jusqu'à la fontaine et buvons aussi. Ainsi, nous serons comme eux», suggéra t elle.
Et ainsi fût fait: le roi et la reine burent l'eau de la folie et se mirent aussitôt à tenir des propos insensés. Au moment même, leurs sujets se repentirent: puisque le Roi faisait preuve d'une si grande sagesse, pourquoi ne pas le laisser gouverner?
Le calme revint dans le pays, même si ses habitants se comportaient toujours d'une manière très différente de leurs voisins. Et le Roi put gouverner jusqu'à la fin de ses jours
»
Extrait de Veronika décide de mourir de Paulo Coelho, mais j’avais lu cette parabole dans un contexte bouddhiste, comme un exemple pour la conduite du bodhisattva qui renonce à la Quiétude. Il n’est pas impossible que Chogyam Trungpa l’ait utilisée. Il semblerait que l’on trouve aussi chez les soufis (d'autres sources possibles sont mentionnées dans ce lien).

***

[1] Les formes (sct. rūpa), les sensations (sct. vedanā), les notions (sct. saṃjñā), les formations mentales (sct. saṃskāra) et les consciences (sct. vijñāna).

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